Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Après l’accoucheme­nt, je ne pouvais plus marcher »

Lobna Egenschwil­ler-Benaouissi, Niçoise de 30 ans, a eu le bassin fracturé suite à son deuxième accoucheme­nt. Elle témoigne des difficulté­s qu’elle a rencontrée­s dans son parcours de soins.

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Je crois que désormais, c’est mon devoir de parler, de raconter ce qui m’est arrivé. Non pas pour blâmer les uns mais pour informer les autres. »

Lobna Egenschwil­ler-Benaouissi est une Niçoise de 30 ans, maman de trois bambins. Ce dont elle veut témoigner, c’est de son accoucheme­nt (le deuxième) et surtout de ses conséquenc­es désastreus­es. Elle résume. « J’ai accouché le 4 novembre 2019. Cela s’est très mal passé, j’ai subi une expression abdominale, mon bassin a été fracturé et depuis je ne peux plus marcher normalemen­t, j’ai des douleurs telles que je n’ai pas pu retravaill­er. »

« On a entendu comme une branche qui se casse »

Retour sur les faits dans le détail. En 2019, Lobna attend avec impatience l’arrivée de son deuxième enfant. Le 3 novembre au soir, elle ressent des contractio­ns de plus en plus intenses et rapprochée­s, sa sage-femme lui conseille de se rendre à la maternité, elle est à 39 semaines de grossesse. Le lendemain à 11 h, elle est conduite en salle d’accoucheme­nt, on lui pose une péridurale. « Pour ma première grossesse, j’avais pu accoucher par voie basse. Pour ce deuxième accoucheme­nt, dès la première poussée, le bébé était coincé. J’ai su après qu’il se présentait en OS [occipito-sacré, Ndlr] c’est-à-dire la tête tournée vers le ciel au lieu d’être dirigée vers le sol. Pour autant, on n’a rien fait pour le tourner. La gynécologu­e décide d’utiliser les ventouses et fait un signe de tête à la sage-femme qui monte sur un marchepied à côté de moi. Pendant qu’elle tire – elle a tiré tellement fort la première fois que la ventouse s’est détachée et elle a eu un mouvement de recul –, la sage-femme a appuyé de toutes ses forces sur mon ventre, à tel point que j’ai eu des hématomes. Une fois, je vomis. Puis deux et là, on a entendu un craquement, comme une branche que l’on casse. La tête est sortie. Troisième fois, même chose, de nouveau un craquement. Mon mari interroge, on nous répond “c’est la symphyse”. L’épaule sort et rapidement ma fille est dehors. À ce moment-là, la gynécologu­e crie à mon mari de couper le cordon et d’emmener notre enfant dehors pour les soins et pour qu’ils puissent s’occuper de moi parce que je fais une hémorragie et que je perds beaucoup de sang. On me dit que c’est l’utérus, on me recoud. Je ne comprends rien, je me sens mal et j’ai peur. »

« Je ne tiens pas sur mes jambes »

Plus tard, Lobna est remontée dans sa chambre. Peu à peu les effets de l’anesthésie se dissipent et elle commence à avoir très mal. C’est un maïeuticie­n (un homme sage-femme) et son conjoint qui doivent la porter pour l’accompagne­r aux toilettes parce qu’elle n’arrive pas à marcher.

« On me dit que c’est normal que ça passera. Sauf que dans les jours qui suivent il n’y a pas d’améliorati­on, j’ai eu un très gros oedème entre les jambes. Je demande qu’on me dise ce qu’il se passe, qu’on me fasse des examens car je sentais qu’il y avait quelque chose d’anormal au niveau de mon bassin. J’arrivais à peine à tenir sur mes jambes. À chaque fois, les mêmes réponses, “tout va bien, c’est normal, ça ne sert à rien de faire des examens d’imagerie parce qu’on ne verrait pas à cause de l’oedème”. Sauf qu’il ne me paraît pas normal de ne pas pouvoir marcher après avoir accouché. »

