VOGUE France

La dame de fer

- Par NELLY KAPRIÈLIAN.

LA DAME DE FER Edmonde Charles-Roux a régné sur les lettres françaises pendant des décennies. Décédé en 2016, ce magnifique sphinx est enfin dévoilé dans un roman biographiq­ue. Dans Edmonde, Dominique de Saint-Pern a choisi de montrer le courage de la jeune femme durant les années de guerre, si marquantes. Conversati­on autour de la vraie Edmonde, de sa jeunesse à ses années à la tête de Vogue, jusqu’à son mariage avec Gaston Deferre. Par Nelly Kaprièlian

Armée d’un tailleur Chanel et de perles, a Edmonde régné sur les Charles-Roux lettres françaises pendant des décennies. Décédé en 2016, ce magnifique sphinx est enfin dévoilé dans un roman biographiq­ue mené tambour battant.

Dans EDMONDE, Dominique a choisi de montrer le courage de Saint-Pern de la jeune femme durant les années de guerre et l’Occupation, qui marqueront le reste de sa vie. Conversati­on à bâtons rompus autour de la vraie Edmonde, de sa jeunesse pas farouche à ses années à la tête de Vogue, jusqu’ à son mariage avec Gaston Deferre.

Figure glamour des lettres françaises, présidente du prix Goncourt, toujours sanglée dans un tailleur Chanel et une blouse Saint Laurent, Edmonde Charles-Roux a vécu mille vies avant de s’éteindre en 2016 à 96 ans. Issue d’une famille de la grande bourgeoisi­e, ayant vécu à Prague car son père était ambassadeu­r, mais aussi à Marseille et Paris, Edmonde a régné sur Vogue (de 1954 à 1966), fréquenté Chanel à qui elle a consacré le meilleur livre écrit sur la couturière, L’Irrégulièr­e, décroché le prestigieu­x prix Goncourt pour son roman Oublier Palerme, et épousé Gaston Deferre… Il fallait une biographe rompue aux parcours de femmes fortes – Dorothy Parker et la baronne Blixen – pour raconter la trajectoir­e romanesque de cette femme engagée dans son siècle. Dans Edmonde – premier volume d’une fresque qui en comptera deux –, roman biographiq­ue hautement addictif, Dominique de Saint-Pern raconte les années de guerre qu’a vécues la jeune Edmonde à 20 ans, et qui vont influencer tout le reste de sa vie. On y découvre une femme courageuse, infirmière militaire, résistante, espionne, en deuil d’un premier grand amour tué sous les balles. C’est l’une des révélation­s d’un livre qui en compte plusieurs et nous entraîne aussi bien sur les champs de bataille que dans les salons de Madeleine Vionnet ou les dîners de Louise de Vilmorin. La guerre et le chic, les deux faces de l’énigmatiqu­e Edmonde, ici dévoilée. Dans Edmonde, vous révélez certaines informatio­ns qu’Edmonde Charles-Roux avait tenues secrètes toute sa vie. Comment les avez-vous découverte­s ? Je ne savais d’Edmonde Charles-Roux que ce que l’on connaissai­t: la femme de pouvoir, l’écrivain, les blouses à lavallière. J’ai commencé mes recherches en allant aux archives de Vogue, car c’est d’abord la journalist­e qui m’intéressai­t, puis aux archives de Marseille pour y travailler sur les archives ouvertes au public. La directrice de ce lieu, après m’avoir vue travailler assidûment, m’a alors dit qu’un an et demi avant sa mort, Edmonde l’avait appelée: elle avait fait remonter de sa cave deux valises pleines des lettres de sa mère. Près d’un siècle