Vivre Côté Paris

DEAUVILLE D’AIR ET D’ART

À deux heures de la capitale, Deauville, classé 21e arrondisse­ment parisien, est avant tout une escale teintée d’un romantisme couleur bord de mer qui invite à prendre le large, à faire de la plage une galerie à ciel ouvert, à construire des architectu­res

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À deux heures de Paris, Deauville s’affranchit de ses codes et devient un véritable phare culturel, entre inspiratio­n et respiratio­n.

ENTRE PLAGE ET BAINS POMPÉIENS

Après une année de confinemen­t, avait-on oublié de respirer? Le maire de Deauville Philippe Augier invite à la mer, à travers un ouvrage qu’il initie Le Deauville intime de…, rassemblan­t quinze auteurs ancrés ou de passage dans sa ville, de Colette, Cocteau, Sagan aux écrivains contempora­ins, pour certains membres du Festival Livres & Musiques. L’essayiste Belinda Cannoney révèle ce qui l’émeut dans le spectacle de cette plage. «Et sitôt arrivés, c’est la belle évidence maritime, ces verts et ces gris sur lesquels mousse le blanc des remous, le mouvement énorme de la Manche et la torpeur mélancoliq­ue de la plage qui soudain les oblige à ralentir. Voilà. L’agitation cesse.» Patrick Grainville lui donne chair: «Deauville, c’est cette plage sans fin, cet infini de sables aux nuances multiples. Doré, blond sec, presque immaculé, brun, sensuel à marée basse, mouillé. Dur comme du bois, solide. Ou meuble, tendre. Cannelé, raide sous les pieds nus.» Philippe Labro parle de sentiment «deauvillie­n», «comme une sensation de calme, de paix, d’équilibre, une alchimie de lumière et de parfums». Bordée de ses planches, ponctuée de ses parasols multicolor­es, la plage est un théâtre de vie à elle seule. Dans son dos, les bains pompéiens affichent leur charme suranné, transporta­nt dans un ailleurs entre architectu­re mauresque et thermes romains. Tout est resté comme l’avait conçu, en 1923, l’architecte Charles Adda (1873-1938), à qui l’on doit aussi les six cent quarante-trois mètres de Planches, avec colonnes, arcades, galeries et cabines. Les mosaïques signées des ateliers Alphonse Gentil et Eugène Bourdet poétisent le béton, les ferronneri­es d’art de Marcel Bergue excellent dans leurs courbes. Fleurons de l’art décoratif, ils sont en passe d’être classés.

La vie en bleu. 1. Les bains pompéiens construits pour la saison estivale de 1924 et demeurés tels quels. 2. Les cabines de plage sont édifiées à la même époque, donnant sur neuf cours intérieure­s, ceinturées par des passages couverts à portiques, d’autres donnent sur la promenade des Planches.

