« Il faut investir dans la dépollution des océans »
L’aventurier Yvan Bourgnon mène depuis 2016 un projet dédié à la protection des océans, The Sea Cleaners : 17 tonnes de déchets plastiques y sont déversées chaque minute, menaçant 3 800 espèces Manta,
Yvan Bourgnon s’exprime comme il navigue : sans détour. La pollution des océans ? Le navigateur la prend en pleine face, lors d’un tour du monde. Depuis, ça déborde. Avec son ONG, The Sea Cleaners, le sportif de haut niveau tire la sonnette d’alarme : 17 tonnes de déchets plastiques sont déversées dans les océans chaque minute, menaçant 3 800 espèces. En conférence à Antibes ce samedi 26 février, il évoquera la situation d’urgence et sa vision pour agir.
Voyez-vous l’impact de l’interdiction des produits jetables en plastique ?
On voit une progression en Europe, oui, même si l’on n’est pas exemplaire. Pour parler de la Méditerranée, c’est la pollution du passé que l’on y trouve. C’est auprès des pays qui ont moins de moyens avec des populations importantes qu’il faut agir comme le Bangladesh ou les Philippines par exemple. Les pays riches n’investissent pas dans cette cause : ils ne misent pas sur des dispositifs de dépollution.
Que peut-on faire ?
Il faut que le consommateur arrête de pointer du doigt le producteur et inversement. Chacun doit changer ses habitudes : je pense à la bouteille d’eau en plastique. Au supermarché, l’industriel mise sur cette solution notamment parce que le verre est plus lourd. Mais rien n’oblige d’acheter cette bouteille : on peut opter pour l’eau du robinet avec une gourde. Le but étant ensuite d’interpeller les pouvoirs publics de manière internationale sur ces questions. Il faut s’inscrire dans un effort commun.
Et arrêter de chercher un coupable, c’est ça ?
Oui, il y a des pays qui y parviennent. Avec des messages simples, les mauvaises habitudes changent. Quand on explique aux gens que mettre un déchet dans le cours d’eau ne nettoie rien, aux pêcheurs qu’ils sont en train de tuer la faune en faisant de même…
Les transformations s’opèrent. Grâce au message, certes, mais aussi avec l’installation d’outils.
Quels outils ?
Nous travaillons sur un incinérateur de format container qui peut être installé dans des villages. L’idée est de transformer le plastique en énergie, désormais on sait mieux récupérer les chaleurs avec des filtres permettant de dégager peu de CO2. Ça, c’est pour la partie terre. En mer, c’est un système de pyrolyse dont nous avons terminé les études : on peut les installer sur des bateaux.
Où en est votre projet Manta ,un bateau-usine devant nettoyer les océans ?
Il devrait être livré fin 2024. On prévoit de lancer la construction au mieux fin 2022. Pour y parvenir, il faut qu’on termine la levée de fonds : il nous manque la moitié du budget qui s’élève au total à 35 millions d’euros. On a besoin de faire participer tous les donateurs, entreprises, mécènes…
Qui vous soutient ?
Auprès de nous, il y a cinquante ingénieurs, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ou encore des écoles comme l’École navale de Brest. Notre bateau fonctionne à l’énergie renouvelable. Capable de récolter 1 à 3 tonnes de déchets par heure avec comme objectif entre 5 et 10 000 tonnes par an.
Comment ça marche ?
En plus des grues, des tapis collecteurs et des systèmes de collecte, nous développons deux plus petits bateaux de 9 mètres. Ils permettent d’aller dans des espaces plus étroits que le 60 mètres ne peut atteindre. Ils pourront récolter les micro et macrodéchets.
Et votre message passe ?
Il y a encore des politiques français qui disent que ça ne sert à rien d’aller collecter les déchets plastiques en mer. Ils misent tout sur la sensibilisation en disant que les gens doivent arrêter de jeter. Il faut continuer à en parler, à éduquer.
Mais ça ne suffira pas. En 2060, on s’attend à voir trois fois plus de plastiques dans les océans et dix fois plus en 2100. La sensibilisation ne peut pas tout faire donc… Il faut aller ramasser ce qu’il y a, oui ! Mais il y a une logique financière derrière : la sensibilisation restera toujours moins coûteuse que l’action. J’ai du mal à comprendre pourquoi les pouvoirs publics rechignent à mettre des milliards pour sauver justement des milliards de vies et des écosystèmes marins.
Que pensez-vous des avancées législatives en la matière ?
La France promet de sortir du plastique jetable en 2040 avec sa loi antigaspillage. C’est une bonne chose en soi, mais ce qui est dingue c’est l’application de cette décision dans le temps ! Pourquoi estce si lointain ? Je veux bien qu’on laisse 5 ans aux industriels pour se réadapter, mais 20 ans : vraiment ?
On a vu à quel point on avait des capacités d’adaptation avec la pandémie. C’est faisable. Le problème est la volonté, les lobbys…
Et l’opinion publique ?
Sur le réchauffement climatique, tant que les gens n’ont pas pris 50 degrés sur la tronche, ils ne se sentiront pas concernés. Par
contre, je sens un consensus du grand public quant à la sauvegarde de nos océans. Tout le monde est choqué. D’autant plus que plusieurs secteurs sont impactés : la pêche, le tourisme, les écosystèmes.
Mais la solution doit être internationale, comme vous le dites…
On est tous concernés. Mais personne n’a envie d’aider le Bangladesh ou les Philippines en mettant d’importants moyens financiers. Par contre on est bien content de leur acheter des ordinateurs dont la fabrication chez eux génère des déchets. Comment gèrent-ils cette pollution ? Là, ça n’intéresse plus personne…
‘‘ La sensibilisation restera toujours moins coûteuse que l’action ”
‘‘ Le projet un bateau pour collecter 1 à 3 tonnes de déchets par heure ”
■ Plus d’informations sur le site web : www.theseacleaners.org
■ Conférence de 15 à 17 h, samedi 26 février 2022, au palais des congrès, 60 chemin des Sables à Juanles-Pins.