Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La vie en jaune

- d’ERIC NERI Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

Avec leurs gilets jaunes, ils ont parcouru le pays et défilé fièrement jusqu’à Paris comme un leader du Tour de France enfilant sa tunique pour ne plus la quitter jusqu’aux Champs-Élysées.

Sauf qu’à l’arrivée, ce sont les gaz lacrymogèn­es plutôt que les bouquets de fleurs qui attendaien­t ces perdants de la métropolis­ation, lâchés par le peloton des urbains, désorienté­s par le jargon technocrat­ique du directeur sportif et de sa « start-up nation ». Le 17 novembre 2018, il y a quatre ans, la France silencieus­e et périphériq­ue donnait de la voix et jouait les premiers rôles. Elle avait trouvé refuge sur les ronds-points à la croisée des chemins d’un monde dont elle ne comprenait plus les évolutions. C’est la hausse d’une taxe sur les carburants qui avait fait démarrer au quart de tour ces rouleurs au diesel. Quelques années plus tôt, le gouverneme­nt n’était-il pas encore le premier défenseur des voitures au gazole, moins taxé, dont les nouveaux pots d’échappemen­t garantirai­ent un air encore plus propre que propre, comme aurait dit Coluche ? Vaste farce au nom du soutien aux constructe­urs automobile­s français qui s’étaient entêtés à continuer de miser sur ce carburant.

Ils avaient cru en la parole de l’État et par nécessité financière – le prix de l’immobilier – ou par choix – dans l’espoir d’avoir une meilleure qualité de vie – s’étaient installés à la campagne. Et les voilà brutalemen­t abandonnés en rase campagne, obligés de passer à la pompe comme on va à l’échafaud. Ils incarnaien­t une France qui se lève encore plus tôt que les autres et pour laquelle la voiture est l’unique moyen de rejoindre son lieu de travail. À leurs côtés, une autre France, restée dans les villes au prix de sacrifices financiers, qui ne supporte plus la morgue des bobos connectés et mondialisé­s. Ces invisibles avaient désormais la parole, dans la rue et sur les réseaux sociaux, pour dire tout le mal qu’ils pensaient des représenta­nts du « système » politique et médiatique. Ce grand déballage a eu sa part d’outrance, de dérapage et d’égoïsme – lorsque les manifestat­ions en sont venues à perturber le samedi l’activité des commerçant­s dont certains ne sont guère mieux lotis qu’eux. Ils ont fait tomber de son piédestal jupitérien un Président qui, quelques mois plus tôt, partageait la société entre « les gens qui réussissen­t et les gens qui ne sont rien ».

La récupérati­on du mouvement par quelques élus a fait long feu, tout comme l’engagement en politique de certains manifestan­ts. Le référendum d’initiative citoyenne, réclamé à cor et à cri, n’a jamais vu le jour.

Ils n’ont pourtant pas renoncé à redescendr­e dans la rue. Rangé dans la boîte à gants de leur voiture, le gilet jaune est toujours là, à portée de main. Le gouverneme­nt sait désormais que les inéluctabl­es évolutions de la société ne peuvent se faire à marche forcée.

« Il y a quatre ans, la France silencieus­e et périphériq­ue donnait de la voix et jouait les premiers rôles »

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