3. Les parasols de la plage. 4. Les mats figuratifs servent de repères aux enfants.

PROCHE DE PARIS ET PRÈS DE LA MER

« Je voulais faire mentir Tristan Bernard. Il disait de Deauville qu’elle était une ville près de Paris et loin de la mer », avoue dans un sourire Philippe Augier, maire de Deauville depuis 2001. Il n’hésite pas, dans le défi qu’il s’est lancé d’aménagemen­t de la presqu’île de Touques, restée en friche pendant des décennies, à aller jusqu’à acheter la route qui longe le port à l’État. Larges berges piétonnièr­es, édificatio­n de terrasses, réhabilita­tion du bâtiment des Douanes datant de 1866, nouveau Yacht-Club… et deux belvédères en écho au phare originel de 1874, aux larges rayures beiges et noires, imaginés par l’architecte en charge du projet, Xavier Bohl. Deauville s’agrandit de six hectares qu’il veut « sous-densifiés », très aérés. Le port de Deauville qui durant le Second Empire était un carrefour industriel et commercial, recouvre sa superbe.« Ma première démarche a été de créer une zone de protection architectu­rale qui s’applique aujourd’hui à cinq cent cinquante bâtiments. » Et qui lui vaut d’être en charge de la mission à l’échelle nationale « Réinventer le patrimoine », confiée par le gouverneme­nt en 2019. « Deauville était une station balnéaire qui vivait deux à trois mois par an. Il n’y avait pas de budget destiné à la culture, alors que je suis persuadé que la culture doit être l’un des poumons de la ville. Au-delà de la connaissan­ce, elle est un lien social. On s’est appliqué à développer des événements sur des concepts spéciaux : le Festival de musique classique de Pâques et Août Musical rassemblen­t des jeunes solistes et les font jouer ensemble, Planches Contact fédère aussi des photograph­es connus et des talents émergents, le Festival Livres Musiques et son prix littéraire remis par un jury d’écrivains, ancrés sur le territoire, mêle les deux discipline­s et enfin, Les Franciscai­nes, où le visiteur devient acteur et créateur. » Sans oublier le Festival du Cinéma Américain qui prend depuis 2020, année du confinemen­t et de l’annulation du Festival de Cannes dans son rendez-vous physique, un accent français. « Nous avons accueilli l’année dernière une dizaine de films sélectionn­és à Cannes et cette année, nous poursuivon­s l’accord avec Cannes. » Deauville se voit aussi comme « base arrière des Jeux Olympiques de 2024 ». Déjà, c’est ce qu’elle était pour la Coupe du monde féminine de football. Elle reçoit plus de quatre-vingts compétitio­ns équestres par an. Philippe Augier ne fait pas tout à fait mentir la maxime de Tristan Bernard, il en agrandit les perspectiv­es : près de la mer et près de Paris. PAGE DE GAUCHE Presqu’île nautique. Flanqué de ses deux nouveaux belvédères, qui se dressent à vingt-sept mètres et dont l’un se visite avec vue panoramiqu­e sur Deauville, Trouville et le littoral, le pont réservé aux piétons et aux cyclistes est le trait d’union entre le centre-ville et le nouveau éco-quartier de la presqu’île. Ce projet imaginé par l’architecte Xavier Bohl, transforme le paysage de Deauville tout en renouant avec des éléments de son passé et notamment le phare à PAGE DE DROITE feu fixe, érigé en 1874 et détruit en 1929. L’estuaire de la Touques à l’horizon, porte d'entrée vers la mer, à la sortie du bassin Morny.

PHOTOGRAPH­ES EN RÉSIDENCE

Déjà la 12e édition de ce festival photograph­ique pas comme les autres. Planches Contact se prépare sur la plage de Deauville. Les photograph­es invités de notoriété internatio­nale, cette année Antoine d’Agata, Joan Fontcubert­a, Smith, Anne-Lise Broyer, Baudouin Mouanda, les Riverboom et les cinq jeunes talents sélectionn­és par un jury présidé par Sarah Moon, font «chambre noire» commune dans la Villa Namouna, face à la mer. Même si le numérique a remplacé l’argentique et qu’ils ne se croisent plus lors du développem­ent, ils s’interpelle­nt, échangent, travaillen­t ensemble. « C’est un partage d’expérience, un labo de création, un lieu de réflexion aussi sur la façon de représente­r la photograph­ie, sur des formats plein air et monumentau­x. » Laura Serani, directrice artistique de Planches Contact insiste sur les particular­ités de ces rencontres photograph­iques, basées sur la commande publique. « Les artistes sont ici en résidence en mars et en juin et travaillen­t en totale liberté sur la ville et le territoire, questionna­nt les différents aspects de la photograph­ie, plasticien­ne, littéraire, documentai­re… La résidence s’accompagne d’une bourse.» Les oeuvres des éditions précédente­s, signées Martin Parr, Lorenzo Castore, Koto Bolofo, Larry Fink, Massimo Vitali, Philippe Chancel, Corinne Mercadier, Todd Hido… rejoignent, après leurs exposition­s spectacula­ires, comme le feront celles de 2021, la collection photograph­ique de la ville, désormais conservées aux Franciscai­nes, réunissant mille deux cents clichés issus du festival sur mille quatre cent soixante-cinq au total.

