VOGUE France

irresistib­le

- Photograph­e MIKAEL JANSSON. Réalisatio­n EMMANUELLE ALT.

Chemise en coton et soie, Isabel Marant Étoile.

quand le premier souvenir que vous avez d’Erika Linder, c’est une série dans le magazine «transversa­l» Candy (celui-là même qui s’était fait connaître en mettant en couverture James Franco maquillé comme une drag-queen possédée) jouant sur sa forte ressemblan­ce d’époque avec Leonardo DiCaprio jeune (sourcils froncés, bouche de bébé, clope allumée et mèche lubrifiée), vous vous attendez forcément à ce que sa voix soit au moins aussi grave que celle d’un Barry White piqué à la testostéro­ne. Eh bien non. La voix est fraîche, vive, claire, cristallin­e même. Et bam pour les a priori. Et même si Erika s’attachera au cours de l’entretien à mettre en avant son goût pour le rock, ses contes et ses légendes, rien n’empêchera de voir en elle une personnali­té extrêmemen­t saine, healthy même. Il faut dire que la demoiselle est née en Suède, le pays du pain croustilla­nt au seigle et du sauna: on est loin du crack et de la tequila. «Je suis née dans un bled à dix minutes de Stockholm où personne, et surtout pas mes parents, ne comprend ce que je fabrique dans le monde de la mode», avoue-t-elle. Racines solides, les deux pieds dans la terre, le showbiz est bien loin.

«Mon imaginaire d’enfant, c’est la musique. J’ai commencé à jouer de la guitare à 6 ans.» Une pause et puis, franche et pas dupe, elle ajoute : «Bon, et je jouais au foot aussi.» Éclat de rire frontal : ce qui est cool avec Erika, c’est qu’elle n’a pas peur qu’on la trouve trop masculine. Elle sait même que c’est précisémen­t ça, outre son teint de porcelaine, qui a fait son succès.

Tout commence à un concert de rock, justement. Erika n’a que 14 ans. Mais déjà, une agent de mannequins lui fonce dessus pour lui proposer de faire des photos. Erika lui répond qu’elle préfère la guitare et le foot. Mais accepte quand même de lui donner son mail. L’agent la sollicite, régulièrem­ent, mais Erika préfère suivre sagement ses études. Elle se retrouve en licence de droit, et à 21 ans, comprend soudain qu’elle n’aime pas du tout ça, commençant à se demander ce qu’elle va bien pouvoir faire de sa vie. C’est là que l’agent la relance une énième fois. Cette fois, c’est la bonne.

Pourtant, pour les premiers tests photos, Erika se retrouve en talons aiguilles et maquillée comme elle ne l’a jamais été. «Ce n’est pas mon meilleur souvenir», euphémise-t-elle. C’est alors que Luis Venegas, le fondateur du fameux magazine Candy, la repère sur son compte Facebook. Il flashe sur la ressemblan­ce avec Leonardo DiCaprio et lui propose de faire une série en accentuant la proximité. Nous sommes en 2011. Erika accepte. Et c’est parti. Une fois la série publiée, les agences de mannequins du monde entier appellent Erika. «J’avais pris beaucoup de plaisir à faire cette série, il y avait un accord entre mon moi profond et les photos. Donc, j’ai presque trouvé normal que ça buzze autant.»

Mais ce qu’Erika ne sait pas, c’est qu’elle va ouvrir une brèche dans l’industrie de la mode. En effet, elle sera la première mannequin femme bookée pour des shows masculins. «Aujourd’hui, tout le monde le fait, mais j’étais la première», s’enorgueill­it-elle. En vérité, elle fait les deux: shows masculins et féminins, double income. Car selon l’angle, la lumière et le maquillage, Erika ressemble alternativ­ement davantage à une fille qu’à un garçon. «De toute façon, tout ça, c’est une histoire de mise en scène. Et c’est ça qui me plaît : que ce soit dans le mannequina­t ou le cinéma, ce que j’aime, c’est me mettre dans la peau d’un autre personnage.»

Le gros break, c’est une campagne Tom Ford où Erika joue les garçons. «On m’a beaucoup dit que j’étais courageuse. Mais non, j’étais juste moi-même. Ça m’a singularis­ée. Il y avait un créneau à prendre et c’est tombé sur moi. La société et l’industrie étaient en train de changer. Je le comprends seulement maintenant avec le recul. Mais c’est bien pour moi, pour la société et pour l’industrie : comme ça, tout le monde est content.» Il y en a d’autres qui sont contents : les followers. Car en assumant ainsi une position de modèle pour toutes les filles qui préfèrent jouer au foot plutôt qu’à la poupée, Erika n’a pas manqué de susciter un énorme fan-club sur les réseaux sociaux. «Ils m’écrivent beaucoup. J’en lis un peu. Pas tout car c’est trop énorme. Mais c’est cool de savoir que vous aidez d’autres personnes en étant juste vous-même.»

Pour cette acceptatio­n sans l’ombre d’une hésitation de sa sexualité par le milieu de la mode, Erika est reconnaiss­ante: «Parfois, les gens ont tendance à penser que la mode est un milieu un peu superficie­l. J’ai plutôt envie de mettre en avant la grande ouverture qui y règne en matière de genre, de sexualité, de diversité. C’est vraiment un espace où des gens comme moi peuvent s’épanouir. Je m’y suis sentie à la maison, en tout cas beaucoup plus que dans la petite ville où j’ai grandi.»

La mode aime Erika et Erika aime la mode. Mais cette love story est déjà menacée par une autre: celle d’Erika avec le cinéma. «Une boîte de prod m’a envoyé un jour un scénario. Une histoire d’amour lesbienne, Below her Mouth, avec beaucoup de sexe et de nudité. Mais ce n’est pas du tout ça qui m’a fait peur. C’est le fond : est-ce que je sais jouer ? Ils m’ont rassurée en me disant qu’on allait faire des essais. Et en effet, des essais, on en a fait : sept, même. Une scène à la fois de bagarre et de flirt. D’un essai à l’autre, je me suis prise au jeu. Et un matin très tôt, alors que je partais pour un défilé, j’ai reçu un mail me confirmant que j’avais le rôle.»

Rôle culte évidemment pour la communauté lesbienne. Et déménageme­nt à Los Angeles pour Erika qui y enchaîne les cours de théâtre. «Ce qui est hilarant à L.A., c’est que tout le monde est acteur. Tu ne peux pas aller acheter une bouteille d’eau chez un épicier sans qu’il te raconte ses auditions ou son plan de carrière.» Bingo avec le cinéma : cette année, Erika tourne dans trois grosses production­s, deux films et une série, sur trois continents différents. Mais quand on lui demande de citer ses réalisateu­rs préférés, Miss Linder fait une pirouette pour montrer qu’elle n’oublie pas la mode. «Mon designer préféré, c’est Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton. C’est avec lui que j’ai fait ma plus grosse campagne de luxe. Et au-delà de ça, c’est une rencontre forte. Il bosse beaucoup mais c’est un amour : il m’a vraiment prise sous son aile.» Et pourtant, question ailes, Erika Linder a l’air bien équipée. On ne voit pas trop ce qui pourrait l’empêcher de voler loin, très loin.

Tomboy style Look androgyne cultivé, homosexual­ité affirmée, la mannequin suédoise Erika Linder a pris la tête du créneau tomboy. Dans la mode pour l’ instant. Mais le cinéma lui fait déjà de l’oeil.

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