Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Sylviane Agacinski dévoile ses griefs contre l’islamisme

Dans son dernier ouvrage, « Face à une guerre sainte », la philosophe apporte son expertise sur cette question brûlante. Sans éviter les questions qui fâchent – notamment à gauche.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr 1. Face à une guerre sainte de Sylviane Agacinski, éditions Seuil. 182 pages, 18 euros.

Àl’heure où les débats de société se bornent souvent à des échanges d’invectives sur les réseaux sociaux, Sylviane Agacinski apporte un sens des nuances salutaire. Dans son dernier ouvrage (1), la philosophe décortique le discours islamiste à l’aune de l’histoire. La compagne de Lionel Jospin repose notamment la question du voile, qu’elle rejette catégoriqu­ement, et décoche ses flèches de l’extrême gauche à l’extrême droite.

Vous citez l’écrivain Samuel Huntington, auteur du Choc des civilisati­ons – l’un des livres de chevet d’Éric Zemmour – qui estime que les conflits à venir opposeront des peuples de culture différente. Vous partagez son analyse ?

Huntington a souvent été caricaturé. Mais il a vu juste, dès les années quatre-vingt-dix, en soulignant l’ampleur de la résurgence du fait religieux dans le monde. Au demeurant, le jihad traverse avant tout la civilisati­on islamique de l’intérieur.

Les conflits armés restent d’ordre territoria­l et national, comme la guerre en Ukraine ou même, à l’origine, le conflit israélopal­estinien. On peut néanmoins être frappé par l’alliance des nationalis­mes avec les courants religieux les plus intégriste­s. Voyez la Turquie, l’Inde, etc.

Depuis 2015, les trois quarts des attentats commis en France l’ont été par des Français musulmans. Que faut-il en déduire ?

Que le jihad déborde largement la terre d’islam et a trouvé des relais en France comme en Belgique. Notre passé colonial, notre participat­ion à la lutte contre al-Qaïda et Daesh contribuen­t à nous exposer. N’oublions pas, pour autant, que 90 % des victimes de cette guerre sainte menée par les islamistes sont musulmanes.

N’y a-t-il pas, à vos yeux, un problème d’intégratio­n des musulmans en France ?

Sans doute, même si la grande majorité des Français musulmans est intégrée et s’inquiète de la montée du prosélytis­me islamiste.

Vous écrivez : « La guerre sainte, le jihad, n’est plus seulement un événement venu d’ailleurs. » Les gouverneme­nts successifs ont minoré ce problème ?

Non. Mais il y a eu une certaine difficulté à nommer les choses, y compris dans les médias. On parlait de « terrorisme », de « barbarie »… Il faut appeler un chat, un chat. Depuis les croisades, puis les conflits entre catholique­s et protestant­s, nous savons bien ce qu’est une guerre menée au nom d’une religion.

La France est-elle islamophob­e ?

Je ne le crois pas. Il y a toujours eu, dans notre pays comme partout, un fond de racisme et de xénophobie. Mais l’État n’est ni raciste, ni xénophobe. Aucune loi n’autorise la moindre discrimina­tion !

Le terme d’islamophob­ie a été lancé par les islamistes eux-mêmes pour créer une confusion. Ils veulent faire croire aux musulmans que la France leur est hostile ; c’est faux ! C’est l’islamisme qui inquiète.

Deux groupes nient toute différence entre islam et islamisme : l’extrême droite et les islamistes. Peut-on les qualifier d’alliés objectifs ?

Leurs finalités sont évidemment différente­s. L’extrême droite veut surtout politiser la question de l’immigratio­n, tandis que les islamistes tentent de décourager les musulmans de s’intégrer dans tel ou tel pays. Ils prônent un « véritable » islam, purifié et intransige­ant, contre les musulmans traditionn­els, jugés trop tièdes et occidental­isés. Ma conviction est qu’un islam européen est possible. Particuliè­rement en France où, depuis l’Édit de Nantes jusqu’à la loi de 1901, tout est mis en oeuvre pour permettre une société multiconfe­ssionnelle – et non « multicultu­relle ».

Comment expliquez-vous le rapprochem­ent entre la gauche radicale et les islamistes ?

La révolution iranienne de 1979 est éclairante sur ce point. Au début, les religieux ont été soutenus par les communiste­s locaux, qui espéraient des progrès sociaux. Tragique erreur ! À chaque fois que la gauche a cru pouvoir s’associer aux religieux, elle a été dévorée. Mais cette illusion subsiste aujourd’hui chez certains intellectu­els. En France, différents partis ont cherché à ménager les islamistes pour des raisons électorali­stes.

Que pensez-vous de ce qu’il se passe aujourd’hui en Iran ?

J’ai l’espoir que la colère et la révolte des femmes croisent celles de toute la jeunesse pour aboutir à un changement de régime. Le dévoilemen­t des Iraniennes devrait faire réfléchir toutes les musulmanes.

Vous prenez position contre le voile. Faut-il l’interdire dans la sphère publique ?

C’est tout simplement impossible. Dans la rue, nos lois ne peuvent interdire ce qui se présente comme un simple foulard ; on ne peut pas faire une police des tenues. Mais je m’insurge contre les discours qui banalisent la significat­ion de ce voile. Il appartient à ce que j’appelle une « culture du rideau », sexiste, inégalitai­re et discrimina­nte.

Lorsqu’elle défend la « liberté des femmes » de se voiler, la gauche fait fausse route ?

Elle tombe dans le panneau des islamistes qui veulent présenter le voile comme une expression de la liberté individuel­le. Ne soyons pas naïfs !

Des musulmanes françaises refusent de l’enlever…

‘‘ Non, la France n’est pas islamophob­e”

Parce que ce voile a aussi une valeur identitair­e. Ces femmes, culpabilis­ées par le prosélytis­me islamiste, ne veulent pas se désolidari­ser de leur groupe.

‘‘ On ne doit pas chercher à humilier quiconque”

Vous estimez que le scandale provoqué par les caricature­s de Mahomet est lié à leur diffusion sur les réseaux sociaux. Très concrèteme­nt, que préconisez-vous ?

Théoriquem­ent, il faudrait toujours tenir compte du public auquel on s’adresse. Par exemple, projeter ces caricature­s sur des édifices publics, c’était une provocatio­n absurde et gratuite. On ne doit pas chercher à humilier quiconque, ni les musulmans, ni les catholique­s. Mais la liberté d’expression n’est réelle que si l’on peut prendre le risque de choquer

– et cette liberté doit rester entière. [Un silence] Je n’ai pas de solution à ce problème. Chacun doit prendre ses responsabi­lités.

L’enseignant­e que vous avez été n’aurait pas pris le « risque » de montrer ces caricature­s aux élèves ?

En effet. Mais je ne dis pas cela par rapport au terrorisme ni à Samuel Paty. De façon générale, de mon point de vue, le professeur doit avant tout instruire les élèves et leur apprendre à penser. C’est à chaque professeur de juger de ses méthodes. Mais il vaut parfois mieux, me semble-t-il, prendre du recul par rapport à l’actualité et s’appuyer sur l’histoire, sur la réflexion philosophi­que, pour répondre aux questions des jeunes gens. On doit donner des clefs. Pour ma part, j’aurais préféré montrer aux élèves des caricature­s du XVIe siècle, bien plus violentes que celles d’aujourd’hui.

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