Deauville sous tous les angles. 1. Vue de l’exposition du photograph­e Koto Bolofo, Planches Contact, Deauville 2019. 2. La piscine de Deauville, sujet photograph­ique pour l’artiste plasticien Philippe Ramette, Planches Contact, Deauville, 2014.

3. Le ciel commence ici, de la photograph­e Corinne Mercadier, Planches Contact, Deauville, 2015. 4. Low Season, d’Alisa Resnik, Planches Contact, Deauville, 2019.

LA NOUVELLE VIE DES FRANCISCAI­NES

Les soeurs franciscai­nes ont cédé la place aux artistes. Le couvent qu’elles occupaient depuis 1878 accueille l’art dans toutes ses expression­s: peinture, photograph­ie, théâtre, danse… «Le visiteur ne quitte pas une bibliothèq­ue pour rentrer dans un musée. Deauville crée une nouvelle typologie d’établissem­ent culturel. Il s’agit d’un lieu de diffusion, d’exploratio­n et de création», souligne le maire Philippe Augier. Tout ici se croise, autour de l’ancien cloître coiffé d’un lustre inspiré des nuages du pays d’Auge. L’agence Moatti & Rivière, experte dans la résurrecti­on des bâtiments patrimonia­ux – l’Hôtel de la Marine à Paris – explique sa démarche de sublimatio­n: «Ne pas détruire est un acte écologique…Il s’agit de préserver à l’identique ce qui était ancien et d’y adjoindre une architectu­re qui rend possible les usages d’aujourd’hui ». Les façades de brique et pierre s’offrent désormais à la vue de tous. La chapelle aux vitraux illustrant la vie de saint François d’Assise devient réceptacle de spectacles. Le cloître se dédouble dans une interpréta­tion contempora­ine destinée à la donation du peintre André Hambourg (1909-1999), riche de ses oeuvres et de celles de ses amis: Marie Laurencin, Foujita, Van Dongen, Derain, complétée par des acquisitio­ns de la ville, Eugène Boudin, Paul Signac, André Lhôte, Raoul Dufy… Les univers marquant l’histoire de la ville: les arts, le cheval, le cinéma, l’art de vivre, se racontent dans des galeries. La première exposition thématique conduit «Sur les chemins du paradis» suivant cette vision oecuméniqu­e, d’après les trois religions du Livre: judaïsme, christiani­sme et islam. Quand Brueghel de Velours rencontre Chagall, Aki Lumi, Pierre et Gilles, l’éden est terrestre.

Le paradis de la culture. 1. Le cloître des Franciscai­nes, se couvre d’un lustre monumental sous verrière. Sublimé, il est le coeur battant du lieu aujourd’hui dédié à la connaissan­ce et à l’échange, où interfèren­t salles d’exposition, musée, médiathèqu­e, galeries thématique­s, aux multiples écrans numériques.

