Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Hassen Chalghoumi-Marek Halter, au nom de la paix

En marge de la Fête du livre du Var, l’écrivain Marek Halter et l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi ont échangé vendredi soir sur la liberté et la religion. En toute fraternité.

- PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT WATTECAMPS inopportun »

Cela pourrait être le début d’une mauvaise blague : un imam et un écrivain juif réunis dans une paroisse toulonnais­e. En réalité, c’est une ode à la liberté de penser qu’ont proposé vendredi soir, salle Saint-Paul de la paroisse de l’Immaculée Conception, Hassen Chalghoumi, recteur de la mosquée de Drancy, et l’auteur engagé Marek Halter, sous l’oeil bienveilla­nt du père Gary Holmes. Conviés, en marge de la Fête du livre du Var, à réagir à l’actualité par Jérôme Levy dans le cadre de ses rencontres littéraire­s, les deux hommes ont, une heure durant, disserté aussi bien sur la paix que la religion, les extrémisme­s que l’importance des femmes dans les combats à venir pour la liberté, en Iran ou ailleurs.

Seul bémol : la faible affluence devant laquelle s’est tenu ce moment de partage. « Il a été difficile de trouver une salle pour nous accueillir, concède Jérôme Levy. Le profil d’Hassen Chalghoumi a sans

(1) doute fait peur. C’est dommage. Je remercie d’autant plus l’évêque de Toulon, Mgr Dominique Rey, d’avoir accepté la tenue de cette rencontre dans ses murs. » Des murs qui résonnent ce matin encore des propos empreints de sagesse des deux écrivains, à la plume trempée dans l’encre de la paix.

Marek Halter, vous avez une histoire particuliè­re avec Toulon (2). Qu’est-ce que cela représente de faire venir ici votre ami, l’imam Hassen Chalghoumi ?

M. H. : Revenir à Toulon est toujours un défi pour moi. Une revanche. Cette fois-ci, c’est un double défi. J’ai toujours combattu le racisme, sous toutes ses formes. On a encore vu avec l’arrivée des migrants que les extrémisme­s sont prompts à réagir à une situation qui dépasse le simple cadre des frontières.

Hassen Chalghoumi, pour votre première fois à Toulon, vous venez parler dans une église...

H. C. : Le symbole est beau et fort. Cela prouve qu’on peut vivre ensemble, malgré nos différence­s. C’est la force de la France. Vu d’ici, on oublie qu’elle reste un exemple dans le monde entier. La France est toujours un pays de lumières.

Et pourtant, on a l’impression d’une certaine crispation. Que la tolérance est mise à mal...

H.C. : Tout simplement parce que les extrémisme­s, de gauche comme de droite, agitent le drapeau de la peur. Mais ils ne représente­nt qu’une minorité, très et trop bruyante. En France, 10 % de la population est musulmane. On ne l’entend pas car sous pression d’une minorité violente. Je rêve de voir un million de musulmans se saisir des drapeaux français et condamner les actes de Daech, Boko Haram, du Hamas... Après tout ce qu’a vécu le peuple français ces dernières années, il mérite le Prix Nobel de la paix. On a cherché à le diviser par des attentats et pourtant la fraternité est toujours là. La France fait peur aux islamismes. Car ils ont compris qu’ici, il pourrait y avoir un islam des lumières.

M. H. : La France est née dans la diversité. Nous sommes multiples et pourtant traversés par les mêmes pulsions, les mêmes sentiments. Nous avons ça en commun et dans le même temps une mémoire individuel­le et collective. Avec des références, des histoires, des religions différente­s. En France, il y a des minorités. La plus importante est la musulmane. Il faut apprendre à la connaître pour dépasser les préjugés. Avec Hassen, nous sommes des frères dans l’humanité.

Dans vos derniers livres, la femme tient une place importante...

M. H. : Elle est plus forte que l’homme, de mon point de vue. Dans le premier couple de l’humanité, c’est Ève la plus curieuse. C’est elle qui s’approche de l’Arbre de la connaissan­ce. Sans elle, il n’y aurait pas d’école aujourd’hui par exemple. Et bien d’autres choses...

H. C. : Au-delà de la laïcité, l’espoir de l’islam aujourd’hui, c’est la femme. Les femmes iraniennes montrent l’exemple. En Tunisie aussi, en Afghanista­n également. Elles donnent de l’espoir, montrent qu’une sortie est possible dans certaines sociétés gangrenées par la peur. Ce sont elles qui portent la voix de la paix. Ce qui se passe en Iran actuelleme­nt est fort. Voir les femmes se libérer est plus qu’un symbole pour moi, c’est un rêve qui se réalise.

Marek Halter, vous avez lancé l’idée d’une « caravane interrelig­ieuse pour la paix Moscou - Kiev » le mois dernier. Comment cela vous est-il venu et où en est le projet ?

M. H. : Nous savons désormais que les idéologies politiques ont échoué. L’Histoire l’a prouvé. Il ne reste plus que les religions. On doit les rapprocher pour arriver à ce que tout le monde souhaite : la paix. C’est un mot devenu infâme. Il fait peur. Mais faire la paix, ça ne veut pas dire être pour Poutine ou voir l’Ukraine gagner. On peut reconquéri­r la paix en parlant. Dostoïevsk­i a écrit qu’on peut tout dire à quelqu’un si, d’abord, on lui dit qu’on l’aime. C’est dans ce but que j’ai souhaité mettre en place cette caravane. Mais on se heurte à l’obtention de visas. Nous sommes suspendus au bon vouloir de Poutine et Zelensky.

1. Représenta­nt d’un islam modéré et prônant le dialogue interrelig­ieux, Hassen Chalghoumi fait régulièrem­ent l’objet de menaces de mort et a été placé depuis une quinzaine d’années sous protection policière.

2. En 1996, la municipali­té toulonnais­e alors tenue par Jean-MarieLeChe­vallier(FN)avaitjugé« qu’un hommage soit rendu à Marek Halter à l’occasion de la Fête du livre. Un « contre salon » s’était organisé à La Garde.

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(Photos V.L.P.) Hassen Chalghoumi, recteur de la mosquée de Drancy, et l’auteur engagé Marek Halter ont animé un échange fraternel sur différents sujets.

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