SACRÉMENT PERCHÉ
Un décor, des décors de films, hauts en couleurs. Des histoires à foison et des personnages en grandes conversations. Pénétrer dans le « bivouac » de Maryam Mahdavi, c’est partir en voyage, avec Michel Audiard, Woody Allen et la princesse aux pieds nus.
Lever les yeux au ciel. La créatrice-designer-scénographe Maryam Mahdavi est sur son balcon, Paris à perte de vue, en plan large, travelling de la tour Eiffel à Montparnasse, Notre-Dame, Beaubourg, planant au-dessus d’un enchevêtrement de toits en zinc. « Le soir, ici, ce sont Les Aristochats. Je voulais un pied-à-terre typiquement parisien, qui aurait pu avoir le premier rôle dans un film de Woody Allen. D’ailleurs de nombreuses scènes de Minuit à Paris se sont tournées juste en bas. » Aux cinquième et sixième étages d’un immeuble montmartrois, rose de surcroît, des pièces se juxtaposent et se superposent, sans portes. Libre circulation pour esprit libre. Des divans dans chacune, d’amples rideaux ceinturés, elles s’émancipent de leur fonction, de leur usage. « Je n’ai pas changé les volumes des chambres de service d’origine. Trop facile, trop stérile de tout abattre pour en faire un endroit aseptisé, que l’on retrouve partout aujourd’hui. » La cuisine n’est pas une cuisine : boule à facettes tournoyant à la pleine lune, papier léopard sur les placards, kilims pendus au- dessus du frigidaire et rideau de perle avec le portrait de Frida Kahlo. Le salon se fait jardin ombragé se jouant des verts, sapin, fougère, kaki, tapis tressés au sol, dessins de nus sortis des cadres sur les murs, portrait d’un de ses ancêtres qadjars trônant face à des Vierges à
l’enfant, en bois, en plâtre peint et une scène de petits marquis en biscuit du XVIIe siècle. La salle de bain est traitée comme un bateau. « Je suis une habilleuse de maison. Quand Ikea m’a sollicitée pour imaginer un appartement de trois cents mètres carrés uniquement décoré avec leur mobilier, j’ai écrit un synopsis “Marie-Antoinette goes to Ikea”, une femme très couture qui séduit Monsieur Ikea, Ingvar Kamprad. Ils ont demandé à Scorsese de me filmer quand je le concevais, une ambiance ultra-glamour qui ne nécessite pas d’argent ». D’une blouse vintage aux motifs colorés, elle en extrait un papier mural, d’une profusion de plumes, elle borde une table basse très « Zizi Jeanmaire », d’un stock de tapis de paille d’Ibiza achetés lors d’une vente aux enchères de décors de cinéma, elle les découpe pour les recomposer en patchwork mais aussi les mettre « en vitrail » sur des fenêtres sans grand intérêt. « Pas de limites, ni dans le désir, ni dans les couleurs ou les matériaux. Le but est d’être dans un état sensoriel. Que ça vibre. Je revendique le luxe pauvre, fait de pas grand-chose, de bouts… d’histoires. Rock. Décadent. Romantique. » Le soir, elle quitte momentanément son perchoir, délestée de ses escarpins, avec son bouledogue français, Carlitto, pour un verre à la terrasse du café à l’angle de la rue. Un été en pente douce pour « la princesse aux pieds nus » comme l’on surnommée les habitants du quartier.