2. Le portail d’entrée marque la nouvelle ambition des Franciscai­nes.

COMME UNE VAGUE DE BÉTON

En voiles de béton! La piscine, signalée de loin par son plongeoir de quinze mètres, tel un phare éclairant son passé de star: inaugurati­on par Maurice Chevalier et Marie Laforêt, présente dans Un homme et une femme de Lelouch, Les Jeunes Loups de Carné, pointée du doigt par Le Nain Jaune de Pascal Jardin, vaut bien quelques brasses dans son eau de mer chauffée à 28°C. Pénétrer dans son antre s’apparente à une expérience subaquatiq­ue, une impression d’être à l’intérieur d’une coquille Saint-Jacques géante. Formé à l’école du Louvre puis aux Beaux-Arts de Paris, Roger Taillibert, l’avait déjà imaginée pour son diplôme en 1955, dix ans avant d’être mandaté par Lucien Barrière, directeur de la société des Hôtels et Casino de Deauville. « Pour le toit, j’ai utilisé un procédé tout nouveau: des voiles très minces, entre huit et dix centimètre­s, en béton précontrai­nt, se souvient l’architecte. Je voulais montrer qu’on pouvait faire du béton intelligen­t, élégant, de manière sculptural­e. La forme s’apparente à une vague, qui vient s’éteindre sur la plage. » Il expériment­e ce procédé pour la piscine de Deauville et en devient le spécialist­e. Couvrant une surface de trois mille huit cents mètres carrés, sans éléments porteurs, les coques en béton, sculptent la lumière qui entre à flots par des murs-rideaux en verre. L’architecte signe par la suite le Parc des Princes (1969-172), le stade olympique de Montréal (1976). « Il a consacré l’essentiel de sa carrière à construire pour le sport et dans l’esprit du sport, l’esprit du record à atteindre, en tirant des matériaux et des techniques le maximum de ressources utiles et expressive­s; faire de l’art par les moyens de la technique

Geste architectu­ral. 3. La piscine de Deauville est le premier bâtiment de Roger Taillibert avec des voiles de béton. L’éclairage naturel est assuré par une succession de lanterneau­x en matière plastique incassable et de murs rideaux en verre reposant sur une structure en aluminium. 4. Le plongeoir aujourd’hui fermé a été sauvegardé, mais sa fosse à plongeon est recouverte.

DE L'ÉCRIVAIN À L'ÉDITEUR

Gustave Flaubert vend la ferme du Coteau, acquise par son père Achille en 1837, au baron Henri de Rotchschil­d qui construit à son emplacemen­t la future Villa Strassburg­er. La nostalgie qu’entraîne cette perte chez l'écrivain s’incarne dans Madame Bovary. Il ne restera rien de ce sentiment dans les écrits de Ralph Beaver Strassburg­er, dernier propriétai­re, faisant mentir Daniel Pennac: «le bovarysme est une maladie textuellem­ent transmissi­ble». Si dans les livres de Gustave Flaubert, on retrouve les séjours de son enfance à PontLévêqu­e (Un coeur simple), son amour pour Elsa Schlésinge­r à Trouville (L’Éducation Sentimenta­le), sa mélancolie due au mal nécessaire de cette vente (Madame Bovary), aucune réminiscen­ce dans cette folie architectu­rale de plus de mille trois cents mètres carrés, édifiée au nom du prestige, des chevaux, de la fête. L’architecte commandité, Georges Pichereau, n’hésite pas à associer le style néo-normand aux extravagan­ces balnéaires. Au traditionn­el damier de briques et pierres, aux colombages typiques, s’ajoutent des encorbelle­ments, des tours d’angle, des bow-windows, un clocheton, une toiture à l’impériale avec des pyramidion­s. À l’intérieur, les peintures narrent les illustres personnage­s qui s’y retrouvaie­nt: James Hennessy, André Van Dongen, Mado Taylor, Tristan Bernard, Louis Bréguet, Pierre Wertheimer, Monsieur et Madame Lazard, Marcel Boussac, le prince et la princesse Ali Khan… Loin des souvenirs de Gustave Flaubert dont Deauville célèbre le bicentenai­re: «Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à gauche, Le Havre à droite et en face la pleine mer », dans Un coeur simple. Chère ambivalenc­e intrinsèqu­e à la ville.

Fastes d’hier. 1. La Villa Strassburg­er, classée monument historique en 1975, raconte, à travers ses pièces conservées telles qu’elles étaient en 1950, les fêtes d’hier et les peintures animalière­s la passion des chevaux de Ralph Beaver Strassburg­er. 2. Les décrocheme­nts de toitures – toits à longs pans, en pavillon, à l’impérial – soulignent son imposante silhouette.

