Un élu varois part en guerre contre la « bureaucrature »
Frédéric Masquelier livre une charge virulente contre les excès de la bureaucratie. Pour le maire de Saint-Raphaël, l’enjeu est majeur : « Il faut remettre l’humain au coeur du système. »
Le premier livre de Frédéric Masquelier(1) pourrait se définir, en creux, par ce qu’il n’est pas. Ce n’est pas un pamphlet. Pas davantage une charge aveugle contre l’administration et les fonctionnaires. Encore moins un essai hors sol, oeuvre d’un théoricien déconnecté des réalités. C’est le fruit d’une réflexion politique étayée par l’expérience. Le maire LR de Saint-Raphaël puise dans son quotidien d’élu pour montrer combien l’excès de bureaucratie fait peser sur notre pays un risque de dictature déshumanisée – une « bureaucrature ».
Comment est né ce livre ?
L’idée m’est venue en décembre 2020 après une discussion à Cannes avec mon homologue David Lisnard. En tant que maire, il m’a semblé que j’avais des choses à dire sur la bureaucratie qui s’impose dans nos vies. J’ai lu environ soixante-dix ouvrages sur ce sujet : aucun ne permettait de comprendre comment un employé de bureau peut avoir plus de pouvoir qu’un maire ou un président de département, sans avoir jamais été élu.
Est-ce une charge contre l'administration ?
Non. La bureaucratie est nécessaire. Historiquement, elle a participé au développement de l’État. Mais je voulais montrer que la bureaucratie trop efficace est aussi nuisible que la bureaucratie inefficace. Et que la démocratie est en danger lorsque ces bureaux prennent le pouvoir.
N’est-ce pas excessif ?
Je ne le crois pas. Les bureaucrates prennent des décisions sans avoir la moindre légitimité pour cela. Les régimes totalitaires étaient, historiquement, les plus bureaucratisés. On bascule dans la « bureaucrature » quand le système s’autoalimente et fonctionne pour lui-même, en excluant les citoyens. La bureaucratie amène du cloisonnement, une verticalité et une absence de responsabilité à tous les étages ! Or, une société ne peut pas fonctionner si personne n’est jamais responsable de rien.
Vous regrettez que le pouvoir politique ne soit pas assez présent…
Oui. C’est à la fois un constat et un regret : le pouvoir politique est trop faible. Le système bureaucratique prospère sur cette faiblesse. En ce sens, le pouvoir politique est semblable à la liberté de la presse : il ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. En démocratie, ce sont les élus qui doivent trancher et décider. Les fonctionnaires sont là pour mettre en oeuvre la politique décidée par les élus. Je leur fais confiance pour cela.
Peut-on toujours faire confiance aux responsables politiques ?
Ils doivent être contrôlés. Et disons les choses clairement : aujourd’hui, ils le sont. Mais qui contrôle les bureaucrates ?
Vous pointez la « déshumanisation bureaucratique »…
L’humain n’est pas pris en compte dans la gestion bureaucratique. J’essaie de lutter contre cela à mon niveau, en faisant en sorte que les politiques publiques soient décidées en fonction des citoyens. Bien sûr, on prend plus de risques en associant les citoyens au processus de décision. [Il sourit] Lorsque je suis devenu maire, on m’a conseillé de me contenter de serrer des mains, de ne rien bousculer… Or, j’ai accepté ce mandat pour faire exactement l’inverse : exercer pleinement le pouvoir… quitte à le perdre. C’est une éventualité qu’un élu doit accepter.
À Saint-Raphaël, vous avez nommé un élu « référant » pour lutter contre la bureaucratie. Certains disent que vous avez créé une usine à gaz…
Il ne s’agit que d’un élu avec une secrétaire ! Alors, point d‘usine à gaz [Il rit]. En quatre mois, il a déjà dénoué une dizaine d’affaires.
Lorsque vous avez succédé à Jordi Ginesta, en 2017, vous affirmiez : « Je ne suis pas un politique. » Diriezvous la même chose aujourd’hui ?
Je fais de la politique, c’est différent. Mais je ne me résume pas à la politique. Je suis citoyen, avocat et maire.
Cela fait 40 ans que les gouvernements se plaignent de la lourdeur administrative. Que faudrait-il faire pour que cela évolue enfin ?
Si vous ne changez pas les règles, vous ne changerez pas les comportements. Il faut accepter l’idée que tout ne peut pas se gérer au sommet, recentrer le politique là où il est nécessaire et lui redonner le pouvoir d’agir au plus près de ses concitoyens.
1. La Dictature bureaucratique ou la « bureaucrature », par Frédéric Masquelier, éditions Hermann. 244 pages, 18,90 euros. Disponible à compter du 23 novembre.