SAINT- OUEN- SUR- SEINE, VILLE D’ÂME ET D’AVENIR
Une conjonction d’événements et d’acteurs forme un incroyable précipité dans lequel il faut s’immerger pour appréhender la ville qui s’esquisse. Entre son coeur historique, les Puces, première concentration au monde d’antiquaires, ses bâtiments industriel
Acteurs, conjonctures et événements... illustrent cette ville qui pose les grandes lignes du vivre-ensemble.
Quand je reçois une délégation étrangère, et que de mon bureau, ils voient les grands monuments iconiques de Paris, le Sacré-Coeur, le nouveau Palais de Justice, la tour Eiffel, la tour Montparnasse… avec en premier plan, toutes les grues à l’oeuvre dans Saint-Ouen, ils sont impressionnés. C’est important de montrer ce Grand Paris qui bouge… On vit au rythme du monde à Saint-Ouen. » Valérie Pécresse, présidente, a choisi l’écoquartier des Docks comme nouveau lieu d’implantation du Conseil régional d’Île-de-France, après le très chic VIIe arrondissement. « C’était un engagement de campagne de transférer le siège suivant trois objectifs : en montrant d’abord qu’il n’y a pas un bon et un mauvais côté du périphérique, que le déménagement n’est pas seulement un changement d’adresse, mais une opportunité pour transformer l’administration (travail plus collaboratif, open space, télétravail, etc.) et de diminuer le coût de fonctionnement, car nous étions répartis sur une quinzaine de sites. » Opter pour Saint-Ouen lui apparaît comme une évidence, ignorée par certains Parisiens, qui n’en perçoivent que ses quelques tours et sa ligne 13 du métro. Demain, la ville concentrera le plus grand hôpital du nord de Paris, l’équivalent du Georges Pompidou au sud, un réseau de transport augmenté avec la ligne 14, le Grand Paris Express et la gare Pleyel, connectée à la Défense et aux aéroports, le village olympique, Universeine… « Notre arrivée s’inscrit dans cette dynamique et y participe. Nous voulons montrer une administration sobre, économe, numérique. Il n’y a pas un territoire, une fonction, une citédortoir, mais des fonctions : habitations, bureaux, loisirs, valorisation du patrimoine industriel. » Olivier Saguez, fondateur et directeur général de la Manufacture Design Saguez & Partners, conçoit avec son équipe l’aménagement intérieur du Conseil régional. Ce pionnier de Saint-Ouen – il y ancre son agence de design global dès 2003 – compose dans ces amples constructions de l’architecte Jacques Ferrier, 33 000 mètres carrés pour 1 400 agents, un environnement générateur d’une autre façon de travailler, décloisonnée, vive, innovante. Il pratique pour l’administration ce qu’il a lancé avec la Manufacture Design, installée dans les Docks et à l’initiative de cet éco-quartier. Les couleurs scandent l’espace, les lieux de rencontre se multiplient version tisanerie ou bibliothèque, l’envergure des bureaux ouverts élargit les horizons… de réflexion. Olivier Saguez met en exergue « la vue directe des salariés par de larges baies vitrées sur leur sujet même de travail : cette ville du futur en gestation. Ils sont les acteurs d’un nouveau vivre ensemble. » L’implantation du Conseil régional d’Île-de-France acte le nouveau Saint-Ouen-sur-Seine.
SAINT-OUEN, LE LAB DU GRAND PARIS PAR OLIVIER SAGUEZ
« Il y avait plus de 100 hectares en jachère, soit un quart de la commune. Il s’agit de générer la ville de demain dans la richesse de sa mixité, plus de 100 nationalités, dans sa jeunesse “qui a le sens du système D”, dans sa durabilité. » La Manufacture Design est éco-conçue, toute en bois, avec son jardin tropical, dans l’ancienne Halle Alsthom, en bordure de Seine et d’un parc de douze hectares. Ce vaste terrain des Docks a permis d’anticiper l’enlèvement des ordures par aspiration, récupérées directement par l’usine de chauffage urbain, de penser parking et espaces verts partagés, de créer une mixité entre habitations, bureaux, commerces. « L’agence travaille, réfléchit, observe et imagine les nouvelles formes du vivre en ville : nouveaux quartiers, nouvelles mobilités, nouveaux comportements, nouvelles consommations, nouveaux usages et nouvelles attitudes dans le développement durable. » Saguez & Partners s’est vu décerner en novembre dernier le prix « Best of the Year Extra Large Office » pour le siège du Conseil Régional au Best of the Year Design Awards, saluant la mutation en « Pop open space » de l’administration publique. La Manufacture Design accompagne, aussi, gracieusement les nouveaux commerçants dans la conception intérieure et l’identité visuelle de leur point de vente. La fromagerie du Père Michel en est le premier exemple. Engagée auprès d’une quinzaine d’associations de Saint-Ouen, elle insuffle une énergie créatrice. « Les projets, on s’y inscrit ou on les porte.»