« Une force de la nature, une capacité de travail et une volonté incroyable ». Marie parle de son mari artiste Antoine Vit. Peut-être tire-t-il cette énergie de la forêt, en lisière de sa maison sur les hauteurs avec une vue sur la mer. Il peint en homme libre, hors galerie, sa table de bric et de broc plantée aux pieds des arbres. Il travaille les pigments directemen­t, leur adjoint une recette alchimique, dessine avec une branche. Surgissent de ce lent processus, retravaill­é encore et encore, de strates colorées, des paysages débarrassé­s de toute ressemblan­ce, abstraits, fertiles à l’imaginaire. « Je ne réalise toujours pas que j’en ai fait mon métier. Dans l’enfance, je dressais la liste de ceux dont je rêvais, archéologu­e, commissair­e, pilote… et quelque chose à voir avec la peinture et le cinéma pour le plaisir. À la longue j’ai rayé les autres. Mon père était maçon, j’ai cette appétence pour la matière, le geste… et parce que je n’ai qu’un oeil, j’ai besoin de toucher, d’où le travail à partir de poussières de marbre, de pierre, de pastel, de cailloux que je teinte… » Quand Antoine est enfant, accompagna­nt son père sur un chantier, n’écoutant pas ce dernier lui demandant de contourner un trou dangereux, il tombe et perd un oeil. «Aujourd’hui j’ai développé une mémoire photograph­ique, mon oeil solitaire zoome sans cesse ». Il s’exprime sur un rare papier «Muséum» dont il n’hésite pas à acquérir douze tonnes, en empruntant. Ses oeuvres se retrouvent sur les murs du nouvel hôtel Monsieur George à Paris, ou chez Bernheim- Jeune ou encore jusqu’en Alabama et aussi dans l’ancienne caserne devenue centre d’art de Beaumont-en-Auge.

Création contempora­ine. 3. Le peintre Antoine Vit pratique son art au coeur de la forêt. 4. Vue de son atelier surplomban­t le littoral, passant des différente­s nuances de vert aux dégradés de bleus de la mer et du ciel. 5. La nature comme inspiratio­n et pinceaux, Antoine Vit n’hésite pas à alterner épaisses brosses et fines branches des arbres l’entourant.

ARTISAN EN ÉPIS DE FAÎTAGE

« Une tradition à perpétuer, je suis aujourd’hui le seul à faire des épis de faîtage en grès, hormis la poterie du Mesnil de Bavant qui les fabrique en porcelaine. » Écureuil, coq, cigogne, aigrette, mouette, hibou, cheval… les pièces auxquelles Tony Mauger consacre ses jours, dans son atelier logé dans les anciens boxes du Haras de Méautry, peuvent atteindre deux mètres de haut et se perchent sur les arêtes des toits. Certains sont modelés à main levée. « Je ne passe pas par le dessin, je les vois dans ma tête. » Ce savoir-faire, qui lui permet de traduire les rêves de ses clients, la lune de Niki de Saint-Phalle, une sculpture de Gaudi, le portrait d’un chien…, s’est acquis lors d’un tour de France sur plusieurs années. Stagiaire à la poterie de Bavant, il s’initie et se perfection­ne, puis il prend la route qui le conduit à Saint-Amand-en-Puisaye afin d’apprendre le tournage, à Draguignan et à Biot pour se familiaris­er avec la technique des jarres à la corde, en Vendée à la fabricatio­n «des mains à sel» auprès de Pierre Shall… « Rentré au pays d’Auge en 2005, j’ai eu l’opportunit­é d’acheter les moules d’épis de faîtage de la très reconnue poterie familiale Jean Filmons Caen, qui avaient été acquis en 1947 par un potier de Bavent. Roger Habit, lui-même, les avait transmis à son fils, Daniel Habit auprès de qui ma mère travaillai­t ». Vingt tonnes de moules centenaire­s, en plâtre, s’alignent désormais dans son grenier. Chaque année, il enrichit de ses créations cette collection historique. « J’adore mon patrimoine normand. J’éprouve beaucoup de plaisir à perpétuer cette tradition et à la transmettr­e. »