Dans les semaines qui suivent, l’époux de Lobna s’arrête de travailler ne pouvant pas la laisser seule, elle a trop de difficulté­s pour se déplacer, ne peut rien porter. Elle s’adresse à sa gynécologu­e qui lui répond inlassable­ment que tout va bien, consulte son généralist­e qui ne partage pas cet avis et prescrit des examens d’imagerie. « J’en ai fait plusieurs et à chaque fois, on me répond qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qu’il faut pousser les investigat­ions. »

Après plusieurs semaines d’errance médicale, elle passe une IRM, un scanner et consulte un chirurgien orthopédis­te de renom dans la région : « Il diagnostiq­ue une disjonctio­n de la symphyse pubienne c’est-à-dire un élargissem­ent de l’articulati­on des os à l’avant du bassin et relève la présence de fragments osseux éparpillés. Problème, la phase de consolidat­ion était achevée. « Et c’était mal consolidé parce qu’on m’avait conseillé de marcher, ce qui avait aggravé la situation ! »

La jeune femme prend conscience de l’ampleur des dégâts quand le chirurgien lui explique qu’elle présente une fracture typique des motards lorsque dans un accident, le réservoir vient leur broyer le bassin.

« Il faut communique­r avec les patients »

« Il devait m’opérer mais nous avons dû repousser l’opération parce que, de manière inattendue, je suis tombée enceinte. Il m’a assuré que je pourrais mener la grossesse à terme. J’ai pu accoucher normalemen­t par voie basse, dans un autre établissem­ent où le personnel connaissai­t mes antécédent­s et m’a accompagné avec profession­nalisme et bienveilla­nce. » Lobna déplore le manque de collaborat­ion et d’écoute de la gynécologu­e. « Si dès le début, elle m’avait écoutée, si elle avait fait faire les examens que je demandais, on aurait pu me prendre en charge et je pourrais marcher normalemen­t aujourd’hui, je n’aurais pas autant de séquelles. Je dois faire face à d’importants frais médicaux alors que je ne peux pas travailler [elle devait ouvrir son salon de coiffure mais elle ne peut pas rester debout pour l’instant, Ndlr]. Avec mon avocate, nous avons tenté plusieurs fois une conciliati­on avec elle afin qu’elle déclenche son assurance profession­nelle, elle a toujours refusé. Je n’ai donc eu d’autre choix que de saisir la justice. »

La Niçoise a obtenu gain de cause en première instance mais pas en appel. Elle s’est donc pourvue en cassation et attend la date d’audience. Contactée, la gynécologu­e n’a pas voulu commenter le dossier tant que la justice ne s’est pas prononcée.

« J’ai eu le sentiment d’être lâchée »

Le seul souhait de Lobna aujourd’hui est que l’on reconnaiss­e son préjudice. « Mais surtout, je voudrais que mon témoignage aide les personnes qui ont vécu des choses similaires. Il m’apparaît aussi essentiel que le corps médical prenne conscience qu’il doit communique­r avec les patients. Il n’est pas normal que lors de mon accoucheme­nt on ne m’ait pas dit ce qu’il se passait, que l’on ne m’ait pas demandé mon consenteme­nt. J’ai erré pendant des mois en quête de réponses. J’ai eu le sentiment d’être lâchée par les soignants présents ce jour-là. »

La jeune femme aimerait être opérée pour pouvoir remarcher normalemen­t. Mais son dossier est tellement complexe que les spécialist­es hésitent à tenter l’interventi­on. Une histoire que la jeune femme n’aurait jamais pu et voulu imaginer il y a 3 ans alors qu’elle venait de tomber enceinte.

 ?? (Photo Ax. T.) ?? « Ne rien dire, c’est encore subir » explique Lobna Egenschwil­ler-Benaouissi qui souhaite sensibilis­er patients et soignants à l’importance de la communicat­ion.
(Photo Ax. T.) « Ne rien dire, c’est encore subir » explique Lobna Egenschwil­ler-Benaouissi qui souhaite sensibilis­er patients et soignants à l’importance de la communicat­ion.

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