L’opération survie du senior
« L’humain vit de plus en plus vieux mais il intègre les seniors de plus en plus jeune. »
La « personne âgée » a pris un coup de vieux. La société de consommation et du politiquement correct a mis l’expression à la retraite. La voici devenue un « senior » (étymologie latine mais influence anglosaxonne). Et en dernier ressort, lorsqu’elle atteint un âge très avancé, un « aîné » ou un « ancien ».
« Les Vieux » de Jacques Brel et « Mon Vieux » de Daniel Guichard ne sont plus dans l’air du temps. Trop misérabilistes « la pendule d’argent qui murmure au salon » et « le pardessus râpé ». Le senior, lui, se doit de s’habiller à la mode, de croquer la vie à pleines dents (après passage chez le dentiste si nécessaire), de se mouvoir sur le Web comme un poisson dans l’eau et, si possible, de disposer de quelques moyens pour s’offrir le superflu.
Rien à voir pour autant avec les États-Unis, où le senior reste parfois un éternel junior même lorsqu’il a dépassé depuis belle lurette l’âge de raison. Comme George W. Bush Jr et ses 76 printemps.
Nos dictionnaires portent le senior sur les fonts baptismaux dès 50 ans. L’humain vit de plus en plus vieux mais il intègre les seniors de plus en plus jeune. Ce paradoxe a de quoi donner le bourdon à tous ceux qui viennent de franchir le demisiècle. Et pas sûr qu’ils se consoleront en apprenant que chez les sportifs, la catégorie senior débute au sortir de l’adolescence. Souvent délestés de l’éducation des enfants et de leurs emprunts immobiliers, le consommateur et la consommatrice seniors sont donc l’objet de toutes les attentions de la part des spécialistes du marketing et du pouvoir d’achat à dépenser. À en rendre jalouse celle que l’on appelait, il y a encore quelques années, la ménagère de moins de 50 ans. Même les collectivités locales ne restent pas insensibles au phénomène : dans notre région, plusieurs d’entre elles ont ainsi rendu accessibles leurs activités seniors dès 55 ans. Le senior est, il est vrai, un électeur comme un autre ; meilleur même : il a tendance à moins s’abstenir que les jeunes générations.
Pas sûr pour autant qu’avec le recul annoncé de l’âge de la retraite, ces activités lui soient rapidement accessibles. Notre société, qui n’est plus à une contradiction près, promet au senior, de plus en plus tôt, une vie de loisirs après des années de labeur, et voilà qu’il devra jouer les prolongations au boulot pour sauver les régimes de retraite. Encore faut-il que son employeur, qui aurait bien aimé lui montrer la direction de la sortie, lui en donne la possibilité.
Bardé d’une expérience qui fait de moins en moins le poids dans un monde numérique et lesté d’un salaire qui pèse trop lourd selon son patron, ne pouvant plus rivaliser avec la force de ses 20 ans et avec le jeunisme ambiant, le senior se prépare à une opération survie.