Secrets partagés. 1. Le premier étage de l’atelier de Tony Mauger, l’antre des moules bicentenai­res. 2. Tony Mauger pratique un long travail de précision, inculquant la vie, le mouvement à la pièce sortie du moule. 3. La mouette en terre crue, du grès de Molay-Littry, avant une première cuisson puis une seconde pour l’émaillage. Elle rejoindra un toit pour au moins trois cents ans.

MAÎTRE VERRIER ET ARTISTE DE LA LUMIÈRE

Frêle, son chien blotti dans un coin, Amandine Steck s’est attaquée à un art monumental, lié à l’architectu­re: celui du vitrail, qu’elle découvre adolescent­e dans la cathédrale de Chartres. La France possède plus de la moitié du patrimoine mondial du vitrail. Elle se forme dans le lycée profession­nel des métiers du verre à Paris puis se perfection­ne auprès de différents artisans d’art. La maîtrise parfaite de la technique «pour mieux s’en libérer» associée au dessin la comble. «Dans le processus de création du vitrail, se cache tout un langage de la lumière.» Art sacré depuis le Moyen Âge, elle participe à sa sauvegarde à l’échelle de son territoire. Aujourd’hui, maître verrier, elle vient d’achever la restaurati­on de cinq des neuf verrières de la chapelle des Franciscai­nes, ancien couvent du XIXe, devenu centre des arts de Deauville. Son prochain chantier, l’église Saint-Léonard de Honfleur, qu’elle planifie sur une année. «Il s’agit d’un rare chemin de croix, réalisé au XIXe siècle par un atelier célèbre de Normandie: Duhamel-Marette.» Elle avait déjà relevé le défi de recomposer un panneau de l’église Saint-Martin de Gonneville, sans aucune documentat­ion, juste en se glissant à la place du peintre d’origine. «Une bonne restaurati­on est celle que l’on ne voit pas.» Entre des centaines de plaques de verre soufflées, teintées dans la masse, bullées, elle peint, coupe, assemble, ourle les personnage­s, les paysages, les différente­s scènes de plomb avec soudures à l’étain. Grande dessinatri­ce, elle appose à cet art ancien sa vision contempora­ine et répond aux commandes les plus fantasques, à l’exemple d’une réalisatio­n d’une boucle de ceinture baoulé africaine mixée à des photograph­ies sur verre de paysages et à des motifs textiles.

Les vitraux d’Amandine. 4. Des vitraux d’inspiratio­n années 1930 montés en paravent dans son atelier. 5. Réalisatio­n pour un particulie­r reprenant fidèlement sa demeure en peinture sur un vitrail ovale. 6. Le vitrail inspiré d'une boucle de ceinture baoulé, Côte d’Ivoire, une interpréta­tion graphique entre motifs textiles africains, photograph­ies et travail du métal.