LES PUCES, PÉPITE À RAYONNEMENT INTERNATIONAL
Cinq millions de visiteurs par an (sept millions pour la tour Eiffel) déambulent d’allées en stands dans la dizaine de marchés : Paul-Bert et Serpette, Dauphine, Vernaison, Jules Vallès, Biron… Aucun endroit au monde ne peut revendiquer une telle richesse d’antiquités, d’arts ethniques, de vintage, d’accessoires couture, de mobilier industriel, de cabinets de curiosités, de vestiges de châteaux, de design… Promenade éclairante, inspirante, surprenante. Traverser les époques, remonter le temps. Leçons de choses au marché Vernaison autour d’un oeuf de dinosaure ou d’une dent de mammouth, leçons de mode dans l’allée 1 de PaulBert entre les vêtements signés Margiela ou les dernières collections de Phoebe Philo pour Céline, déjà recherchées, ou encore leçons d’histoire(s) auprès de spécialistes du XVIIIe, des arts décoratifs, du
design des années 1950… Un musée à ciel ouvert mais marchand. On déniche un cadre du XVIIe surmonté d’angelots, un kimono aux vanités revêtu par des samouraïs, d’un fauteuil « Egg » d’Arne Jacobsen, une table de Gio Ponti. « Imaginer l’impossible, il arrive », dixit Marcel Campion, le roi des forains. Car aux Puces, tout est possible, se déniche, s’acquiert. On rêve en tournant les pages de la première édition anglaise du Livre de la Jungle, ou celles de la revue Derrière le Miroir consacrée à Chagall éditée par Maeght à la librairie de l’Avenue. L’acheteur suprême se révèle être JeanCyrille Boutmy. À la tête de Studyrama, collectionneur averti, il acquiert en 2014 les marchés Paul-Bert et Serpette et assure depuis leur montée en gamme. « Dès qu’une pièce côtoie l’exceptionnel, et ce n’est pas une question de prix, mais de rareté, d’originalité, de facture, elle se vend rapidement, comme cet avion de brousse des années 1930-1940 lors de la Fête des puces. C’est un lieu de passion, à préserver, au même titre que la tour Eiffel, le parking est des années 1930, les petites maisons typiques et colorées bordent toujours les allées, c’est l’authenticité des Puces. » Béatrice Mellet qui orchestre le marché Dauphine, a installé sous la verrière, un des spécimens de la maison sur pilotis « Futuro », un habitat préfabriqué conçu par le Finlandais Matti Suuronen, témoin de l’architecture utopique des années 1960. Autour se déploient des stands revendiquant des propositions éclectiques : du mobilier de la Banque de France aux lustres Baccarat en passant par des meubles « Space Age » sortis tout droit d’Orange Mécanique. S’installent aussi des artistes-artisans : la peintre Isabelle Delannoy, l’encadreur restaurateur spécialiste du XVIIe, XVIIIe, Simon Sfez ou Sophie Gallardo et Georges-Guillaume Cassan de Birch Bark qui pratiquent la marqueterie à base d’écorce de bouleau. Les Puces vont encore grandir. Les ateliers Steinitz deviendront demain un projet mixant immobilier et galeries.
ATELIERS DES BEAUX-ARTS DE PARIS, MAINS D’OEUVRES… LIEUX D’ART ET D’IMAGINATION
« Dans ce bâtiment les arts renvoient les impossibles dans les cordes. » Quelle devise affichée, revendiquée, inscrite en grandes lettres sur la façade de Mains d’OEuvres, lieu alternatif et collectif de création, installé depuis vingt ans dans l’ancien Centre social et sportif des usines Valeo, destiné au bien-être de ses employés. Mains d’OEuvres reçoit plus de 200 artistes en résidence dont les créations se donnent à voir lors d’expositions, très fréquentées par les collectionneurs.
