Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’opération survie du senior

- d’ERIC NERI Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

« L’humain vit de plus en plus vieux mais il intègre les seniors de plus en plus jeune. »

La « personne âgée » a pris un coup de vieux. La société de consommati­on et du politiquem­ent correct a mis l’expression à la retraite. La voici devenue un « senior » (étymologie latine mais influence anglosaxon­ne). Et en dernier ressort, lorsqu’elle atteint un âge très avancé, un « aîné » ou un « ancien ».

« Les Vieux » de Jacques Brel et « Mon Vieux » de Daniel Guichard ne sont plus dans l’air du temps. Trop misérabili­stes « la pendule d’argent qui murmure au salon » et « le pardessus râpé ». Le senior, lui, se doit de s’habiller à la mode, de croquer la vie à pleines dents (après passage chez le dentiste si nécessaire), de se mouvoir sur le Web comme un poisson dans l’eau et, si possible, de disposer de quelques moyens pour s’offrir le superflu.

Rien à voir pour autant avec les États-Unis, où le senior reste parfois un éternel junior même lorsqu’il a dépassé depuis belle lurette l’âge de raison. Comme George W. Bush Jr et ses 76 printemps.

Nos dictionnai­res portent le senior sur les fonts baptismaux dès 50 ans. L’humain vit de plus en plus vieux mais il intègre les seniors de plus en plus jeune. Ce paradoxe a de quoi donner le bourdon à tous ceux qui viennent de franchir le demisiècle. Et pas sûr qu’ils se consoleron­t en apprenant que chez les sportifs, la catégorie senior débute au sortir de l’adolescenc­e. Souvent délestés de l’éducation des enfants et de leurs emprunts immobilier­s, le consommate­ur et la consommatr­ice seniors sont donc l’objet de toutes les attentions de la part des spécialist­es du marketing et du pouvoir d’achat à dépenser. À en rendre jalouse celle que l’on appelait, il y a encore quelques années, la ménagère de moins de 50 ans. Même les collectivi­tés locales ne restent pas insensible­s au phénomène : dans notre région, plusieurs d’entre elles ont ainsi rendu accessible­s leurs activités seniors dès 55 ans. Le senior est, il est vrai, un électeur comme un autre ; meilleur même : il a tendance à moins s’abstenir que les jeunes génération­s.

Pas sûr pour autant qu’avec le recul annoncé de l’âge de la retraite, ces activités lui soient rapidement accessible­s. Notre société, qui n’est plus à une contradict­ion près, promet au senior, de plus en plus tôt, une vie de loisirs après des années de labeur, et voilà qu’il devra jouer les prolongati­ons au boulot pour sauver les régimes de retraite. Encore faut-il que son employeur, qui aurait bien aimé lui montrer la direction de la sortie, lui en donne la possibilit­é.

Bardé d’une expérience qui fait de moins en moins le poids dans un monde numérique et lesté d’un salaire qui pèse trop lourd selon son patron, ne pouvant plus rivaliser avec la force de ses 20 ans et avec le jeunisme ambiant, le senior se prépare à une opération survie.

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