Présidentielle : Montaigne décrypte les programmes
L’Institut Montaigne est un « think tank » apolitique, un groupe de réflexion qui formule aussi des propositions. Son président, Henri de Castries, décortique quelques mesures des candidats.
Henri de Castries était à Nice mardi pour une réunion d’étape, dans le cadre d’une étude de prospective sur la Côte d’Azur à 2040. Étude « spontanée », non commanditée, lancée en septembre dernier et dont les conclusions seront dévoilées à l’automne. Une collaboration entre l’Institut Montaigne, 150 entreprises adhérentes, 40 salariés, 9 millions d’euros de budget annuel, sans argent public, et le cabinet Stan. Parmi les thèmes abordés : la jeunesse, le logement ou la mobilité. Puisque le contenu est encore en chantier, nous avons demandé au président de l’Institut Montaigne de se pencher sur quelques axes de la campagne pour l’élection présidentielle.
Sur l’âge de départ à la retraite, quelle est votre analyse ?
Traditionnellement, l’Institut Montaigne regarde les propositions des candidats, et les chiffre. Il y a une différence notable de chiffrage entre les programmes qui suggèrent un passage de l’âge de la retraite à 65 ans – une manière de régler le déficit structurel de nos systèmes de retraite, qui s’aggrave – et ceux qui proposent de redescendre cet âge de départ à 60 ans. Quand on est en face de la vérité impitoyable des chiffres, on peut dire ce qu’on veut, mais à la fin, deux paysages assez contrastés se dessinent. D’un côté, des propositions actionnables et raisonnables, dans le sens d’une gestion à peu près cohérente d’un pays qui a le record mondial des prélèvements après le Danemark, et qui est champion des déficits. De l’autre, des propositions qui coûtent cher, plus qu’on ne pourrait se permettre, sans que cela ne fonctionne extraordinairement bien. Et sans que rien ne soit dit sur la façon dont ce serait financé.
Le doublement du salaire des enseignants ?
Le vrai sujet, c’est la qualité de l’enseignement. On ne peut pas dire que l’enseignement ne coûte pas cher en France. La question, c’est plutôt de savoir où est investi cet argent et quelle est la mesure du résultat. Montaigne dit depuis des années qu’il y a un gros problème sur l’école primaire. Sur une cohorte de 700 000 enfants, 180 000 quittent le secondaire chaque année sans maîtriser les acquis fondamentaux. C’est-à-dire sans lire ni écrire ni compter correctement. Soit 25 % d’une classe d’âge. Et cela vient nourrir le chômage structurel de ce pays. C’est un des handicaps compétitifs profonds, et l’une des raisons des inégalités. Or, quand on regarde d’où viennent ces 180 000 enfants, on se rend compte que c’étaient déjà les mêmes à la sortie du primaire. Ce dysfonctionnement frappe des gamins qui, en général, sont plutôt issus de quartiers défavorisés. Il nous semble que la priorité, c’est de s’occuper d’eux, avant de doubler le salaire des enseignants. Certaines des mesures que nous avions déjà proposées ont été reprises par Jean-Michel Blanquer. Notamment le dédoublement des classes ou l’introduction, à titre expérimental, de pédagogies nouvelles, pour que ce sujet soit progressivement réglé. La France ne cesse de descendre dans les classements internationaux. Nous avons réussi le tragique exploit d’une école publique de plus en plus inégalitaire. Le contraire de ce qu’elle devrait être. En donnant le bac à tout le monde, on l’a complètement dévalorisé, et nous sommes le pays d’Europe qui a le plus fort taux d’échec en licence.
Alain Touraine le disait déjà dans les années 70…
Mais cela n’a fait que s’aggraver, alors qu’on a dépensé de plus en plus d’argent. Lionel Jospin, Premier ministre, avait mis 50 milliards sur l’Éducation. Qu’en est-il resté ? Pas grand-chose.
« Il n’y a pas de machine à miracles », rappelle Henri de Castries. Sur l’écologie dans les programmes, votre analyse ?
