VOGUE France

LA VIE DE PALACE

Hot spot de la nuit parisienne à la fin des années 70, le sulfureux Palace de Fabrice Emaer est au centre du film Une jeunesse dorée, en salles depuis le 16 janvier. Rencontre avec sa réalisatri­ce Eva Ionesco, qui fut l’un de ses oiseaux de nuit.

- Par Marie Eugène.

Hot spot de la nuit parisienne à la fin des années 70, le sulfureux Palace de Fabrice Emaer est au centre du film Une jeunesse dorée, en salle depuis le 16 janvier. Rencontre avec sa réalisatri­ce Eva Ionesco, qui fut l’un de ses oiseaux de nuit. Par Marie Eugène

Dans My Little Princess, Eva Ionesco racontait la toxicité de sa mère photograph­e, qui fit d’elle un objet d’érotisme précoce. Sept ans plus tard, elle profite d’un deuxième film pour rendre hommage à la nuit qui, longtemps, lui fut chère. Avec une prédilecti­on pour le Palace. On y suit Rose et Michel, amants au coeur pur qui croisent le chemin d’un autre duo moins angélique mais tout aussi ivre de fêtes… À l’hôtel des Saint-Pères, Eva quitte momentaném­ent son compagnon, l’écrivain Simon Liberati, coscénaris­te du film, parti rejoindre les bureaux de leur éditeur commun deux numéros plus bas. En 2017, elle a signé chez Grasset Innocence, pièce essentiell­e d’une oeuvre où l’autobiogra­phie dépasse la fiction. Blond cendré, regard vert-de-gris, robe Westwood à taille de guêpe, la réalisatri­ce/autrice/actrice a l’allure hollywoodi­enne – époque 1950. La fête, l’amour, la mode: elle passe en revue ce qui forme Une jeunesse dorée, deuxième volet d’une trilogie annoncée. Conte, film d’apprentiss­age, chronique. Votre film est à la croisée des genres. C’est l’histoire d’une fille qui s’abîme dans la nuit pour prendre son envol, Rose, que joue Galatea Bellugi. Elle est en couple avec Michel (Lukas Ionesco) et le film commence au moment où il la prend sous son aile. On va les suivre dans leurs fêtes sans fin. La rencontre avec Lucille (Isabelle Huppert) et Hubert (Melvil Poupaud), bienfaiteu­rs vénéneux, va changer leur vie. La nuit proposait ça : des gens qui sortaient pour rencontrer des jeunes et faire un bout de chemin avec eux. Je voulais inclure l’idée d’un jeu cruel. Ça vient de mon amour pour les garces et l’esthétique sadienne. Mais il y a surtout un thème qui a tout englobé, c’est la fin de l’innocence. Alors ça parle d’une époque, oui, et de 1979 précisémen­t, mais ce qui arrive à cette jeune fille et à ce garçon est universel. C’est une oeuvre à clés également ? Comme le film se passe en partie au Palace, on croise la bande de l’époque, oui. Les anciens du lycée Paul-Valéry dans le 12e, où j’étais, avec Christian Louboutin notamment. Et ceux qu’on a rencontrés plus tard: Alain Pacadis, Edwige Belmore, Loulou de La Falaise, Thadée Klossowski de Rola… Parlez-nous du Palace. La bande et moi, on voyait la vie comme au théâtre ou au cinéma. L’esthétique primait sur tout, et même sur une quelconque pensée sociale ! On avait besoin de ce goût du beau (du laid, aussi !). Et le Palace, c’était d’abord un lieu aux décors somptueux, avec un côté pacotille, Gremlins, très cirque… On n’a pas pu tourner là-bas car tout a été détruit (on est passé du rouge et or féerique au rose jambon), mais on a retrouvé une atmosphère semblable aux Folies Bergère. C’est le premier film sur le Palace, je le voulais sophistiqu­é, gai, et pas trash. Les backrooms, les fistfuckin­gs, ça a été fait. Vous viviez hors du monde ? On ne voulait pas travailler. La vie était violente. On ne savait pas si on serait vivants le lendemain… Alors on s’habillait, on dansait, on rencontrai­t des gens formidable­s et on ne dormait pas. Le Palace était d’ailleurs bien souvent le point de départ pour aller vers un autre décor : Le Sept, La Main bleue, un château… Celui du décorateur Charles Beistegui par exemple, qu’on retrouve dans le film. On finissait à Orly pour regarder les avions décoller. Et ça recommença­it… Je n’ai pas envie de dire que ces fêtes n’existent plus, j’aurais l’impression de priver les gens de quelque chose, mais enfin, c’était grandiose. Rose, c’est vous ? Rose, c’est une fille qui pleure, gueule et qui veut qu’on la prenne dans les bras, autant dire un vrai boulet pour un mec! On s’est posé beaucoup de questions sur ce personnage avec Simon, on aurait pu aller vers quelque chose de plus drolatique – ce que j’étais. Galatea est métamorpho­sée. Je lui ai montré des films d’après-guerre, et notamment Bob le flambeur, je lui ai dit: «Attention: tu es une embrouille­use à la foire du Trône!» Rose, c’est un peu moi oui, mais le film n’est pas si autobiogra­phique que ça…

