VOGUE France

Activiste avec stŁle

- Par Théodora Aspart. Photograph­e Karim Sadli. Portrait Sean Ellis. Réalisatio­n Aleksandra Woroniecka. Chemise col mao en laine, combi-pantalon en laine et alter cuir, boucles d’oreilles «Chevalière­s» en laiton, et chaussures à bouts carrés en alter cuir,

Il aurait fallu six heures et quart d’interview pour faire le tour de ce qu’elle a à dire… Vegan depuis l’enfance, militante par héritage de la cause écolo, STELLA McCARTNEY fait figure de pionnière, elle qui applique depuis le lancement de sa marque, en 2001, une éthique qui ne plaisante pas. Règle de base (et pas la plus simple) : ni cuir, ni fourrure, ni daim, ni plumes. Et elle en a comme ça toute une liste… Ça ne l’empêche pas d’affoler les podiums ni d’avoir un succès commercial délirant – son meilleur argument.

“Pas un gramme de cuir, même sur les chaussures… Je me voyais mal ne pas appliquer les préceptes de ma vie personnell­e à mon travail.”

ù l’on apprend des choses aussi variées que le nombre de chèvres qu’il faut tondre pour tricoter un cachemire (quatre, alors qu’un seul mouton permet de faire cinq pulls), ou le pourcentag­e dont on peut réduire son empreinte carbone perso en prolongean­t la durée de vie de ses vêtements de trois mois (10%). Sans parler de la quantité de bouteilles en plastique lâchées dans les mers chaque année (8 millions de tonnes), avec lesquelles elle fait désormais des chaussures et des sacs à dos, en associatio­n avec Parley for the Oceans. Des chiffres, si on en veut, Stella McCartney en a plein les tiroirs de ses bureaux londoniens, qui fonctionne­nt à l’énergie éolienne et où l’on imagine qu’est religieuse­ment pratiqué le «Meat Free Monday», mouvement qu’elle a contribué à lancer en 2009. Un QG ultra-green planté à Notting Hill, quartier où on la retrouve un après-midi d’été, dans un hôtel où elle a ses habitudes (et apparemmen­t, un compte qui n’en finit pas de grossir). Installée en terrasse, entre un bol d’amandes et une limonade bio, elle s’enflamme sur un sujet qui est, de fait, son sujet, parlant avec un débit de mitraillet­te et nous tapant volontiers sur le genou pour appuyer son propos, quand elle ne retire pas son escarpin (leather-free) pour nous le montrer de plus près… Il faut reconnaîtr­e à la créatrice anglaise d’avoir fait monter avant tout le monde une mode vegan et écolo sur les podiums : des fourrures sans fourrure, du daim sans daim, des jeans délavés au sable plutôt qu’à coups de détergents chimiques, des chaussures aux semelles en bois recyclé, des sacs cruelty-free, dont le Falabella, sans doute le seul it-bag garanti sans cuir. Son tour de force est qu’on aurait aussi bien pu ne pas le deviner – elle pense d’ailleurs que nombre de ses clientes ne s’en doutent même pas. Ce qui veut dire qu’elle attire avant tout par le style, et c’est parfait comme ça. Évoquons d’abord le début de votre love story avec la nature. Est-il vrai que vous ayez grandi dans une ferme ? Oui, absolument, dans une ferme bio du Sussex. Mes parents (Paul et Linda McCartney, si tant est qu’il faille le préciser, ndlr) avaient des conviction­s : nous sommes tous devenus végétarien­s quand j’étais si petite que je n’ai même pas le souvenir d’avoir déjà ingurgité de la viande ou du poisson. Les raisons de ce choix étaient purement éthiques alors qu’à l’époque, le peu de gens qui adoptaient le régime vegan le faisaient pour des questions de santé. Mes parents m’ont appris à avoir de la considérat­ion pour n’importe quelle créature, je n’ai jamais pu concevoir qu’on tue pour se nourrir. On a grandi en sachant ce qu’étaient les saisons et ce sur quoi poussait ce qu’on mangeait. Ma mère a été l’une des premières à introduire les burgers et les saucisses végétarien­nes en Angleterre... On ne peut pas dire qu’on ait toujours été bien compris. Il fallait se justifier tout le temps de ne pas manger de viande, les réactions étaient souvent agressives. Aujourd’hui, quand vous dites que vous êtes végétarien, au mieux, on trouve que vous êtes dans le vrai, au pire, tout le monde s’en fout. Vous avez, à ma connaissan­ce, créé la seule grande marque de mode éco-responsabl­e depuis le jour 1... Et même avant ! J’ai opté pour la version sans compromis dès mon défilé de fin d’études, à Central Saint Martins : pas un gramme de cuir, même sur les chaussures. L’idée de faire autrement ne m’a jamais traversé l’esprit. Je me voyais mal ne pas appliquer les préceptes de ma vie personnell­e à mon travail. Je vous laisse imaginer la perplexité ambiante quand j’ai annoncé que je n’allais utiliser ni cuir, ni fourrure, ni rien d’autre du genre… Les alternativ­es existent ou vous devez tout développer vous-mêmes ? Rien n’existe. On a dû mettre au point un faux cuir convaincan­t, cet Eco Alter Nappa qu’on utilise depuis quelques années, qui se compose de polymères et dont l’apprêt contient surtout de l’huile végétale. On vient de passer trois ans à mettre sur pied une production de viscose durable, puisque comme chacun sait la viscose est un dérivé de bois qui cause une déforestat­ion massive... Un jour, j’ai voulu employer des sequins, sauf que je rejette tout ce qui s’approche du PVC. Le fabricant m’a montré les trois pauvres types de sequins auxquels j’avais droit : pas de chance, il y a du PVC partout et, à mon avis, plein de gens de la mode ne le savent même pas. La saison suivante, je suis revenue à la charge et c’est là qu’on a commencé à trouver des solutions alternativ­es, comme des métaux recyclés.

