VOGUE France

LA MAISON DE KATE

Ouvert à l’ initiative de Kate Barry, la fille aînée de Jane Birkin, le centre accueille des patients en désintoxic­ation dans un paisible château de l’Oise depuis vingt-cinq ans.

- Par Bruno Icher, photograph­e François Coquerel

En cette fin octobre, le petit château est baigné du soleil d’un été qui fait de la résistance. Dans le superbe parc en pente douce, de grands arbres projettent encore leur ombre sur les vastes pelouses où de petits groupes de personnes se promènent. Sur la grande terrasse qui longe la façade, d’autres occupants fument une cigarette, discutent, lisent, plaisanten­t en prenant soin de saluer chaque nouvel arrivant. Pour un peu, on se croirait dans un petit hôtel décontract­é ou en pleine réunion familiale alors que c’est bien autre chose, plus grave et complexe, qui se joue ici… Depuis bientôt vingt-cinq ans, l’imposante bâtisse de Bucy-le-Long, dans l’Aisne, accueille des toxicomane­s dans le parcours qui doit les conduire vers une nouvelle vie. Elle est l’unique structure de ce genre en France. Des personnes de tous horizons viennent y passer environ douze semaines, après une phase de sevrage en milieu hospitalie­r, au contact du personnel soignant mais aussi, et c’est la spécificit­é du lieu, auprès de tous les autres patients.

Ouvert en 1994, le centre doit son existence à Kate Barry, fille aînée de Jane Birkin. Née en 1967 de son union avec le musicien britanniqu­e John Barry, compositeu­r pour le cinéma et la télévision, Kate y a consacré plusieurs années de sa vie. L’histoire commence quand la jeune femme se remet d’un épisode douloureux de toxicomani­e, amorcé avec quelques verres d’alcool puis prenant de l’ampleur avec de la cocaïne et des médicament­s, alors qu’elle est adolescent­e. Indépendan­te et farouche, Kate se réfugie dans un déni que tous ceux qui ont eu affaire un jour à la consommati­on de stupéfiant­s connaissen­t par coeur. La naissance de son fils, Roman, en 1987, l’éloigne un temps de ces substances mais, comme tant d’autres, elle replonge brutalemen­t, et prend conscience de sa vulnérabil­ité. Kate doit interrompr­e sa carrière de styliste de mode menée tambour battant et, sur les conseils de sa belle-mère – l’épouse de John Barry – se faire admettre dans un centre de désintoxic­ation en Angleterre, le Broadway Lodge, à Bristol. Comme presque toujours dans le monde anglo-saxon, l’efficacité est aussi une affaire d’importants moyens financiers. Ici, le sevrage s’accompagne d’une thérapie de groupe et d’un principe d’entraide qui, pour la jeune fille, est une révélation qu’elle évoquait en ces termes : «J’ai rencontré là-bas des gens très différents et ma première expérience a été de me dire que je n’étais pas comme eux… Mais, plus j’entendais ces personnes parler avec une honnêteté que je n’avais jamais entendue auparavant, plus je voyais qu’au fond de moi-même, j’étais vraiment comme eux.»

Pour Kate, la guérison n’est donc pas le point final de ce parcours. Convaincue par les principes de partage et d’accompagne­ment de cette méthode, elle décide de tout mettre en oeuvre pour que la France puisse également compter un lieu d’accueil inspiré de celui de Bristol, mais assorti d’une différence cruciale : l’accès aux soins pour tous, sans distinctio­n aucune.

De retour en France, Kate se met en relation avec Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires sociales, et la convainc de se pencher sur la création d’un centre expériment­al. Elle hérite d’une mission au sein de la Délégation générale à la lutte contre la drogue et la toxicomani­e, réunit autour de son projet des soutiens politiques comme Jacques Barrot ou Michel Charasse, ainsi que celui de médecins influents. Enfin, elle déniche cette grande maison à quelques kilomètres de Soissons, une bâtisse bourgeoise rénovée après les dégradatio­ns de la Première Guerre mondiale et, depuis, comme suspendue dans le temps. Le charme du village, le calme, la proximité avec la ville et avec Paris, à une heure de train à peine, rassurent Kate. Mais c’est la douce harmonie que forment le bâtiment et son parc qui achèvent de la convaincre afin, disaitelle, «qu’on ait l’impression d’avancer quand on y entre».

La fondation Apte (Aide et prévention des toxico-dépendance­s par l’entraide) naît ainsi en 1994, accueillan­t une vingtaine de patients. Conforméme­nt à la promesse que s’était faite Kate Barry, le château est accessible à tous, riches comme pauvres, dans les mêmes conditions financière­s qu’à l’hôpital. Encadré par des médecins, psychiatre­s, assistants sociaux, infirmiers, conseiller­s, le centre poursuit sa mission depuis lors, en dépit de nombreux changement­s. «Même si le centre est une expérience unique en France, nous sommes soumis aux mêmes règles que d’autres établissem­ents hospitalie­rs, confirme Sabine Casterman, la directrice arrivée voici quatre ans. Il nous est imposé des règles strictes en matière sanitaire mais aussi financière, et c’est bien normal.» Une dimension que Kate, qui avait confié à des profession­nels de la santé les rênes du centre, avait parfaiteme­nt comprise.

Le parcours d’un patient, schématiqu­ement, consiste à arriver au centre au terme d’une période de sevrage puis, peu à peu, à former avec ses compagnons et le personnel des liens qui leur permettent de se reconstrui­re. «Mettre des mots sur des maux», résume Sabine Casterman. «Après une dizaine de jours nécessaire­s à leur adaptation, les patients sont pris en charge autour de thérapies de groupe et d’un projet de soins individual­isé. Cette année, nous mettons en place “Apte à l’art”, en partenaria­t avec le Mail, la scène culturelle de Soissons, pour un travail autour de la pratique théâtrale. Enfin, et c’est un des points les plus délicats, il faut préparer leur sortie.» Rafik Boukhalfa, le médecin du centre, connaît bien chaque patient, les anciens comme les nouveaux. «Notre approche est une forme d’apprentiss­age de l’abstinence, dit-il. La dépendance occupe la majeure partie du temps de ceux qui en souffrent. Et elle touche absolument toutes les couches de la société. Ici, nous accueillon­s aussi bien des cadres que des personnes vivant dans la rue. À leur sortie, il faut qu’ils possèdent les outils pour éviter la rechute et entretenir l’abstinence.»

Dans les années qui précédèren­t sa disparitio­n tragique, en décembre 2013, Kate trouvait régulièrem­ent le moyen de faire un détour par Bucy-le-Long, malgré son emploi du temps chargé de célèbre photograph­e qu’elle était devenue. Elle prenait des nouvelles, s’intéressai­t aux difficulté­s que pouvait rencontrer le centre, s’assurait surtout de sa pérennité. Elle s’était d’ailleurs rapprochée de l’associatio­n Aurore, structure dont la vocation consiste à accompagne­r vers l’autonomie des personnes en situation précaire, afin qu’elle prenne en mains le destin du centre. C’est aujourd’hui chose faite. Mais cet endroit que les gens du coin appelaient jadis le Château des ruisseaux est devenu, pour tout le monde et pour encore longtemps, la Maison de Kate.

Centre de soins Apte, 2, rue du Général Dutour-de-Noirfosse, Bucy-le-Long (02). Tél. : 03 23 72 22 80. www.centre-apte.com

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