Danse, théâtre, concert, performance, peinture, sculpture… tous les arts sont représentés. À la cantine, entre plantes grasses et canapés de récupération, quelques fumets d’une cuisine familiale folâtrent avec les conversations artistiques. Au sous-sol et dans les étages, vingt studios de musique, une salle de concert, un studio d’enregistrement, une salle de cinéma, etc. où les amateurs côtoient des professionnels reconnus. « Lieu pour l’imagination artistique et citoyenne », il propage son énergie créative à tous : une école alternative de musique jazz, musique de chambre, slam, saxophone, chant… et dispense des cours collectifs et des stages d’une semaine – repas et goûter inclus – ainsi qu’une programmation riche en conférences et festivals. À quelques mètres, en voisins sur la rue des Rosiers les étudiants des Beaux-Arts de Paris se forment à Cap Saint-Ouen, dans une ancienne imprimerie. Lors de l’installation des sept ateliers, le directeur de l’école, Henry-Claude Cousseau, résumait « ces conditions exceptionnelles aux enjeux de la création plastique tout en bénéficiant d’un environnement professionnel et urbain stimulant et propice à leur engagement artistique… immergés dans le quotidien des Puces ». Forge, taille, matériaux composites, céramique, mosaïque, moulage, l’artiste Olivier Blanckart en charge de l’atelier modelage rappelle : « Le principe de l’école se base sur les ateliers. Ils ont des fléchages techniques, morphologie, sculpture… À Saint-Ouen, les étudiants sont confrontés à la résistance technique du médium, comme une idée se heurte à la réalisation. L’idée prime sur l’exécution. » Les moyens à disposition sont exceptionnels, à l’exemple de la forge à l’initiative d’une ancienne diplômée des Beaux-Arts, Carole Leroy, ou de l’atelier céramique de Claude Dumas avec un four pouvant cuire une pièce de deux cent cinquante kilos, ou encore les matériaux composites, véritable laboratoire de recherche et d’expériences.
DES LIEUX HYBRIDES LE LONG DE LA VOIE FERRÉE
De nouveaux concepts s’inscrivent dans cette dynamique créative alliée à la dimension sociale, sociétale et éthique, croisant le monde professionnel et le grand public. Dans d’anciens locaux de Fenwick, Commune Image a lancé ce qui pourrait s’apparenter à une maison du cinéma. Tous les métiers sont représentés, « depuis l’idée originale jusqu’à la diffusion », dixit Caroline Safir, directrice générale adjointe. Décorateurs, réalisateurs, diffuseurs… Tous se retrouvent au rezde-chaussée dans un étonnant restaurant familial, évidemment, avec terrasse sur la voie ferrée et toujours du mobilier chiné, des
écrans où passe un film en noir et blanc. Mais l’ambiance n’est pas à la nostalgie. Cette entité du groupe SOS, première entreprise sociale européenne, collective, communautaire, engagée dans la démocratisation de la culture, est le premier dispositif structurant de réalité visuelle en France. Le long-métrage documentaire 16 Levers de soleil, qui retrace l’épopée spatiale de l’astronaute Thomas Pesquet de l’ESA (Agence spatiale européenne), réalisé par Pierre-Emmanuel Le Goff, a été confectionné ici. « Cette excellence artistique est à destination de tous et des plus fragiles. » Commune Image lance des projections gratuites tous les mercredis et propose des partenariats avec les associations de la ville, comme le club de foot. Juste à côté, l’ancienne gare de Saint-Ouen-sur-Seine se dresse majestueuse dans ses habits neufs. Saint-Ouen semble exercer une attraction auprès de nouveaux aventuriers culturels. La famille Geraerts – le père, Léo, créateur de la société Gros Ours du Brabant ; la mère, japonaise, reine du boutis ; et leur fils Ludo – a entrepris de restaurer à l’identique, avec des Compagnons du devoir, l’ancienne gare de 1830. Une aventure folle, plus de quatre ans de travaux, qui donnera demain des studios d’hôtes et des bureaux réservés à une entreprise culturelle.
