POINT DE VUE DE VOGUE
Helmut Newton est une légende, en grande partie grâce à l’audace, et souvent la provocation, qui habitent ses photos. Si elles sont aujourd’hui au musée, elles ont secoué leur époque, pas prête à regarder en face ce que l’artiste osait leur montrer. Comme ici, deux femmes, un jeu de rôles, des identités froissées. L’une, en longue jupe fendue ouverte sur une jambe voilée de la soie noire d’un bas, crinière à la Rita Hayworth, bandeau carbone sur chair immaculée. L’autre, en smoking sur plastron blanc, cheveux gominés et assurance androgyne. Un coït de cigarettes symbolise le désir qui anime ces deux créatures, une classieuse confusion des genres. Ce qui frappe au-delà de la force et de la beauté de cette photo, c’est sa modernité. En effet, si elle a pu choquer lors de sa publication en 1979, elle est aujourd’hui d’une grande inoffensivité. Il n’est qu’à voir les podiums où l’on ne sait plus distinguer les filles des garçons. Observer l’aisance gracieuse avec laquelle des mannequins vivent, assument et revendiquent un genre indéfini. Je pense notamment à Erika Linder, la couverture de ce Vogue, ou encore à Oslo Grace, également à l’affiche de ce numéro. Sans parler des nouveaux phénomènes de la culture pop, Chris (ex-and the Queens), Eddy de Pretto, Jaden Smith, Ezra Miller & co, étendards éclatants d’une nouvelle identité qui refusent d’affirmer leur appartenance à de vieilles entités, décidés à rendre visible aux yeux des autres leur vérité, aussi trouble soit-elle, et leur singularité. Plus qu’un phénomène de mode, la vague unisexe est donc un phénomène de société. Et Helmut Newton à travers cette image prouve que les plus grands artistes sont des visionnaires.