Et la fourrure ? Je m’en suis passée pendant fort longtemps. Ça a pris une éternité d’en élaborer une fausse qui me convienne. Douze ans, peut-être. Avec, in fine, des tas de débats au bureau : puisqu’on avait réussi à en obtenir une plus vraie que nature, est-ce qu’on n’allait pas faire la promotion de la fourrure malgré nous, en laissant nos manteaux se promener dans la rue ? Voilà comment j’ai eu l’idée de l’étiquette «Fur-free fur», cousue à l’extérieur des vêtements, bien visible. Et il y a le problème du cachemire, aussi ; désormais on utilise uniquement du reconstitu­é, car la demande est telle que l’élevage intensif de chèvres est un désastre pour les steppes de Mongolie. Vous voyez toutes les saletés qui restent sur le sol, après qu’une belle pelote luxueuse a été formée ? Ce sont ces saletés qu’on récupère et dont on fait de magnifique­s pulls. Le cuir est-il toujours une matière de luxe ? Franchemen­t, pour moi, c’est l’une des plus cheap. Allez dans n’importe quel supermarch­é, vous y trouverez des sacs en cuir à trois sous. Ma version à moi dure plus longtemps et vieillit mieux… Si vous deviez prendre une mesure d’urgence à l’échelle de l’industrie de la mode tout entière, ce serait la fin du cuir ? Sans hésiter. C’est la pire pratique de la mode, celle qui a le plus d’impact sur notre écosystème, et qui plombe tout le bilan carbone des grandes maisons, entre parenthèse­s. Le simple fait de ne pas y avoir recours fait redescendr­e le mien de manière démente. Ce n’est pas un secret, les chaussures et la maroquiner­ie sont ce qui fait tourner les grandes maisons. Qu’en est-il pour vous ? Idem, mon business numéro 1, c’est l’accessoire, fût-il en faux cuir. Je crois que c’est le design qui compte, chez moi comme chez les autres. Ce qui a fait le succès du sac Falabella, mon best-seller, ce n’est pas l’éthique, c’est son look. D’ailleurs, je parie que beaucoup de celles qui l’ont acheté n’ont même pas remarqué qu’il n’était pas en cuir. L’ironie de ce succès, c’est qu’en me promenant l’autre jour dans Paris, j’ai encore vu un vendeur de rue étaler des tas d’imitations du Falabella… en authentiqu­e cuir. Je sais, ça me rend malade. Mais ça confirme ce que je dis : le cuir n’est plus un luxe, c’est du tout-venant. Ça coûte moins cher aux contrefact­eurs de reproduire ce sac en vraie plutôt qu’en fausse peau. Quand vous faites des collection­s comme celle de l’automne-hiver 2017/2018, tout en «skin-free skin», comme vous dites, est-ce que vous essayez de challenger les autres marques ? Non, je ne suis pas là pour donner des leçons de morale, ni pour compter les points. J’essaie juste de questionne­r les choses et de montrer qu’on peut procéder autrement. Ma mère était très différente de moi là-dessus, elle vous balançait ses arguments en pleine face, était hyper-virulente et ne s’excusait jamais. Elle m’a embarrassé­e des tas de fois. Était-elle entendue, au moins ? Disons qu’elle était aussi écoutée que moquée... Elle est morte il y a vingt ans et c’est maintenant qu’on lui donne raison. Comment ça se passe, quand on a votre éthique et qu’on collabore avec des mastodonte­s comme Adidas, H& M ou Procter & Gamble ? On s’entend sur une charte dès le départ. Parfois, il y a de bonnes surprises. C’est à travers la collection qu’on a faite ensemble, en 2005, que H& M a introduit le coton bio. Ça coûte combien, de produire responsabl­e ? Tellement plus cher… Prenez une chaussure, par exemple, qu’on fait fabriquer dans les mêmes manufactur­es italiennes et espagnoles que les autres marques de luxe : une fois que vous vous êtes ruiné à mettre au point le faux cuir ad hoc et à trouver la bonne colle sans poisson, vous devez former les artisans à ce nouveau matériau qui ne réagit pas exactement comme du cuir véritable, reparamétr­er les machines... Ça prend un temps infini, ça coûte une fortune. Et puis il y a tous ces impôts absurdes : les États-Unis ponctionne­nt une taxe de 30% sur le faux cuir, par exemple. Qui a inventé ce truc-là ? Je l’ignore. Il existe aussi des taxes aberrantes sur les matériaux recyclés, peut-être soustendue­s par des histoires de lobbying insensées, je ne sais pas. On ne parle pas de mode, là, on parle de politique. Est-ce que vous avez quand même l’impression que les choses évoluent dans le bon sens ? Non. Rien ne change, vous ne pensez pas? Ça vous met en colère ? Non, ça m’apporterai­t quoi ? Est-ce que je suis frustrée ? Oui. Triste ? Aussi. En colère, je le serai peut-être un jour quand tous les efforts qu’on a déployés, tous les plâtres qu’on a essuyés, profiteron­t aux autres, et encore... Je trouve surtout la situation complèteme­nt ridicule. En dehors de l’alimentair­e, quelle autre industrie que la mode décime autant d’animaux ? C’est honteux, c’est barbare, c’est archaïque. La mode, c’est innover et anticiper, ce qui est finalement ce vers quoi me pousse mon «work in progress» éthique. La cruauté et l’irresponsa­bilité, c’est ça qui est démodé…

“En dehors de l’alimentair­e, quelle autre industrie que la mode décime autant d ’animaux ? ”

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