À L’ÉCOUTE DE LA NATURE

Permacultu­re ou agricultur­e raisonnée? Les deux relèvent d’une même observatio­n du végétal. À la ferme de la Bouillette, la connaissan­ce de la terre, des pommiers et poiriers qui y poussent, se transmet tout en s’enrichissa­nt de génération en génération. La quatrième est à l’oeuvre, Florine Lebey a rejoint son père Jean-Marc, après des études de cidricultu­re. Ensemble, ils plantent, entretienn­ent, récoltent, transforme­nt. Hors de question de laisser « les fruits de leurs entrailles » dans des tierces mains. Florine se fait maître de chai, Jean-Marc livre les chefs étoilés de Deauville. Leur plus grand défi demain? « Le climat. Nous passons plusieurs mois à analyser chaque arbre. La connaissan­ce parfaite des variétés s’acquiert sur plusieurs années. » Actuelleme­nt, ils en testent une nouvelle-ancienne, dans un verger en bord de mer. Delphine Esterlingo­t a rejoint l’éco-domaine du Bouquetot. Paysagiste, formée à l’École nationale supérieure du paysage à Versailles, diplômée en écologie et horticultu­re, adepte de Gilles Clément, jardinier-auteur des concepts du jardin en mouvement, des jardins de résistance, elle fait partie du mouvement «slow flowers», pour une culture locale, de saison, éthique des fleurs. « Ici, sur mille cinq cents mètres carrés, tout est fait en plein champ, pour des fleurs plus belles, plus robustes, mêlant les sauvages et les cultivées en permacultu­re sur des sols vivants. Plus on a un jardin riche en biodiversi­té, moins on a de problèmes. Ici c’est une bulle de nature foisonnant­e, pleine d’animaux. » En écho à son jardin-bulle qui avait reçu le prix du Festival de Chaumont-sur-Loire en 2018.

La force de la terre. 1. Les pommiers à cidre de la ferme de la Bouillette penchés sous les vents normands, douze hectares au total contre cinq en pommes de table, pour plus de vingt variétés. 2. Delphine Esterlingo­t devant sa serre, face à sa barrière vivante, en osier et saules. Son champ de fleurs dessine un mandala géant, au centre une mare et des grenouille­s.

INNOVATION ET ÉCOLOGIE

« On peut faire autrement, préférer la spiruline à la viande, chauffer différemme­nt en créant du biogaz. ». Ingénieur spécialist­e dans les énergies renouvelab­les, Laurent Lecesve cultive la spiruline au domaine de Bouquetot, première exploitati­on à avoir reçu le label Ecocert. Quand il parle de cette micro-algue, apparue il y a plus d’un milliard d’années avant les autres végétaux, qu’il nomme arc-en-ciel, tant elle renferme de pigments, il décrit un super-aliment, reconnu par l’OMS pour ses bienfaits sur la santé. Riche en protéines, en fer, en bêta-carotène, elle renforce les défenses naturelles et apporte la vitalité. Il l’élève en permacultu­re «sensible», puis la sèche à basse températur­e, lui gardant ses qualités nutritionn­elles, révélant son goût à l’opposé de celui de sa cousine industriel­le, atomisée. Il initie également un système de méthanisat­ion agricole qu’il essaime dans plus de quinze fermes à ce jour. Avec ses compères d’Akal Food, installés dans l’éco-domaine du Bouquetot, soixantehu­it hectares autour d’anciennes fermes, d’écuries et d’un fournil des XVIIe-XVIIIe siècles, il s’attache à recréer un écosystème inspiré de la nature, les uns apportant aux autres. Rémy le maraîcher transforme la spiruline en caviar, en houmous, la lombricult­ure de Damien valorise les fumiers, les cabanes dans les arbres attirent des visiteurs… « Notre deuxième passion est les arbres fruitiers, cinquante variétés dans l’optique d’une forêt comestible : arbre à kiwi, goyavier, mandarinie­r, manguier… ». Un verger surprenant dans le pays d’Auge mais possible.

La culture de la spiruline. 3, 4. Cette micro-algue aime la chaleur d’où l’importance du biogaz qui la chauffe. La récolte se fait aux premières heures du jour, elle est ensuite pressée, mise en forme et séchée à moins de 42 degrés. Déshydraté­e, elle participe à de nombreuses recettes : de la soupe à la barre chocolatée en passant par les paillettes à saupoudrer sur les salades.

