“Ma mère a été héroïque”
La famille a une résonance particulière dans la vie de NATALIA VODIANOVA. Née dans une famille pauvre, élevée par une mère courage au côté d’une soeur autiste, la SuperNova des podiums a elle aussi cinq enfants. Depuis 2004, elle oeuvre pour améliorer le sort des autistes et de leurs familles en Russie avec sa fondation Naked Heart.
Vous êtes mère de cinq enfants, parmi lesquels quatre garçons. Avec leurs pères, cela fait un total de six hommes autour de vous… Vous sentez-vous parfois en minorité ? [Rires] Oui, d’autant que je n’étais pas du tout habituée à cela, j’ai été élevée par ma mère et nous étions trois soeurs. Donc, notre maison était à l’inverse remplie de filles ! Imaginiez-vous avoir beaucoup d’enfants ? J’ai toujours voulu avoir des enfants et je me souviens l’avoir déclaré à ma famille lors de l’anniversaire de mes 6 ans. Nous avons coutume en Russie de porter des toasts et de prononcer des voeux. Moi, j’ai levé mon verre et j’ai dit: «Quand je serai grande, je veux être une mère, mais je ne veux jamais me marier. Je veux avoir des enfants toute seule, et je ne veux pas qu’ils aient de père.» Pourquoi avoir exprimé ce voeu ? Parce que mon beau-père avait quitté ma mère. Nous nous sommes retrouvées seules à tenter de subvenir à nos besoins les plus élémentaires, comme se nourrir ou se chausser. Ma mère enchaînait les petits jobs ingrats et mal payés et s’occupait de ma soeur autiste. Elle était sans arrêt exténuée. Quand on a une mère qui doit se consacrer à 100 % à sa fille qui n’est pas autonome, on n’a pas d’autre choix que de l’aider. Enfant, je devais faire le ménage, les courses, préparer les repas… N’avez-vous pas l’impression que cette situation familiale extrêmement difficile vous a volé votre enfance ? Mon enfance a été affectée, mais je dirais que les dégâts ont plus porté sur le plan émotionnel. Les regards dans la rue, ceux des voisins, l’attitude des autres enfants… Ma soeur Oksana vit en dehors de la réalité et n’a pas saisi l’importance et l’impact de cette lutte qu’il y a eu autour d’elle. Ma mère a été héroïque. Je suis admirative. Pourquoi avoir créé Naked Heart Foundation en 2004 ? J’avais 22 ans. À l’époque, en Russie, il n’y avait aucun modèle, aucune recherche sur laquelle s’appuyer. J’ai tout construit sur ma propre expérience. Souvent, les parents dont les enfants
sont atteints de dysfonctionnements mentaux ou physiques baissent les bras par manque d’information et de moyens… au point d’abandonner leur enfant. Or, ces enfants et ces familles ont besoin de mille fois plus d’attention que les autres. Quel type d’aide apporte la fondation ? C’est avant tout un soutien adressé aux familles en difficulté. Nous créons des infrastructures adaptées munies d’équipements et de services spéciaux. Cela rend les parents plus autonomes, cela allège leur quotidien. Convaincre le gouvernement que tout commence par l’éducation et le soutien des familles est notre priorité. Vous luttez contre les faux jugements à propos de l’autisme. Je reçois des lettres parfois qui nous reprochent de ne pas nous occuper d’enfants malades. Mais ce n’est pas le propos. L’enfant autiste n’est pas un enfant malade, il a des besoins spécifiques. Cela n’a rien à voir avec la santé. Y a-t-il encore un tabou sur l’autisme ? Ces enfants sont très bien cachés. On ne les voit pas à l’école, ni dans les supermarchés, ou en vacances. Ce sont des enfants exclus de la société. Quand j’ai lancé la fondation en 2004, je n’étais pas au courant de l’ampleur du phénomène. Aujourd’hui, 1 enfant sur 68 naît autiste. Vous insistez sur la nécessité d’une attention spéciale dès la petite enfance… Tout enfant a besoin d’une famille. Ces parents ont besoin d’une assistance dès la naissance de l’enfant pour le garder auprès d’eux: appartements adaptés, crèches adaptées… Vous avez été les premiers à créer des environnements ludiques spécifiques… Le jeu est un outil thérapeutique essentiel. Le parc est un lieu où l’on apprend à vivre ensemble, à dire pardon, à accepter… Si un enfant peut monter aux arbres, c’est formidable, mais créer des espaces sécurisés et ludiques où les enfants ne se mettent pas en danger, peuvent jouer et découvrir le monde avec des couleurs, c’est la priorité. En 7 ans, nous avons créé plus de 200 aires de jeu. Et vous, comment élevez-vous vos enfants ? Vouloir être une bonne mère, c’est aussi difficile que d’être bon dans n’importe quelle matière… Cela n’est certainement pas un don ! Je tends à être une bonne mère mais je ne peux pas être une bonne mère tous les jours. C’est un véritable travail sur soi. La base de tout il me semble est de leur apporter de l’amour. De manière générale, je suis de nature aimante et sincère. Même envers ceux qui doutent de moi. J’ai un certain penchant pour la compassion… Quel type de joie vous apporte la maternité ? L’enthousiasme qu’ont les enfants face à la vie est absolument communicatif. Attention, je ne dis pas qu’être mère est un bonheur permanent. Mais partager du temps avec eux procure une véritable coupure avec le travail et cet amour réciproque nous maintient en vie. Peut-on aimer ses cinq enfants de la même manière ? Non. On les aime tous différemment, parce qu’ils sont tous uniques. C’est fascinant d’observer qu’ils ont tous leur personnalité propre. Êtes-vous plutôt du genre permissive ou sévère? J’essaie de ne pas exiger d’eux ce que je ne fais pas moi-même. On passe des accords mutuels, en vrais partenaires. J’aime créer une complicité plutôt que d’imposer une autorité. Je ne suis pas pour l’interdiction totale, sauf pour McDonald’s [Rires] ! Surtout, on fait beaucoup de bêtises ensemble, comme d’énormes batailles d’oreillers ou des couchers tardifs, même s’il y a l’école le lendemain, quand je reviens d’un voyage… Quelle est la part russe que vous avez transmise à vos enfants ? Pour nombre d’entre eux, leurs prénoms: Viktor (avec un «k»), Maxim (sans le «e»), Neva, d’après une rivière à Saint Pétersbourg… Ils adorent les pelmeni (spécialité de petits raviolis à la viande), lisent des BD en russe et ont tous eu des matriochkas !