Architectes, céramistes…
noue sont vite balayées par le drame qui se joue : le bateau qui les a accompagnés lève l’ancre, sans prévenir, emportant les passeports et l’argent de toutes les familles. Cécile met son restaurant à disposition et le directeur de Port-Cogolin leur trouve des logements.
En attendant de rentrer chez eux, les Ukrainiens créent chaque jour une atmosphère artistique autour d’eux. Chants folkloriques et religieux sur les places, les quais, les églises de Saint-Tropez, Cogolin et Grimaud. Ils réalisent aussi une série de peintures sur les tables de L’Utopie.
Au bout d’un mois, après de nombreuses démarches administratives – « Au début, la police de l’air et des frontières avaient peur qu’ils ne demandent l’asile politique », se souvient Cécile – un bus arrive d’Ukraine. Au moment de monter dedans, Yuriy, Taras son frère, Vasyl et Gregory ne peuvent pas, faute de place. Contraints de rester un peu plus longtemps que prévu, ils commencent à décorer L’Utopie en guise de remerciements. « Ils sont repartis avec moi à la fin de l’année en camion et en voiture avec du matériel que je leur avais offert. Nous sommes arrivés à Lviv le 1er janvier 1993. »
En 1994, Cécile et sa fille rejoignent Yuriy à Malte « et il revient avec nous à Saint-Tropez ». C’est là que Yuriy commence le projet de mosaïques en dessinant sur les murs. À partir de 1995. Lui succéderont ensuite d’autres artistes mosaïstes de Lviv et Kyev. Ils viendront pendant dix ans, deux à trois mois par an, pour compléter l’ouvrage. S’y déclinent la rencontre de ces cosaques modernes avec Cécile, avec Milady, la chienne de cette dernière, mais aussi les bravades dans la cité, la famille, les fêtes à L’Utopie, les contes et croyances de ces artistes venus d’Europe orientale.
Un jour prochain, ils viendront compléter les scènes manquantes. Un jour ou l’autre. Car les amis, entre-temps, se sont fixé d’autres objectifs : « Ils rénovent ma maison familiale à Sierck-les-Bains, au Pays des Trois frontières, à quatre kilomètres de l’Allemagne et du Luxembourg. Elle date de 1607 », sourit Cécile. Au bout du fil, ou plutôt de l’autre côté de l’appel vidéo, Yuriy acquiesce.
Si vous croisez Cécile dans la cité, n’hésitez pas à lui demander de vous raconter cette belle histoire. Peut-être vous ouvrira-t-elle les portes de cette maison aux souvenirs. Peutêtre y verrez-vous Yuriy et ses amis en train de travailler. Car quoi qu’il arrive, ils finiront, c’est sûr, d’habiller ces murs.
De nombreux artisans ukrainiens se sont succédé pour réaliser ces mosaïques. Parmi eux notamment, Yuriy Voloshchak, qui est architecte de formation, mosaïste et… journaliste. Il dessine sur les murs, au crayon, des scènes de vie ou d’imaginaire. Taras Benyakh est peintre et sculpteur. Andreyi Vynniytskiy est architecte d’intérieur, sculpte et fait de la gravure sur cuivre. Mykhailo Benyakh est mosaïste, sculpteur graphiste. Yutsim Fedjko est émailleur et mosaïste, spécialiste des grands formats. Et Vasyl Kachmar est sculpteur et joaillier. Il fut le concepteur du projet de la barque, en 1992. Celle qui les mena jusqu’à Saint-Tropez.