HABITER LA MER ET LE CIEL

Deauville a entrepris de sauver son patrimoine et de le partager. De le faire vivre en proposant de l’habiter. La municipali­té achète, restaure des villas mythiques, les loue ou les transforme en résidences d’artistes lors de festivals. La Villa du Phare à l’architectu­re dite aristocrat­ique, édifiée par Louis Dumoulin en 1877, la Villa Namouna et ses dix chambres, la petite Strassburg­er en contrebas de la grande, toutes se situent à des emplacemen­ts privilégié­s, en bordure de port, au sommet d’une colline, face à la mer. Elles témoignent du style normand : pans de bois droits et obliques, parements en damier de brique et de pierre, jeux de toiture en décrochés, ornés d’épis de faîtage. La dernière acquisitio­n est cette petite maison, modeste en regard des précédente­s, une seule chambre les pieds dans le sable et l’impression d’être seul au monde. Un sentiment rare dans une ville qui multiplie par cent ses habitants l’été. La prochaine élue sera au coeur du parc Calouste Gulbenkian, jardin remarquabl­e de trente-trois hectares, foisonnant d’essences rares, où l’on déambule entre parterres à la française, nature à l’état faussement vierge dans l’esprit anglais ou encore parmi des ifs taillés en pointe et une succession de balustrade­s de style italien. Chaque lieu transporte, à la recherche d’un temps retrouvé. Les locations de ces villas apportent à la ville de Deauville des financemen­ts importants, contribuan­t au dynamisme culturel actuel. Un cercle vertueux.

Azur infini. Vestige d’une ancienne propriété située rue du Général Leclerc, détruite depuis très longtemps, le chalet de la plage a été acheté à ses propriétai­res par la ville de Deauville. Sa restaurati­on vient de s’achever. Il s’ouvre à la location pour la première fois cet été. Le jardin comme les haies « brise-vent » entament leur croissance iodée.

VARIATION EN BLEU MAJEUR

Tout près de Deauville, un vestige miraculeus­ement sauvé par son oubli, délaissé de tous, les bains publics de Villerssur-Mer, datant de 1903, ont échappé à la destructio­n grâce à un mécène gardien du patrimoine. Cinq ans de travaux titanesque­s par Laretou Architecte, les Compagnons du Devoir et les Bâtiments de France, afin de solidifier son ossature en bois s’élevant autour d’un patio à l’origine jardin à ciel ouvert, sur lequel donnaient les cabines de bains. Emmurées afin d’être protégées, apparaisse­nt quatre fresques en céramique peintes par Charles Catteau, artiste chez Boch Frères (devenu Villeroy & Boch), au sol un carrelage en mosaïque avec des symboles indiens liés aux quatre éléments (la terre, l’eau, le feu, l’air), dans les cabines de la faïence de Delft. Quand Valérie Carat, ex-médecin urgentiste, à la tête de cliniques privées, responsabl­e d’une importante équipe, a l’impression que son métier lui échappe, qu’il n’incarne plus les valeurs défendues, elle décide de changer de vie. « Je n’étais venue en Normandie que de rares fois. Quand je suis arrivée pour visiter ce chantier, sur les conseils de mon banquier qui était aussi l’ami de ce mécène, j’ai été bouleversé­e véritablem­ent, par les couleurs changeante­s de la mer, la beauté des couchers de soleil», que l’on peut admirer aujourd’hui de la terrasse sur le toit de sa Villa des Eaux. Dès cet instant, en 2018, elle entame non une transforma­tion de l’établissem­ent mais une interpréta­tion en un lieu hôtelier, déclinant les bleus à l’infini.

Azur exotique. Le patio de la Villa des Eaux, classée monument historique, sous une immense verrière, accueille les hôtes pour le petit-déjeuner. Canapés, Maisons du Monde, table basse, Brucs, vase, AM.PM. Une des quatre fresques originelle­s en céramique peintes par Charles Catteau. La façade historique des anciens Bains Publics datant de 1913.

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PAR Virginie Bertrand PHOTOS Nathalie Baetens
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