Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Les traumas ressortent souvent après leur régularisa­tion »

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Complexe, la question de la prise en charge psychologi­que des migrants doit être appréhendé­e avec du recul. Parce qu’en matière d’humain il n’y a pas de généralité qui tienne, le psychologu­e Philippe Albert a accepté de partager sa vision et son expérience. Officiant dans son cabinet à Nice, le praticien a également collaboré avec Caritas (ONG chrétienne italienne) et Médecins du Monde, notamment auprès des migrants à Vintimille et dans les Alpes-Maritimes.

La question traumatiqu­e est au centre du sujet pour cette population…

Nous projetons, ce qui est normal, nos propres angoisses quand on parle d’eux. On s’imagine dans leur situation. Mais leur souffrance n’est pas la même que nous imaginons. Ils sont beaucoup plus résilients que nous. Ceux que j’ai rencontrés n’ont en tête que leur but : arriver à destinatio­n, ils sont dans l’action. Les troubles post-traumatiqu­es liés aux violences, viols (etc) arrivent souvent bien plus tard dans leur cheminemen­t. Souvent une fois leur situation régularisé­e.

Il y a donc ce phénomène naturel d’enfouir les traumas pour pouvoir agir ?

Exactement. J’ai vu cela se manifester dans des centres d’hébergemen­t à la frontière italienne lorsque des personnes étaient bloquées là durant un long moment. Certaines avaient des manifestat­ions qui se révélaient.

Parce que justement, elles n’étaient plus en marche, elles étaient bloquées dans la poursuite de leur objectif. Il y a aussi des cas où cela peut survenir dix ans après la régularisa­tion par exemple.

Le suivi psychologi­que pour les passagers de l’Ocean Viking est primordial, donc.

C’est important, oui. Mais de ce que j’ai constaté via mes expérience­s, personne n’est venu me parler en tant que psychologu­e. Culturelle­ment, ce n’est pas quelque chose de naturel. À la frontière, nous prenions le prétexte d’offrir un café pour discuter. Mais ils me parlaient de ce qu’ils voulaient faire bien plus que de ce qui leur était arrivé.

Toujours dans la projection...

Ils veulent se sortir de là, c’est logique. Mais il ne faut pas oublier que l’on a affaire à une partie spécifique d’une population.

Vous voulez dire que l’acte de migrer dans ces conditions demande des prérequis ?

Ce n’est pas envisageab­le, quelles que soient les conditions sur place, pour certaines personnes de quitter leur culture et leur famille. Comme on le voit, certaines personnes restent. Et tous ne partent pas pour les mêmes raisons.

Il ne faut pas voir tous les passagers de l’Ocean Viking comme un groupe homogène : ils ont des histoires, des passés différents.

Je ne vais pas me faire des amis en disant ça, mais ce qui m’agace un peu c’est cette forme d’idéalisati­on du migrant. Bien évidemment on doit accueillir ces personnes en danger, ce n’est pas le débat. Mais on a tendance à appréhende­r cette question avec une compassion excessive. Alors qu’il y a des profils tellement différents.

Par exemple ?

Certains partent sous la pression familiale pour pouvoir aider leurs proches. D’autres sont en danger dans leur pays et sont obligés de partir pour ne pas mourir. Il y a également des gens qui veulent obtenir une forme de statut de sauveur en quittant tout d’eux-mêmes pour réussir ailleurs et pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Et enfin vous avez également des aventurier­s purs et durs.

Est-ce que penser les migrants comme une communauté uniforme et solidaire dénote un sentiment de supériorit­é ?

Oui. Cela me rappelle notamment une maman que j’ai pu voir. Elle a traversé la Méditerran­ée avec sa fille, mais elle est arrivée seule : son enfant pleurait trop aux yeux de certains autres passagers qui l’ont jetée à l’eau. Elle est morte noyée.

L’Ocean Viking compte 57 mineurs à bord : quand on vit cette épreuve en tant qu’enfant et non à l’âge adulte, a-t-on plus de chance de mieux se construire derrière ?

Absolument. Les enfants sont bien plus résilients que les adultes. Tout ce dont a besoin d’un enfant, c’est d’être entouré, accompagné, de se sentir protégé.

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(Photo archives S. L. S.) Le psychologu­e niçois Philippe Albert a oeuvré bénévoleme­nt auprès des migrants à Vintimille et dans les Alpes-Maritimes.

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