Vivre Côté Paris

À FLEUR DE PEAU

- PAR Caroline Clavier PHOTOS Nicolas Millet

Génie du cuir, l’artiste Laurent Jardin alias Dragovan, lace, enlace, tresse, sangle, taille à l’infini sa matière de prédilecti­on.

Génie du cuir, l’artiste Laurent Jardin alias Dragovan, lace, enlace, tresse, sangle, taille sa matière de prédilecti­on à l’infini. Dans ses mains, cette seconde peau sublimée atteint l’exception d’une oeuvre sculptural­e. De l’art à l’artisanat, du brut au précieux, du minuscule au monumental, de la mode au design, le créateur joue les contrastes, les points de tension et la fragilité des équilibres.

La figure disparue d’un père serbe, énigmatiqu­e et lointain, lui a laissé le souvenir romanesque d’une silhouette à l’élégance canaille. À sa main, suite à un accident, celui-ci portait une belle attelle de cuir, « un cache-phalange » confection­né par ses soins, masquant son handicap dans un écrin de cuir patiné, relié au poignet par un bracelet. La pièce de cuir lustrée, cousue main, et son savant mécanisme fascinent à l’époque le jeune Laurent Jardin alias Dragovan. Au-delà de l’enfance, celle-ci cultive le mythe et devient force d’inspiratio­n. Depuis, le cuir est une terre d’expression inépuisabl­e, un creuset sensible comme un antidote à l’absence, comme un acte de mémoire. Très vite, créer, inventer devient essentiel pour Dragovan. Il fabrique des chaussures à la main pour ses amies, ses muses dont il façonne la silhouette, débutant ainsi l’aventure. Repéré par Titi Kwan, le styliste star de Hong Kong lui met le pied à l’étrier. Ses souliers-sculptures, ses guêtres portées sur talons aiguilles, ses semelles plateaux composées de lanières enlacées, nourrissen­t l’image d’une féminité mystérieus­e et racée qui prend vite le pas des podiums et de la haute couture. Le créateur de mode Haider Ackermann puis JeanCharle­s de Castelbaja­c, ou encore Rick Owens et Maria Luisa mettent son travail en lumière comme le prix l’Andam qu’il obtient dans la foulée. Un prix sponsorisé par le ministère de la Culture célébrant les jeunes talents de la création contempora­ine sous l’oeil attentif des grandes maisons. Pour le collection­neur Hubert Guerrand-Hermès, son curator David Magnin lui commande Pégase, une sculpture monumental­e à l’anatomie cuirassée. Le cuir sous toutes ses formes, sur tout support s’invite ainsi dans une multitude de créations, customise le moindre objet, sublime les surfaces. La matière se réinvente par le geste et l’intuition de Dragovan, dans une maîtrise doublée d’une liberté assumée. Comme l’équilibre vertigineu­x de ses chaussures hissées sur des talons, aujourd’hui, ses assemblage­s de fragments de bois, de métal et autres matériaux de récupérati­on juchés sur des socles défient la loi de gravité. À la manière de « pièces montées » suspendues, ses sculptures façonnées comme un collage cubiste en volume « recherchen­t l’improbable équilibre dans l’instabilit­é du monde… jouant la tension entre abstractio­n et figuration », souligne le philosophe Michaël Hayat. Comme des mobiles inversés, plantés au sol, entre art primitif et cubisme, ses assemblage­s poétiques rappellent combien la stabilité ne tient qu’à un fil.

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