VOGUE France

ARIES SOUS LE SIGNE DU SKATE

Urbaine et sophistiqu­ée… Lancée par une Italienne installée à Londres, la marque anglaise se distingue de ses consoeurs streetwear grâce à ses solides références esthétique­s.

- Par Loïc Prigent

Urbaine et sophistiqu­ée… Lancée par une Italienne installée à Londres, la marque anglaise se distingue de ses consoeurs streetwear grâce à ses solides références esthétique­s.

Il suffit parfois d’un tout petit pas de côté pour créer une marque totalement différente des autres. Aries a fait ce pas de côté. Ou plutôt deux pas de côté. Aries est une marque streetwear. Et c’est une marque de mode sophistiqu­ée. Oui, tout ça à la fois, ce qui en fait, l’air de rien, un label unique.

Une marque de streetwear, c’est en général un simple ordinateur avec à peine deux logiciels, un logiciel graphique pour triturer un logo à l’infini et un logiciel de comptabili­té. Chez Aries, il y a sans doute de cela, mais il y a aussi une paire de ciseaux et elle sert à autre chose qu’à ouvrir les colis. Ici, il y a même une table de coupe. Ici, il y a du matos pour vieillir les matières, créer des teintures délavées. Ici, il y a des abonnement­s à des magazines de mode et sans doute des piles de livres de photos et de références. Dans les visuels promotionn­els d’Aries, on reconnaît l’influence du travail des photograph­es néo-néoréalist­es comme Wolfgang Tillmans et Ryan McGinley.

aries, c’est Sofia Pantera, une Italienne installée à Londres. Et Sofia Pantera cite des créatrices anglaises, Phoebe Philo, Vivienne Westwood, mais aussi des marques italiennes, Versace et Fiorucci, comme une partition joyeuse, sexy et outrageuse de la mode. Mais elle ne s’arrête pas là, elle cite Patagonia et Stone Island, des marques qu’elle respecte et vénère. Sofia Pantera est un pur produit du magazine anglais The Face, qui a éduqué toute une génération d’esthètes entre 1980 et 2004, avec les plus grands photograph­es de mode du monde, faisant notamment émerger le grunge et même la carrière de Kate Moss. Elle a suivi les cours de la Saint Martins au milieu des années Blur/Oasis, au moment où les raves déferlaien­t sur l’Angleterre. Elle a eu la bonne idée de sortir à Kinky Gerlinky, une soirée délirante organisant des concours de surlookage, et le jeune Alexander McQueen n’en loupait pas une.

Les visuels d’Aries sortent de l’esprit de Fergus Purcell. Et Fergus est un torrent d’idées capable de débiter un nombre de logos impression­nant, des milliers selon ses proches. Les deux se sont rencontrés à la boutique séminale Slam City Skates, où Sofia pliait les piles de T-shirts Trasher comme personne (elle s’en vante encore). Il est intéressan­t de noter que pour Aries comme pour de nombreux labels anglais contempora­ins, la boutique Slam City Skates est un repaire, un peu comme la boutique Biba dans les années 60 et 70.

Slam City Skates repère le sens du style de sa vendeuse Sofia Pantera et la laisse développer une micro-marque en interne, une expérience éphémère qui lui apprend les bases. À ce moment-là, on est dans les années 90, il existe déjà des marques de niche qui visent la jeune fille fan de skate. Mais il s’agit en général de vendre des micro T-shirts roses avec des figurines de manga au mieux, ou au pire des oreilles de lapin, le cliché de la groupie décérébrée­adorable-jetable. Or, que cela soit écrit ici : Sofia Pantera déteste le maquillage et les ongles vernis. Mais elle sait réaliser des crânes en origami, ce qui annonce une dextérité dépressive, une certaine patience, ainsi qu’un goût pour l’étrange.

Quand elle lance Aries, au début des années 10, il n’y a pas encore de marque anglaise qui s’adresse à cette foule skate féminine vivace, exigeante, foutraque et dépensière. Des robes sans doublure pour des jeunes filles qui jamais ne porteraien­t une robe avec doublure. Des femmes fortes, sans chichi, telles qu’on les voit sur les photos de David Sims. Fergus Purcell est un touriste de la mode, mais il travaille avec Marc Jacobs, Stussy et la marque anglaise Palace – dont on parle également dans ce numéro de Vogue. Fergus est celui qui apporte le corpus de références américaine­s et punk rock à la marque. Sofia et Fergus ont d’ailleurs presque la même coiffure crantée-bouclée même si celle de Fergus est plus anarchique.

Sofia Pantera ajoute des touches qu’on ne peut voir absolument que chez une créatrice anglaise, comme ce motif de boutons de roses sur un pantalon blanc (jamais une Française n’oserait dessiner ça, mais les Anglaises raffolent des imprimés floraux, oui, c’est un raccourci mais bon). Elle adore aussi ces imprimés tie & dye que seuls ceux qui ont trop vu Stonehenge peuvent comprendre et apprécier à leur juste valeur. Elle crée ces culottes rose léopard que veulent les filles de Croydon, ces jeans décorés de bouts de rubans adhésifs colorés qui vous donnent un je-ne-sais-quoi non générique. Aries est donc une version plus sophistiqu­ée des labels de skate qui ne vendent pas grand-chose de plus que la gamme de T-shirts, chemises, blousons, jeans. La garde-robe est plus complète, même s’il y a aussi les T-shirts de base. Une marque qui garde dans son inconscien­t l’éthique skate, cherchant presque à rester sous les radars. Après avoir longtemps hésité, rechigné, Aries s’est enfin ouvert aux hommes, pour une garde-robe assez complète, franchemen­t irrésistib­le. À noter en presque post-scriptum : Aries c’est le signe du Bélier en anglais, alors on a fait une recherche et la voyante a répondu : «Les femmes bélier aiment le noir et blanc, le confort, parfois le rouge, pas les talons, les vêtements sportifs ou avant-garde, mais elles n’aiment pas qu’on ne sente pas qu’elles ont fait un effort surhumain pour s’habiller.» Ce serait presque une descriptio­n d’Aries, mais on ne croit pas aux horoscopes.

Sofia Pantera est un pur produit du magazine anglais «The Face», qui a éduqué toute une génération d’esthètes entre 1980 et 2004.

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Sofia Pantera, fondatrice d’Aries
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mars 2019
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