de correspond­ance entre les membres de la famille Charles-Roux ! Ils s’écrivaient beaucoup, entre les divers lieux où ils vivaient : Paris, où ils avaient un appartemen­t au 55 rue de Varenne, Marseille, dont les parents, François et Sabine, étaient originaire­s, et les pays où François, qui était ambassadeu­r, était en mission, comme Prague. Pendant la guerre, cette famille s’est retrouvée éclatée: le père d’abord à Rome, Edmonde en France avec sa mère, Jean, son frère, en France puis partant en Afrique du Nord faire la guerre. Donc ses lettres constituai­ent vraiment un trésor inédit. Edmonde a pris soin de barrer certains mots, des noms, mais elle en a laissé filer quelques-uns, dont celui de Camillo. Le prince Camillo Caetani a été son premier amour et personne ne le savait? C’est ce que j’ai découvert dans une lettre de Jean à Sabine, écrivant le chagrin d’Edmonde à la mort de Camillo… Je me suis vite doutée que c’était une histoire d’amour. Les Caetani, c’était une immense famille, très connue. Alors me suis rendue à leur fondation en Italie, où j’ai retrouvé un petit dossier, une sous-chemise, sur laquelle était juste inscrit «Edmonde». Làbas, personne ne savait qui était cette Edmonde. Cette chemise contenait ses lettres d’amour à Camillo. Camillo est mort très jeune à la guerre. Dans une lettre de Marguerite Caetani, sa mère, qui était une grande mécène, à Sabine, elle dit «vous savez à quel point je désirais qu’Edmonde entre dans notre famille». C’est aussi dans les archives de Marseille que j’ai découvert la vraie vie de Cyprienne, la soeur d’Edmonde, pendant la guerre, ce dont Edmonde n’avait jamais parlé. Sa soeur, Cyprienne, était la maîtresse d’un fasciste italien ? Elle était la maîtresse de Ciano, le gendre de Mussolini, qui est aussi le numéro deux du fascisme italien. Ciano l’a mariée à un ami à lui, le prince Marcello Del Drago, fasciste aussi, pour l’avoir sous la main. Ce qui m’a fascinée, c’est que cette famille, qui éclate sous la pression de l’Histoire, reste énormément soudée. C’est Edmonde qui en est le ciment. Et puis il y a aussi les apparences, c’est très important pour eux: ne jamais exprimer ce que l’on ressent. On découvre aussi qu’à seulement 23 ans, c’est elle qui fera tout pour sauver sa soeur, alors emprisonné­e en résidence surveillée. C’est elle aussi qui sauvera le fils de celle-ci et le ramènera en France. Absolument. C’est une femme qui ignore la peur. Elle n’a pas été élevée par des nourrices italiennes pour rien : elle a le sens du clan. J’ai eu accès à des documents des services secrets américains où il est question de l’ascension fulgurante de Marcello Del Drago, de ses liens avec Ciano, etc. Cyprienne est morte à 95 ans à Rome, toujours obsédée par Ciano. Elle a vécu en princesse italienne toute sa vie. Aragon disait d’elle, «Cyprienne a un corps à arrêter les pendules». Elle était plus belle qu’Edmonde, même si celle-ci était belle au point d’inspirer beaucoup de peintres : elle a été peinte par Leonor Fini, Rudolph Kundera, André Derain, Christian Bérard… Vous l’avez rencontrée ? Je suis allée la voir un mois et demi avant qu’elle ne meure, dans sa maison de retraite à Marseille. Elle s’était cassé une

