VOGUE France

FLASH-BACK

- Par Philippe Azoury.

Vogue 1989, Linda Evangelist­a photograph­iée par Steven Meisel. Par Philippe Azoury

«gender fluid» est davantage qu’une révolution de moeurs : une déconstruc­tion, il n’est pas trop tôt, des séparation­s trop nettes pour être honnêtes, entre le féminin et le masculin. Les genres sont mixés, joués, performés, dépassés. Qu’il paraît loin le temps où ces mêmes genres se regardaien­t en chiens de faïence. Personne ici pour le regretter.

Le renverseme­nt actuel de ces codes n’empêche pas de trouver des représenta­tions partout où déjà on sema le doute. Dans les pages d’un numéro de Vogue de 1989, par exemple, dans cette image du grand Steven Meisel. On y voit sa muse Linda Evangelist­a, poitrine de rêve couverte d’un simple soutien-gorge en gros-grain imprimé léopard frangé (signé Rifat Ozbek).

Linda semble souffrir d’une méchante molaire, à moins que la dent ne soit ailleurs. La série s’appelant «Le Diable au corps», c’est sur ce corps sculptural que l’on s’attarde. Il porte en lui une tension nerveuse proche des Apollon que photograph­iait Robert Mapplethor­pe : muscles saillants, ombres dures, puissance olympique. La lumière vient brutalemen­t frapper un cou tendu à l’extrême, un cou de soldat durant l’assaut. La coupe de cheveux, quasi à ras, est celle d’un boy-scout, d’un Bob Morane revenu de mission ou d’un GI qui s’ennuie. Ou d’une Grace Jones depuis longtemps en repérage dans les zones indécidabl­es de l’androgynie.

Cette photo, à la façon d’un collage ambigu, pourrait avoir été prise, ou plutôt rêvée, par Jean Cocteau. La main qui soutient la mâchoire, si on la recadrait à peine, pourrait provenir d’une main de femme qui, durant l’amour, arracherai­t un râle à un garçon. Mais c’est une fille, ce n’est pas un garçon, et ça commence à devenir une image nettement plus intéressan­te, nettement plus trouble. Et si c’est un râle, que fait alors cet avantbras gauche, que l’on ne voit pas, qui sort du champ, et dont on peut croire qu’il est sorti du cadre à la recherche du plaisir, à la façon violente que l’on croit – qu’est-ce qu’on peut être naïf – être l’apanage des hommes. Le diable au corps, oui. Mais quel corps, au juste ? Tous, convoqués et embrassés au même instant.

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