Une équipe avide de données
La data, c’est un peu le dada de Fabien Galthié. Pour préparer ses matchs, le XV de France y a recours, via une société spécialisée et des objets connectés : ballons et même protège-dents.
Sélectionneur « geek », Fabien Galthié a accompagné le XV de France dans sa transition vers l’utilisation des données, aujourd’hui un outil essentiel à la préparation des matches internationaux, dans un sport longtemps à la traîne à ce sujet. « Thibault Giroud (le directeur de la performance des Bleus) a fait un prédictif, et la combinaison des statistiques et des algorithmes nous donne une “deadline” très précise », avait plaisanté le sélectionneur il y a quinze jours, conscient de sa réputation, à propos de la naissance à venir du fils de Jonathan Danty.
Près de 1500 matchs analysés
Passée la plaisanterie, c’est bien sous l’impulsion de Galthié que le XV de France a franchi un palier dans le recours aux données, en établissant depuis trois ans un partenariat avec SAS, société spécialisée dans leur analyse.
« On est passé d’une difficulté à recueillir des données à celle de les analyser » ,a expliqué mercredi Julien Piscione, responsable du département d’accompagnement à la performance à la Fédération française de rugby.
En plus des capteurs GPS portés par les joueurs, ce sont aujourd’hui les ballons de rugby qui sont connectés, permettant d’analyser la vitesse de passe ou la longueur de jeu au pied.
« On expérimente des protège-dents connectés » qui permettent de chiffrer le nombre de contacts des joueurs, dévoile Piscione, évoquant également des études sur la protection de leur intégrité physique.
« On a débuté en échangeant avec Karim Ghezal (l’entraîneur en charge de la touche) sur la touche, un sujet très précis », détaille Charlotte Douette, experte en science des données chez SAS. Au menu : 1 438 matches analysés depuis 2019 pour étudier ce secteur sous toutes ses coutures.
« Un outil d’aide à la décision »
« Quand on a joué les All Blacks (en novembre 2021, pour une victoire 40-25), je savais que les touches avec eux se jouaient dix secondes plus rapidement que pendant le Tournoi », explique par exemple Ghezal.
« L’utilisation de la donnée, c’est un outil d’aide à la décision
Fabien Galthié utilise les données pour préparer les rencontres mais assure ne jamais s’en servir en cours de match.
», précise Galthié, qui veut « des réponses simples à une question simple : comment mieux s’entraîner pour battre l’adversaire qu’on va rencontrer le week-end ? » Les entraînements sont calibrés en fonction du profil du match que prévoient les données, avec au centre du projet la cellule analyse du XV de France. Contre l’Afrique du Sud, elle a ainsi comparé « le nombre de matches partagés par des paires de joueurs », explique Nicolas Buffa, de la cellule d’analyse vidéo. Avec un constat sans appel : les Springboks partageaient une expérience collective sans commune mesure avec le XV de France, du simple au double.
L’essai de Falatea, fruit des datas ?
« On savait qu’on était inférieur sur ce plan-là », assure
Galthié, pour qui « il faut toujours travailler sur (ses) points forts » avec la data. Quels sont-ils ? On n’en saura pas plus, l’encadrement voulant préserver ses secrets, même si Ghezal explique que la dernière touche, amenant l’essai de Sipili Falatea, est bien venue d’une analyse des données montrant que les Sud-Africains, le nez dans la défense au ras, ne s’attendraient pas à une déviation.
Pas question toutefois de voir les données dicter le remplacement d’un joueur en cours de match, pas plus que sa sélection. « Le jugement, c’est notre savoir-faire, on sait choisir un joueur sans s’appuyer sur la data », assure le sélectionneur, qui n’est « connecté à rien » pendant les rencontres.
« Pas les chiffres qui nous dominent »
Côté individuel, ce sont surtout les données d’entraînements des joueurs dans leurs clubs qui sont recueillies, pour évaluer l’état de forme de chacun, et s’ils sont prêts à jouer ou pas avec le XV de France. «Ce ne sont pas les chiffres qui nous dominent », juge Galthié.
Dans un sport où le ballon ovale a des rebonds toujours imprévisibles, les données ont des limites. « Il n’y a pas un match où le scénario qu’on a prévu se déroule », reconnaît Galthié. Un constat encore confirmé par les multiples rebondissements de la victoire des Bleus contre l’Afrique du Sud (30-26) samedi dernier à Marseille, où blessures et cartons rouges ont bouleversé les plans des deux équipes.