On va mettre un peu les pieds dans le plat. Sur le sujet climat, qui est important, les assureurs (Ndlr : Henri de Castries a présidé Axa pendant 17 ans) ont été parmi les premiers à constater les changements. On oscille entre des propositions totalement irréalistes et inapplicables, et d’autres qui, sur un certain nombre de sujets, pourraient être un peu plus ambitieuses. Pour l’instant, le débat n’a pas été suffisamment nourri. Il y a un tabou. Un éléphant dans la pièce, comme disent les AngloSaxons. Quelque part, les décideurs politiques en Europe ont du mal à admettre que la transition écologique sera inflationniste. Avec des conséquences pour le consommateur. Mais il n’y a pas de machine à miracles. Quand on veut radicalement transformer une économie, il faut investir. Quand on veut investir, il faut financer. Et financer, cela coûte cher.
La taxation des hauts revenus ?
C’est un thème que les Français adorent. Nous sommes l’un des pays du monde dans lesquels les plus hauts revenus sont les plus taxés. Le débat est donc surréaliste. La transformation de l’ISF en IFI, qui a marginalement allégé la fiscalité sur les hauts revenus, a conduit à un supplément d’investissements et de croissance. Le capital est mobile : si vous le surtaxez, il s’en va. Le vrai sujet aujourd’hui, ce sont les impôts qui pèsent sur les entreprises. On a fait un arbitrage délibéré depuis trente ans, gauche et droite confondues, consistant à considérer qu’il ne fallait pas taxer la consommation, mais la production. Ce qui a favorisé les importations et abîmé notre compétitivité. Le gouvernement actuel a baissé les impôts de production – c’est un premier pas – de 10 milliards, alors que l’écart entre la France et l’Allemagne est de 60 à
100 milliards. C’est colossal. On a tort de se plaindre de la situation dans laquelle nous sommes : nous l’avons créée nous-mêmes.
Vous êtes-vous penché sur l’incidence économique de la
guerre en Ukraine ?
Il y avait déjà une sortie de pandémie délicate à gérer, compte tenu d’une tension forte sur un certain nombre de lignes d’approvisionnement qui faisait monter les prix. Se rajoute ce qu’il se passe en Ukraine, qui crée des craintes. Et les sanctions, dont on supporte une partie des conséquences. La conclusion, c’est que le modèle sur lequel beaucoup d’entreprises travaillaient depuis trente ans, celui de la libre circulation des personnes et des biens, dans un univers où le droit occidental s’appliquerait, est révolu. Ce sont des risques, et les risques, ça se paie par une augmentation des coûts. Un exemple : les sanctions sur l’aéronautique ont eu pour effet d’interdire à un certain nombre de compagnies russes de voler avec leurs avions financés avec des prêts occidentaux. Eh bien, la Russie a saisi des centaines d’avions. Coût pour ceux qui les avaient financés : 10 milliards de dollars. En résumé, les sanctions sont à la fois nécessaires, insuffisantes et douloureuses pour tout le monde.
Quels enseignements en tirer ?
Tous les modèles dans lesquels, pour que le consommateur ait des prix faibles, on allait se fournir très loin en pensant qu’il n’y avait aucun risque, sont remis en cause. Et de façon durable, puisque le monde est de plus en plus fragmenté. Les industriels vont probablement chercher à avoir des lignes d’approvisionnement plus courtes, et cela ne se fera pas gratuitement. Que préfère-t-on, comme consommateur ? Venu de loin, pas cher et incertain ? Ou venu de plus près, plus cher et presque sûr ?
Lionel Jospin avait mis 50 milliards sur l’Éducation. Qu’en est-il resté ?”
Le coup de pouce carburant : effet positif immédiat ou pervers à long terme ?
Les deux mon général ! Évidemment les deux. C’est un anesthésiant. Une anesthésie est parfois nécessaire pour éviter les douleurs d’une inflammation violente, mais si l’on n’opère pas, les causes du mal ne sont pas réglées. Une grande partie de la hausse des prix vient d’une spéculation sur l’incertitude. Ce coup de pouce est donc une mesure d’urgence, pas un traitement de fond. Mais sans doute nécessaire, parce que beaucoup de gens ne peuvent pas se priver de leur voiture pour aller travailler.