Vertical (Édition française)

APRÈS L’ANNAPURNA

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« À l’Annapurna, je n’ai pas eu que de la chance. La coulée a failli m’entraîner, mon appareil photo et ma moufle sont tombés : c’est de la malchance. La perte de l’appareil photo m’a d’abord ennuyé parce qu’elle me privait d’une photo de la paroi pour m’orienter. Plus tard, j’ai réalisé qu’elle me privait aussi d’une photo du sommet qui aurait servi de preuve pour mon ascension. (...) On m’a reproché l’absence de preuves, de même qu’on m’a reproché de n’avoir pas fait de relevé GPS. Il est facile de critiquer de l’extérieur ce que j’ai fait – ou non. Celui qui n’a pas vécu des situations aussi exposées ne peut que mal juger mes décisions, si tant est qu’il soit capable de les juger. Ce n’est pas de l’arrogance de ma part, c’est comme ça. Si je n’avais pas fait ce qu’il faut à l’Annapurna, je n’en serais pas revenu, je n’aurais pas survécu. (...) Ceux qui doutent ne comprennen­t manifestem­ent pas que j’aie pu être concentré sur mon ascension au point d’oublier de ramener des preuves. Ce que je raconte ne peut être vrai à leurs yeux parce qu’aucun autre alpiniste n’a osé se lancer en solo dans une telle voie. Le fait que je ne me sois pas toujours exprimé avec entrain à cause de mon état psychologi­que après l’ascension a renforcé la méfiance. (...) Qu’on affirme ainsi que je mens m’accable. J’admets qu’il y a dans l’histoire de l’alpinisme des cas où des alpinistes ont fait gober des histoires de succès. L’alpinisme n’est pas un sport comme les autres, avec des règles fixes, des contrôles antidopage, des chronos officiels ou des mesures d’altitudes. Un des fondements de l’alpinisme, c’est la foi dans la parole des protagonis­tes. »

Ueli Steck

Une autre vie, Chapitre II, Annapurna, de la cime à l’abîme, éditions Paulsen 2017.

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