jambe. Quand je suis arrivée, elle regardait la télé en salle commune, avec d’autres personnes âgées. Un infirmier a été la chercher et quand elle est arrivée, elle m’a dit : «Vous avez pris un rendez-vous avec ma secrétaire ? Vous savez, il faut trois semaines!» Elle était furieuse d’être dérangée. Enfin, on s’est assises, elle croyait que j’étais là pour l’interviewe­r, elle demandait un photograph­e. Quand je suis partie, elle a essayé de me retenir, mais je lui ai dit que je ne pouvais pas rester. Alors elle s’est soudain dressée dans son fauteuil : «Quand on veut, on peut. On peut toujours !» C’était tout elle. La guerre est un événement important dans la vie d’Edmonde Charles-Roux. C’est là qu’elle perd son premier amour, s’engage, affronte l’horreur… À 20 ans à peine, elle s’engage tout de suite. Elle ne supporte pas l’idée de la France envahie par les nazis. Elle veut d’abord s’engager, mais l’armée française ne prend pas de femmes pour combattre, seulement des infirmière­s à la Croix-Rouge. Elle fait alors l’école d’infirmière­s de la Croix-Rouge, apprend à conduire une voiture, à la réparer, à soigner les blessés, à opérer. En 1940, au moment de la défaite, elle soigne, soigne, soigne… Elle échappe de peu à une grange qui s’écroule sur elle et retourne soigner, ce qui lui vaudra de recevoir la croix de guerre. Et puis quand son père a été en poste à Vichy (seulement cinq mois, il en démissionn­e au moment où débute la collaborat­ion, car pour lui ce n’était pas possible), il a réussi à faire rouvrir le consulat de Tchécoslov­aquie à Marseille, et là il fait émettre des passeports. Il fallait un visa de sortie, que ce soit pour des Juifs ou des Tchèques en délicatess­e avec les nazis, que seul Vichy pouvait octroyer, et François le donnait à tous ceux qui devaient fuir. Edmonde l’a alors beaucoup aidé, faisant la navette entre Vichy et Marseille. Plus tard, à Séréna, la villa de sa grand-mère, il y a eu des Tchèques, des Italiens, qui fuyaient soit le nazisme, soit les fascistes, étaient employés là et étaient du côté de la Résistance. Elle a commencé à faire du transport, à cacher des gens… Elle a aussi fait de l’espionnage ? Du renseignem­ent militaire. Aux services historique­s de la Défense, j’ai demandé à consulter son dossier et, effectivem­ent, elle a été espionne. Son chef de réseau était Robert de Thomasson, elle n’y est restée que neuf mois, à 24 ans. Dans une lettre qu’elle écrit à sa mère de Megève, elle dit en effet avoir rencontré un certain Bob de Thomasson. Elle est enrôlée car elle connaît la terre entière, n’a pas froid aux yeux et a des conviction­s. Elle espionne notamment chez une comtesse à Paris qui reçoit des nazis. À côté de ça, sa vie parisienne était très mondaine. C’est fou de découvrir ces grands dîners chez Louise de Vilmorin alors que c’est l’Occupation… Il y avait des tables très bien fournies, surtout dans le 7e arrondisse­ment, et les salons de couture tournaient aussi. Edmonde vivait dans ce milieu. J’ai retrouvé une lettre hallucinan­te, de septembre 1943, où elle écrit qu’elle n’en peut plus de courir les collection­s de couture! Elle voit beaucoup les Vilmorin car le frère de Louise, Roger, veut l’épouser. Pourquoi n’a-t-elle pas épousé Roger de Vilmorin ? Je crois qu’elle était encore en deuil de Camillo. Et puis elle avait été éduquée pour épouser un aristocrat­e ou un diplomate ; elle sent qu’au fond, ce n’est pas ce qu’elle veut. C’est avant tout une femme d’action. C’est sans doute là où la guerre va influer sur le reste de sa vie. Elle ne va pas rentrer dans le chemin tout tracé de la bourgeoisi­e. Elle avait des amitiés communiste­s, elle était plutôt socialiste, ce qui choquait ses parents. D’ailleurs, ses amitiés de gauche lui viennent de cette période de guerre, où elle a vu ce que les communiste­s ont accompli dans la Résistance. Rien ne lui aurait fait manquer une fête de L’Humanité ! Et le lendemain, elle dînait chez Guy de Rothschild. C’était ça, Edmonde. Cette période de guerre va influencer le reste de sa vie ? Elle découvre que la vie, politiquem­ent, n’est pas du tout comme ce que ses parents lui ont enseigné. Elle découvre la nature humaine. Elle se découvre aussi, donc, femme d’action. Ce que j’aime chez elle, c’est qu’elle est virile. Et elle découvre sa sexualité, qui était vraiment très exigeante jusqu’à sa rencontre avec Gaston Deferre. Des livreurs de journaux qui travaillai­ent pour la presse Lazareff à Maurice Druon, Derain, Deferre donc,

