La bonne parole de Soeur André, la vénérable
Devenue officiellement doyenne de l’humanité après le décès de la japonaise Kane Tanaka, la religieuse de 118 ans a reçu les journalistes ce mardi, dans l’Ehpad de Toulon où elle réside.
Des caméras qui s’entrechoquent, une bataille pour accrocher les micros-cravates et la cohue dans les couloirs de l’Ehpad Sainte-Catherine Labouré… Si Dieu lui avait prêté la vue, Soeur André aurait peutêtre été effrayée, ce mardi matin, de constater qu’une nuée de journalistes s’était pressée à sa rencontre.
Mais du haut de ses 118 ans, la toute nouvelle doyenne de l’humanité est aveugle depuis longtemps. Et une fois annoncés les médias venus l’interviewer, ainsi que la présence du maire de Toulon Hubert Falco, une telle attention a plutôt semblé amuser celle qui domine aujourd’hui le classement des supercentenaires.
« Une fierté et un désastre »
C’est de sa voix fébrile mais claire que la religieuse à l’éternel foulard bleu, la tête légèrement penchée dans son fauteuil roulant, s’est plu à répondre aux questions qui lui étaient posées. Comment va-t-elle ? « Ce n’est pas beau d’être vieux. J’aimais m’occuper des autres… » Ce que ça lui fait d’être la femme la plus âgée du monde depuis le décès de Kane Tanaka, son aînée japonaise de treize mois ? « Une fierté et en même temps, un désastre : je voudrais tant rendre aux autres ce qu’ils m’ont donné. » Comment accueille-t-elle le fait que la planète entière paraît tout à coup s’être éprise d’elle ? « Oulala… » Ainsi va Soeur André : pour elle, le paradis, c’est les autres. Les nécessiteux dont elle s’est occupée sa vie durant. Jusqu’à ses 109 ans où, dans un Ehpad en Savoie, elle continuait de prendre soin de ses copensionnaires.
Et quand on lui demande de fouiller un peu dans ses souvenirs, elle cite spontanément « les orphelins » qu’elle a aidés dans un lointain passé. Puis son frère aîné, dont elle a pris le nom au moment d’entrer dans les ordres. «Il m’adorait, et moi aussi… Mais il est mort », annoncet-elle malicieuse, à l’assemblée. Avant de délivrer au monde un message aussi pur que son âme : « Que les gens s’entraident et s’aiment, au lieu de se haïr »
« Elle adore être entourée »
Cette matinée printanière est visiblement de celles qui réchauffent le coeur de Soeur André, pas avare de mots. « Parfois la vie est une joie pour elle ; parfois c’est très lourd et elle trouve que les journées n’en finissent pas », explique Soeur Thérèse, la « jeunette » de 89 ans chargée de l’emmener quotidiennement à la messe de 11 heures. Être entourée des Filles de la Charité, sa congrégation, fait partie des plaisirs qui la maintiennent. Tout comme sa légendaire gourmandise, son petit verre de rouge ou les marques d’attention à son égard. « Si demain elle me dit qu’elle ne veut plus voir personne, on arrête tout. Mais il ne faut pas croire, elle adore ça », sourit David Tavella, responsable de la communication de l’établissement toulonnais.
Celle qui est née Lucile Randon en 1904, à Alès, « ne vieillit pas », assure encore son confident. Sa grande fatigue du début d’année, peut-être consécutif à sa deuxième contamination au Covid, paraît même s’être estompée. Pas ses « douleurs ». L’esprit, lui, est encore vif, assure Soeur Thérèse, qui veille toutefois à lui épargner les remous de l’actualité. « Je ne veux pas lui imposer du trouble et de l’inquiétude. Elle aime surtout se remémorer les moments qui l’ont comblée. »
Dans sa petite chambre dépouillée de tout artifice, non loin d’une statue de la Vierge, trône une radio qu’elle n’allume plus guère. Comme si Soeur André voulait désormais se tenir à l’écart des tourments de ce monde. Entre ciel et terre.