Tippi Hedren
Quand Hollywood lâche les fauves
S’il vous était venu l’idée de rendre visite à Tippi Hedren, star hitchcockienne des Oiseaux et de Pas de printemps pour Marnie, dans les années 70, vous auriez eu toutes les chances de tomber nez à nez avec Neil, son lion de compagnie, entre les dalles de la piscine et le living-room. Lors d’un tournage en Afrique en 1969, Tippi et son mari d’alors, Noel Marshall, avaient été sensibilisés à la cause des grands fauves. Rentrés à Hollywood, ils avaient décidé de produire ensemble un film que Noel réaliserait, intitulé
Roar, retraçant le destin d’une famille assaillie par toutes sortes d’animaux sauvages dans sa propre maison – drôle de pitch pour défendre une espèce, on en convient. Le film, échec cuisant au box-office, n’a pas laissé grande trace dans les mémoires cinéphiles, mais une ébouriffante série de photos prises dans la villa californienne des Hedren-Marshall, commanditée par le magazine Life, cristallise un degré de folie, de beauté et de puissance iconique rarement atteintes, même à Hollywood. On y voit Tippi Hedren narguer un fauve consentant en lui crachant de petits jets d’eau à la figure, sa fille Melanie Griffith, alors une adorable nymphette de 13 ans, sauter dans la piscine tandis qu’un lion lui enserre le mollet de sa mâchoire, ou encore au lit avec lui comme s’il s’agissait d’une peluche achetée à Disneyland, tout clignote «Bienvenue chez les frappadingues les plus perchés de Babylone» ! Dans le souci de préparer adéquatement le film, et conseillés par un dresseur, Marshall et Hedren avaient tout simplement décidé d’élever un lion, chez eux, comme un gros chat ; avant, suite à des plaintes de voisins, de mettre en place une vraie réserve nommée Shambala, qui accueillera des centaines d’animaux sauvages en Californie du Sud et dont Tippi Hedren, 87 ans, s’occupe encore aujourd’hui. «Aucun animal n’a été blessé durant le tournage de ce film. Mais 70 membres de l’équipe l’ont été.» Voilà la phrase d’accroche qui orne l’affiche de Roar, longtemps surnommé «le film le plus dangereux jamais réalisé». Le tournage homérique, qui devait durer neuf mois, s’étalera sur plus de cinq ans. Le futur réalisateur de Speed, Jan de Bont, alors directeur de la photo, est scalpé par un fauve : 220 points de suture. Melanie Griffith est mordue au visage : chirurgie reconstructrice. Un assistant échappe de justesse à la mort après qu’un lion a raté de peu sa jugulaire. Noel Marshall est blessé à de nombreuses reprises, tant et si bien qu’il faudra le soigner de la gangrène. Jusqu’au jour où Timbo l’éléphant, contrarié, éjecte Tippi Hedren de son dos : jambe cassée. Presque une broutille pour celle qui en avait vu d’autres : assaillie de volatiles sanguinaires dans Les Oiseaux, elle a surtout lutté pendant des années pour échapper aux assauts sexuels du maître du suspense. Lorsqu’elle revient sur cette folle aventure aujourd’hui, même si elle a toujours réfuté le nombre des 70 victimes qui a fait la légende du film, Tippi Hedren admet : «Je ne sais pas comment nous avons survécu. Mon mari est allé à l’hôpital tant de fois qu’ils auraient pu inaugurer une aile à son nom. À l’issue du tournage, j’ai alerté le gouvernement sur les gens qui accueillent des félins comme animaux de compagnie. Ce sont de redoutables prédateurs qui dominent la chaîne alimentaire, et parmi les animaux les plus dangereux au monde!» Il n’empêche, voir la muse fantasmatique d’Alfred Hitchcock enjamber, en robe d’intérieur style Pucci et petites mules dorées, un fauve majestueux dans sa cuisine de Beverly Hills, eh bien ça avait une sacrée «gueule».