COOL MANIA
surfe PALACE Mêlant les codes du skate US et les références au foot britannique, sur ses collabs exclusives et ses séries limitées très colorées pour provoquer ivresse et files d’attente devant ses magasins de Londres, New York ou Tokyo. Rihanna et Drake
Mêlant les codes du skate US et les références au foot britannique, Palace surfe sur ses collabs exclusives et ses séries limitées très colorées pour provoquer ivresse et files d’attente devant ses magasins de Londres, New York ou Tokyo. Rihanna et Drake sont fans. Par Loïc Prigent
LA boutique Palace à Londres depuis 2015 est entre Picadilly et Liberty, près de Carnaby Street, dans la zone de shopping sacrée qui, depuis 1965, a vu la naissance de 4500 mouvements vestimentaires qui ont secoué la planète. Sur le chemin, on croise des types avec des valises à roulettes vides, mais pas le format week-end Eurostar, le format semaine à Ibiza, oui ils vont chez Palace pour faire la razzia. Des gars avec des têtes à prendre leur petit déjeuner à 15 heures qui, pour une fois, se sont réveillés là à 5 heures du matin pour le drop, le lâchage de nouveautés à la boutique Palace. Plus que des files d’attente interminables, ce sont des réunions d’aficionados. Sous la pluie, personne n’abandonne, ils restent stoïques, on se compare les nouvelles baskets, on esquisse des pas de danse devant les photographes de streetstyle affolés par tant de démonstrations, des agents de sécurité surveillent le rassemblement pacifique et veillent à ce que la queue s’interrompe aux intersections de rues pour que les Londoniens puissent passer. Parmi les garçons en majorité, il y a des mini Cara Delevingne dont la grille Instagram est remplie de photos de grimaces irrésistibles de charme – d’ailleurs, les garçons devant et derrière elles en profitent pour s’abonner directement. Vous faites la queue, c’est bien, mais est-ce que vous avez d’abord fait la queue pour obtenir le bracelet ? Oui, il faut un bracelet numéroté.
donc vous quittez la queue et votre emplacement pour aller faire la première queue. Mince, vous avez perdu du temps et sans doute l’espoir de choper certaines des pièces les plus convoitées. Au bout d’un moment, la faim vous tenaille, autour de vous les conversations délirent à propos de versions de vestes Supreme à manches raglant apparues la semaine dernière et déjà chimériques. Les drops, ces moments d’éclipse lunaires mode. Avoir attendu des heures scelle la notion de clan et de vêtements qu’on portera comme une médaille. Entrer dans la boutique Palace après être resté statique si longtemps crée une tension, une ivresse, un effet Black Friday mais sans les réductions.
Stylistiquement, Palace est sur le territoire de Champion, Nike, Adidas, mais sans les alibis sportifs ou techniques. Même pas de promesse de protection ou de confort façon Patagonia ou North Face. Les sacs de shopping Palace sont argentés comme s’ils contenaient des produits chimiques à décontaminer. Chaque vêtement exhibe des logos bien placés, extrêmement lisibles. Le logo Palace est capital, c’est un triangle de Penrose, un effet optique conçu par un mathématicien dans les années 50. Malin, Palace est écrit dans chaque branche. Porter un vêtement Palace, c’est comme porter un emoji de son humeur. Un T-shirt de la marque exprimera qu’on est urbain, tantôt je-m’en-foutiste, tantôt guidé par un sens de l’ironie très poussé, tantôt souffrant d’une dépression amusée. Un enfant qui voudrait qu’on dise qu’il est un adolescent sort de la boutique Palace – qu’avez-vous dans votre sac de shopping ?–, il montre le butin, c’est bien simple, il a acheté un exemplaire de chaque T-shirt disponible. Dans le doute, prends tout ! Ce qui lui plaira moins une fois la surexcitation retombée, il pourra le revendre sur les sites appropriés, ce qui renflouera en partie ses dépenses et le consolera de ce réveil particulièrement précoce.
On voit sortir de la boutique beaucoup de garçons très calmes avec des dégaines de skater sans skate, des Japonaises dont le style a l’air plus étudié que la façade de l’Opéra Garnier. Palace, c’est une esthétique qui mélange les codes skate américains avec ceux des lads anglais biberonnés aux maillots de foot british et leur graphisme bicolore aussi minimal que tape-à-l’oeil. Le maillot de foot anglais et ses logos omniprésents, sauf qu’ici, au lieu d’Opel ou Chelsea, on n’écrit plus que Palace, Palace, Palace, Palace. Palace !
Clients : Rihanna, Drake, Jay Z. Collabs : Polo Ralph Lauren, Reebok, Umbro et récemment Adidas Originals, avec notamment un peignoir qui a rendu maniaques les maniaques, avec le logo Palace plus gros que le logo Adidas. La collab avec Ralph Lauren annoncée avec un spot savoureux où les cow-boys Ralph Lauren rencontrent des kékés anglais en GTI et BMW.
Palace a ce pouvoir magique de rendre l’impardonnable hypercool. Le logo posé sur le mollet. Le total look jaune canari. Le polaire marron. Le pantalon en motif camouflage violet. Les bobs roses. Les bonnets cache-oreilles. Les pantalons réversibles. Les imprimés pastiches de Versace. Les pantalons de jogging imperméables. L’humour et le kitsch sont plus qu’une option. Il faut voir les pulls avec le logo Palace détourné en un pretzel triangle géant. «Ils testent notre patience et nos nerfs ! Ils veulent voir jusqu’à quel niveau de n’importe quoi on peut aller», s’exclame un Palaciste, dégoûté mais la main sur le porte-monnaie, prêt à l’acheter.
Lev Tanju affirme que ses collaborateurs s’habillent n’importe comment et que cela se ressent forcément dans la production. Lev Tanju, c’est le cerveau de l’affaire. Il a créé Palace en 2009 pour ses amis skaters. Il sentait qu’il avait besoin de sortir d’une décennie sabbatique après ses études pas très supérieures. Il passait son temps à vaguement dessiner des motifs pour les planches de skate de ses colocataires.
Le logo Palace est l’oeuvre de l’Anglais Fergus Purcell, qui a aussi collaboré avec un certain Marc Jacobs. Fergus Purcell a les cheveux plus longs que ceux du Christ, sa devise est : «La mode est comme de la musique que l’on peut porter.» Son oeuvre : un triple logo, triple impact, le triangle pour signifier l’infini, le mouvement perpétuel.
Palace, c’est le nom que Lev Tanju et ses colocataires donnaient aux taudis dans lesquels ils vivaient. Cet esprit de collectif de cancres semble toujours bien vivant. La boutique londonienne de Palace expose des skates comme des oeuvres d’art, celle de New York a une statue centrale, celle d’un Manneken Pis qui urine gentiment. Tous les vendredis, le site de vente en ligne de Palace fait un rafraîchissement de l’offre à 11 heures sur le méridien de Greenwich. Les fans aux horaires décalés n’ont qu’à triple cliquer frénétiquement en espérant remplir leur panier.