L’histoire d’amour l’est ? Ce film raconte la mort de mon premier amour. J’y ai mis fin par nécessité, la bande et la nuit m’y ont sûrement aidée aussi… Charles Serruya et moi étions ensemble, je sortais de la Ddass, lui dessinait, faisait du théâtre d’ombres, et refusait d’exposer. Tout ça est dans le film. J’avais très peu d’amis à l’époque. Ma vie, c’était la bande et Charles, qui me maintenait dans une forme d’enfance avec son univers, c’était un sortilège de papier et d’ombres. On était beaux, on s’aimait. Puis j’ai décidé de tout casser pour aller ailleurs. Ce film, c’est une manière de rendre hommage à cet amour et de partager cette histoire. Vous partagez aussi votre amour du vêtement. J’ai toujours eu un rapport particulie­r au vêtement. Déjà, très jeune, je chinais avec ma mère, à Londres par exemple, chez Biba qui était un lieu incroyable, très glitter. Plus tard, pour payer l’hôtel où j’ai vécu, j’ai dû vendre une collection de robes merveilleu­ses, des pièces avec des tailles de poupée. J’aime les tailles de poupée et j’ai d’ailleurs fait faire un corset chez Cadolle à Galatea pour le film. On retrouve chez les acteurs, et notamment dans les scènes tournées au Palace, un grand nombre d’archives Mugler, Chanel, Gaultier, Azzaro… Ceci dit, je ne voulais pas de la pure archive, alors on a fait comme à l’époque : on a bricolé. Et parfois en bannissant le genre. Oui il y a un flou, et d’ailleurs Lukas est comme ça dans la vie. Voyez son clip (elle fredonne) : «I’m not a boy, not a girl…» Moi, je suis femme-femme. Avec un goût prononcé pour le jeu ? C’est vrai que c’est présent dans le film, nous étions des enfants… Avec Christian Louboutin, on aimait regarder débarquer les babas, qu’on trouvait hypercraig­nos. Le cool, on était contre. On se foutait de la gueule de ces gens. C’était un jeu de voir qui était bien ou mal habillé, baisable ou pas baisable, chic ou riche, archiriche et baisable… Le Palace était comme une cour de récréation. On a quand même du mal à imaginer que vous ayez eu une «jeunesse dorée»… Bizarremen­t, il n’y a pas d’ambiguïté dans ce titre. J’ai pensé aux «blousons dorés», ces jeunes fils à papa du 16e qui se prenaient pour des rockeurs. C’est vrai que je venais d’une enfance abîmée, mais ce film, on peut choisir de le lier ou non au premier. C’est un «module détachable». La suite, vous l’imaginez «en bande» ? J’aime travailler comme ça, oui, même si on se dispute avec Simon. On est un peu comme les Kardashian, avec en prime mon fils Lukas, maintenant ! Et puis il y a Isabelle, qui jouait dans le premier… Je ne pouvais pas imaginer faire ce film sans elle.

«Je voulais inclure l’idée d’un jeu cruel. Ça vient de mon amour pour les garces et l’esthétique sadienne. Mais il y a surtout un thème qui a tout englobé, c’est la fin de l’innocence.»

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 ??  ?? Ci-contre, Lukas Ionesco et Galatea Bellugi durant le tournage du film Une jeunesse dorée. À gauche, Eva Ionesco avec ses acteurs Lukas Ionesco et Galatea Bellugi. Ci-dessous, Isabelle Huppert et Galatea Bellugi. Page de gauche, Eva Ionesco dans les toilettes du Palace, en 1978.
Ci-contre, Lukas Ionesco et Galatea Bellugi durant le tournage du film Une jeunesse dorée. À gauche, Eva Ionesco avec ses acteurs Lukas Ionesco et Galatea Bellugi. Ci-dessous, Isabelle Huppert et Galatea Bellugi. Page de gauche, Eva Ionesco dans les toilettes du Palace, en 1978.
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