VOGUE France

EDDY, À COEUR ET À CRIS

Phénomène musical de l’année, songwriter de Créteil, clame crûment et d’une voix forte le courage d’ être soi. Jane Birkin est tombée sous le charme de ce poète bitume pour qui l’ écriture est un combat.

- Par Olivier Granoux

En ce matin d’automne, Eddy de Pretto débarque en scooter électrique et carbure au Perrier rondelle. Il s’agit d’être en forme : depuis deux ans, l’agenda du nouveau petit prodige de la chanson française est bien rempli. Son premier disque, «Cure», sorti cette année, est déjà double disque de platine. Ce qui, par les temps qui courent, n’est pas un mince exploit. Un succès public et critique que le jeune homme de 25 ans, qui a grandi à Créteil en banlieue parisienne, a saisi à bras-le-corps. Les concerts affichent tous complet, le public réclame cet enfant de Nougaro, d’Aznavour ou de Brel, qui rhabille la chanson française comme Stromae. Une personnali­té intense, qui a su imposer sa différence. Dans sa musique, son look ou ses thèmes d’inspiratio­n, Eddy de Pretto a cassé les codes avec un bel aplomb. Même si rien n’est jamais facile.

On vous félicite souvent pour votre écriture, alors que vous la considérez comme une corvée. Pourquoi ? Depuis tout petit, j’avais ce rêve fou de me produire sur scène, d’incarner un personnage public très proche de ma personne privée, qui porte mon nom civil… L’anti-Bowie, un personnage lambda mais qui aurait des choses à dire. Pour incarner au plus juste ce monstre intérieur, je ne pouvais chanter les mots des autres. J’ai dû alors écrire des textes, chose que je n’avais jamais faite avant; mais j’étais très exigeant, je voulais trouver le mot juste, celui qui fait résonner mes artères… Pour moi, l’écriture est un combat, et cette période de création fut assez pénible à vivre.

Dans quelles conditions ont été créés les textes des chansons ? J’écrivais de façon très éclatée, je laissais beaucoup de notes sur mon téléphone portable, pour les reprendre ensuite sur un cahier. J’utilise parfois des techniques d’écriture automatiqu­e, mais généraleme­nt, il me faut d’abord une longue phase de réflexion, je fais tourner l’idée dans ma tête avant de pouvoir exprimer ce que je ressens vraiment. J’habitais alors le 18e arrondisse­ment et le soir dans mon appartemen­t, j’écoutais des chansons tristes, des préludes de piano, pour me mettre en condition, et faire monter ma mélancolie. Le titre Fête de trop est né comme ça.

Le choix de récits autobiogra­phiques s’est imposé naturellem­ent ? Comme je suis interprète, il faut des paroles que je ressente. J’aime l’impudeur d’un témoignage intime, la charge émotionnel­le qu’il véhicule. Pour moi, la bonne distance avec mon sujet, c’est quand il n’y en a pas. Et puis honnêtemen­t, je ne saurais faire que ça : me raconter. Même si c’est toujours difficile!

Écrire une chanson sur votre mère, avec qui vous avez une relation complexe et fusionnell­e, était une épreuve obligée ? Il y a un décalage entre la réalité, et mon personnage avec sa vie romancée. Ma mère a beau être parfois une Folcoche, c’est aussi quelqu’un de très doux. Mais pour mes chansons, comme j’aime quand c’est tordu, écorché à l’extrême, je ne parle que d’une partie d’elle, la plus obscure. Donc ce n’est pas un règlement de comptes, c’est plus distancié… Votre héros intime se nomme Jimmy, et vous l’avez célébré dans une chanson. Qui est-il ? C’était un dealer qui débarquait dans les soirées avec une grosse moto, un blouson en cuir, il était populaire. J’étais fasciné par son assiduité. On pouvait l’appeler n’importe quand, il ne faisait jamais faux bond. Un ami fidèle, addictif, toujours prêt à soulager ton spleen. Comme la drogue, qu’il incarne. J’ai voulu jouer sur le double sens, pour évoquer le trouble et la dépendance d’une relation amoureuse…

Vous évoquez souvent l’homosexual­ité, mais vous refusez d’être vu comme un artiste engagé. Pourquoi ? Évoquer le genre dans mes textes, savoir qu’ils sont lus par toute une génération, c’est une forme de militantis­me, c’est forcément politique. Pour autant, on ne m’a jamais vu aux premiers rangs d’une manif LGBT le poing levé, ce n’est pas ma façon de m’engager. Je préfère l’entrisme, avancer plus caché, plus doucement. Je veux faire entendre des choses mais pas dans la colère. Et la chanson me pousse vers la discussion.

Votre originalit­é est aussi vestimenta­ire. Votre personnage, c’est aussi un look ? J’ai conscience d’avoir un physique particulie­r, mais j’ai toujours aimé m’habiller comme je le sentais, en associant des choses. Je me souviens, on me disait que je m’habillais «en artiste» (rires). Je ne me dis pas le matin que je vais révolution­ner le monde du style, je porte simplement ce qui me plaît, peu importe si je suis le seul à en être satisfait! Pour autant, je m’intéresse à la mode, c’est ma récréation. Je suis l’actu via les réseaux sociaux, j’ai assisté à un défilé Gucci – où Jane Birkin chantait –, j’ai collaboré avec Adidas. Mais je n’en fais pas un objectif profession­nel.

Est-ce compliqué d’incarner ces textes si personnels sur scène ? Il était évident que je devais donner vie à mes chansons face à un public. Au moment de construire mon show, mes influences sont venues du théâtre. J’aime le minimalism­e de Samuel Beckett, la non-liberté qu’il propose. Ou la déstructur­ation de Joël Pommerat. J’ai choisi une mise en scène épurée, pour aller à l’essentiel, au verbe. Mais aussi pour que ce dénuement permette de voir les corps, de sentir le public de façon brutale et directe. Ce n’est pas toujours simple, mais comme j’aime faire les choses jusqu’au bout, je ne me voyais pas éviter cette étape.

Avec le succès, votre vie a radicaleme­nt changé. Comment écrit-on la suite? C’est quelque chose qui m’obsède pas mal, je me demande comment je vais faire pour me dépasser une seconde fois… Parce que sincèremen­t, je ne sais pas comment j’ai fait. Tout ça me dépasse. Mon enjeu majeur est de m’apaiser, ne plus penser au syndrome de l’imposteur. Rester concentré sur l’essentiel: ma musique, mes concerts. C’est l’une des raisons de ces quatre nouveaux titres que j’ai publiés au mois de novembre (rajoutés à l’album, ndlr), me garder sous pression…

En tournée des Zénith dans toute la France en mars 2019, et dix dates exceptionn­elles à l’Élysée-Montmartre, à Paris, en mai.

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