Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Vieux marc des Bunan EAU-DE-VIE AU PAYS DES BANDOL

La famille Bunan, à La Cadière-d’Azur, compte parmi les derniers bouilleurs de cru de la région en produisant un vieux marc égrappé. Un produit atypique qui se déguste à la fin d’un repas.

- KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

ÀLa Cadière, les Bunan ne font pas seulement référence au sein de l’AOP et comptent parmi les derniers bouilleurs de cru de la région Paca. C’est même l’une des rares familles vigneronne­s de la région encore autorisées à produire ses propres eaux-de-vie. Dans les couloirs de la cave, on suit les grappes de raisin jusqu’à une alcôve discrète, presque secrète, qui abrite une dizaine de barriques de 400 litres… Des tonneaux où repose un vieux marc – une eau-de-vie d’appellatio­n réglementé­e – dont on surveille le degré, année après année. Elles sont inscrites sur les fûts. La plus ancienne : 2006. Ici, dans le calme et la discrétion, on laisse le marc prendre le temps de vieillir une quinzaine d’années avant d’être mis en bouteille. Un « vieux marc égrappé » produit par un marc de raisin composé à 80 % de mourvèdre, cépage roi de l’appellatio­n Bandol.

L’eau-de-vie servait à tout

Tout commence dans ces vignes destinées à produire de grands vins rouges. Puis avec le marc de raisins, obtenu après pressurage. Ce marc est mené à l’alambic pour y être transformé en eau-de-vie.

L’outil participe à l’histoire du domaine familial. L’alambic, acheté en partenaria­t avec le domaine de Pibarnon il y a une trentaine d’années, appartient depuis bien plus longtemps à l’histoire du vin et des vignes dans l’Ouest-Var. « Il a environ cent ans. L’histoire raconte qu’il avait été construit à Marseille. Comme les routes n’étaient pas assez sûres, ils avaient préféré le placer sur un bateau de pêche à Marseille pour le transporte­r jusqu’à Sanary, raconte Laurent Bunan. Lorsqu’il y est arrivé, la fête a duré deux jours. À l’époque, l’eau-devie c’était l'alcool médecin. On s’en servait pour tout. » Pour désinfecte­r comme pour faire les cerises à l’eau-de-vie. Laurent Bunan se rappelle avoir vu l’alambic pour la première fois lorsqu’il appartenai­t à une vieille dame de Provence, Madame Boeti. « Elle produisait des olives cassées, de la tarte tropézienn­e. Elle racontait comment cuisiner les escargots... L’alambic, itinérant alors, c’était son gagne-pain. Elle faisait le tour de tous les villages autour de Sanary. Les vignerons lui apportaien­t leur marc pour obtenir de l’eau-de-vie… Et elle se faisait payer au litre. »

Laurent Bunan sortait de l’école. « Elle était assez âgée déjà. Elle avait soif de transmettr­e. »

Une histoire d’amitié

Une forte amitié se noue entre le fils de vigneron et la vieille dame. Pendant trois ans, elle va lui apprendre le fonctionne­ment de cet alambic à feu nu, autrement dit placé directemen­t sous le chaudron en cuivre. « Elle m'a appris à distiller. À chauffer, à diminuer le bois, l’augmenter au besoin, à refroidir, car c’est un alambic à rectificat­eur [du niveau d’alcool,

ndlr]. On refroidit à certaines périodes lorsque l’alcool s’écoule… »

La production d’eau-de-vie s’appuie sur des opérations faciles d’accès : « du marc, de l’eau qui, en bouillant, produit de l’alcool », simplifie encore Laurent Bunan. Ici, on emploie la distillati­on à chaud.

« Avant, il existait deux façons de produire une telle eau-de-vie : on stockait le marc après les vendanges, et on utilisait l’alambic l’hiver, pendant la saison creuse pour les vignerons, poursuit le vigneron. Nous, on procède à la distillati­on quand le marc est encore chaud, pour conserver le plus d’arômes possible. »

Une fois en fût de chêne, la part des anges (manière poétique d’évoquer le phénomène d’évaporatio­n lors du vieillisse­ment de l’alcool dans un fût) va faire son oeuvre, aidée par la main de

l’homme. « Lorsque le marc est placé en fût pour son vieillisse­ment, son degré d’alcool est de 100 %. Lorsque nous le mettons en bouteille, il est à 50 degrés d’alcool. À l’évaporatio­n naturelle, nous ajoutons un peu d’eau chaque année pour atteindre

ce degré. » À concurrenc­e d’une baisse de 8 % par an, compte tenu de la réglementa­tion en vigueur.

La production est discrète : « Nous ne voulons pas faire du volume mais un produit très fin », poursuit le vigneron. Cinq cents à six cents bouteilles seulement par an. La couleur ? Elle dépend des fûts de chêne dans lesquels le marc vieillit… Car lorsqu’elle sort de l’alambic, l’eau-de-vie est « limpide » assure Laurent Bunan. « Dans l’avenir, on pense le millésimer… »,

ajoute encore Laurent Bunan. Produit atypique, idée originale de cadeau, le vieux marc égrappé se déguste à la fin d’un repas, devant la cheminée l’hiver. Et se conserve bien longtemps après la vente. « Une cliente m’a envoyé une photo d’une bouteille qu’elle avait depuis vingt ans en me demandant si elle pouvait encore le boire… » La réponse est oui.

Domaine Bunan. 338 bis, chemin de Fontanieu à La Cadière-d’Azur. Tarifs : 25 € environ la bouteille de 75 cl. 18 € les 50 cl. Rens. 04.94.98.58.98. www.bunan.com

L’une des rares familles vigneronne­s de la région autorisées à produire ses propres eaux-de-vie

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(Photo Franz Chavaroche) Laurent Bunan.
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(DR) Madame Boeti et son alambic.

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