LE MOB OU LA NOUVELLE HOSPITALITÉ
« Quand je suis rentré de Brooklyn, je cherchais un lieu en dehors de Paris, avec le même ressenti. Il n’y en avait en fait qu’un où poser le MOB, c’était Saint-Ouen, entre briques et tours, totalement unique. » Cyril Aouizérate n’en est pas à son premier hôtel. Il en a déjà redéfini les paramètres avec le Mama Shelter de la rue de Bagnolet, une approche low cost du luxe. Pour le MOB, il va plus loin «à l’intersection d’un lieu culturel et d’un mouvement associatif au sein d’une enceinte industrielle. Je ne voulais pas venir en décalage avec le quartier, la réalité sociale et les Puces qui sont à deux pas. » Il investit dans une ruelle une structure en U, la dote d’une immense salle à manger avec cheminée, larges canapés, immense baby-foot et des portraits de Karl Marx aux murs. Clin d’oeil à la ville qui est restée communiste pendant plus de quarante ans ou à son adolescence à la Ligue révolutionnaire ? En terrasse, des jardins sont cultivés par les habitants voisins. « On fait une sorte de bingo, ils postulent et sont tirés au sort. Les clients de l’hôtel les rejoignent autour de la récolte des poivrons, des melons. Résultat, les Audoniens – habitants de Saint-Ouen – les convient chez eux, pour les cuisiner. Vous imaginez les souvenirs que ces rencontres tissent. » Au sein de MOB, Cyril Aouizérate héberge l’école de mode de Nadine Gonzalez, Casa 93, accessible à tous les passionnés.
du 93, sans diplôme requis et gratuite. Après le Brésil, où elle créa sa première formation dans les favelas, elle récidive. « L’énergie est démultipliée, sans formatage, la diversité des personnalités booste la création. » Dans leur « salle de classe » du MOB, beaucoup de personnalités de la mode la rejoignent bénévolement. Telle Maroussia Rebecq, créatrice d’Andrea Crews, l’une des pionnières de l’upcycling – créer à partir de vêtements recyclés – fut la marraine de la première promotion. La deuxième était placée sous l’égide de Christelle Kocher, de la griffe Koché et également directrice artistique du plumassier Lemarié, l’un des ateliers d’art de la maison Chanel. Comme Maroussia Rebecq, elle a lancé un nouveau mouvement « street couture ». À l’horizon 2020, un MOB 2 ouvrira rue des Rosiers, « le MOB House avec Philippe Starck. On refait ce qu’on a fait par le passé, mais avec une réflexion prospective sur les entrepreneurs-nomades. Les chambres feront entre 40 et 120 mètres carrés afin de pouvoir y travailler et se réunir. En extérieur, piscine chauffée et forêt de 3 000 mètres carrés, le tout accessible à tous. On inaugure les No Membership, à l’opposé des spas parisiens. Je repense l’hospitalité, ce qu’elle pourrait être demain. »
«QUE SAINT-OUEN GARDE SA GUEULE D’ATMOSPHÈRE»
Telles sont les paroles de l’architecte Paul Chemetov à qui Saint-Ouen doit sa patinoire iconique, auteur aussi, entre autres, du ministère des Finances à Bercy, de la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum national d’histoire naturelle de Paris et des Halles. Il revient sur le devant de la scène. « Cette patinoire olympique, dans la veine d’un Beaubourg en plus hard, qui possède quand même une portée de 70 mètres alors que le musée en a 50, date des années 1980. Jamais entretenue, elle appelle le désir de la rénover. L’agence Saguez&Partners a proposé une remise en peinture qui, en modifiant l’image, en prolongerait l’usage. » Il décrit Saint-Ouen comme un mélange de bâtiments industriels, de maisonnettes, et bien sûr des Puces « fréquentées par les touristes éclairés ».« Il faut que Saint-Ouen garde sa gueule d’atmosphère, ce n’est pas une commune résidentielle endormie, plan-plan. D’ailleurs les nouveaux hôtels new-age comme l’intérêt montré par d’ingénieux investisseurs témoignent de cette reconnaissance. Elle porte cette vocation de transformation, les bâtiments sont faits pour évoluer, continuer. » William Delannoy, le maire, l’a bien compris : « Je ne sollicite pas les professionnels de l’immobilier, je cherche des bâtisseurs, dans le respect des contraintes architecturales. J’ai grandi dans les Puces, parmi les belles choses, bien travaillées. Je veux du beau même dans les quartiers populaires, dont la rénovation a commencé. Le mythique stade Bauer est en appel d’offres, la Halle gourmande des Docks sera le plus grand marché du Grand Paris. Je voudrais, comme ce qui se fait dans la décoration avec les Puces, que les futurs commerçants chinent des saveurs d’ailleurs qui se mêleraient aux produits du terroir. On a une patine de 120 ans, une belle histoire qui permet de garantir l’avenir culturel, économique, touristique. »