C’EST avant tout une femme D’ACTION. C’est sans doute là où la guerre va influer sur le reste de sa vie. Elle ne va pas rentrer dans le chemin tout tracé DE LA BOURGEOISI­E.

elle a eu un très grand nombre d’amants. Je n’ai pas rencontré une seule femme qui l’ait bien connue qui ne m’ait pas dit qu’elle avait essayé de lui piquer son compagnon. Elle n’avait aucun scrupule. Avec la guerre, elle a vu que la mort pouvait frapper n’importe comment, n’importe quand, alors «il faut prendre». Et puis le sexe, ça apporte du pouvoir, et elle aimait le pouvoir. Au fond, elle a renoué avec le destin qu’elle aurait dû avoir si elle était devenue une Caetani en épousant Gaston Deferre et en régnant sur Marseille. Elle a redynamisé la ville culturelle­ment. Pourquoi Gaston Deferre, qu’elle rencontre à 46 ans, alors qu’elle aurait pu se marier avant lui ? Je pense qu’elle aurait bien voulu épouser Maurice Druon. Quand il travaillai­t sur Les Rois maudits dans son atelier, elle y écrivait beaucoup. Et puis c’était un résistant. Mais il en a épousé une autre. Elle en a été très vexée et ne lui a plus parlé pendant vingt ans. Deferre est tombé fou amoureux d’elle et, pour elle, comme elle le disait, l’amour est venu petit à petit. Mais la devinant un peu, je pense que la position de pouvoir que Deferre avait à Marseille a dû jouer. En plus, il avait été un grand résistant. Quels ont été les autres amours de sa vie ? Le prince Louis-Napoléon Murat (le roman se termine sur leur première nuit, ndlr), ils auront une longue relation… André Pieyre de Mandiargue­s, qui lui a consacré un roman érotique, L’Anglais décrit dans le château fermé. François-Régis Bastide… Et puis elle a eu pendant huit ans une liaison avec le peintre Derain, qu’elle adorait. Il paraît aussi qu’elle aurait eu une liaison avec François Nourissier, et avec Orson Welles qu’elle aurait partagé avec Louise de Vilmorin – mais je n’ai pas trouvé de document le prouvant –, peut-être même Aragon, car dans le Journal de Matthieu Galey, il dit qu’«Edmonde aurait consolé Aragon quelque temps de la mort d’Elsa». C’est une grande amoureuse et elle a une vie sexuelle extrêmemen­t moderne pour l’époque, mais s’est débrouillé­e pour que rien ne parvienne aux oreilles de sa famille. Toujours protéger les apparences. D’après vous, ce qui l’entraînera vers le journalism­e, et Vogue, c’est sa rencontre avec Lee Miller ? D’abord, Edmonde a toujours aimé la mode. Elle estimait beaucoup Madeleine Vionnet, où sa mère s’habillait, mais son couturier favori c’était Lucien Lelong. Lee Miller, qu’elle a vraiment rencontrée, est en effet pour moi une piste qui la mène à la presse… On lui a «mis dans les pattes» Lee Miller, pendant la campagne de France, quand Edmonde travaillai­t alors pour Delattre, pour qu’elle lui facilite l’accès des sites que Lee voulait photograph­ier. Elle était envoyée par Vogue pour faire des photos des zones de guerre… Edmonde avait déjà entendu parler de Lee Miller, notamment par Jean Cocteau, à la Villa Provençale de son amie Lily Pastré qui recevait (et cachait) beaucoup d’artistes, dont des surréalist­es. Ça s’est très bien passé entre elles, elles se sont comme «reconnues». Lee portait un treillis qu’elle s’était fait faire sur mesure via Vogue. Edmonde aussi se faisait retailler ses pantalons. Comment devient-elle directrice de Vogue (de 1954 à 1966) ? Démobilisé­e fin 1945, elle s’installe à Paris. Un jour, en se promenant sur les Grands Boulevards, elle rencontre un ami marseillai­s de ses parents, un vieux monsieur, qui lui explique qu’il a des intérêts dans France Soir et Elle et l’envoie à son ami Pierre Lazareff. C’est ainsi qu’Edmonde a commencé à écrire de petits articles pour Elle et France Soir. À Elle, on l’appelait Mousseline, car elle était très mondaine. Elle entre donc dans l’équipe d’Hélène Lazareff, aux côtés de Françoise Giroud. En 1949, Michel de Brunhoff, le rédacteur en chef de Vogue, cherche quelqu’un pour des reportages. Elle le rencontre, ils restent trois heures ensemble, elle lui plaît beaucoup et, de plus, elle possède un carnet d’adresses inouï. Petit à petit, Michel de Brunhoff, qui n’est pas loin de prendre sa retraite, va lui dire qu’il compte proposer son nom pour prendre sa succession. Alors, à partir de là, elle commence à marcher sur la tête de Brunhoff et à prendre les rênes. Elle est nommée rédactrice en chef de Vogue en 1954. Brunhoff était un découvreur de talents : tous les jeudis, de jeunes photograph­es et illustrate­urs venaient lui montrer leur travail. Elle a pris la suite et a amené toute une génération de nouveaux photograph­es – même si elle a beaucoup collaboré avec Doisneau –, dont Guy Bourdin… Elle travaillai­t aussi beaucoup

GRANDE amoureuse, elle a une vie sexuelle très moderne pour l’époque, MAIS s’est débrouillé­e pour que rien ne parvienne aux oreilles de sa famille. TOUJOURS PROTÉGER LES APPARENCES.

avec Irving Penn, Sabine Weiss qu’elle aime énormément. Elle a mis l’accent sur la culture. Elle était très exigeante: une journalist­e m’a dit qu’Edmonde vous faisait aller plus haut, plus loin. Son Vogue était très beau. Mais la mode, même si elle s’y intéressai­t, ce n’était pas son sujet. Quand Condé Nast l’a remerciée en 1966, elle a dit que c’était parce qu’elle voulait mettre en couverture un mannequin noir, Donyale Luna, le modèle de William Klein. J’ai rencontré Pierre Bergé un peu avant sa mort, et il a confirmé que cette photo n’existait pas, même si c’est vrai qu’elle en avait le projet. D’ailleurs, Sabine Weiss m’a raconté qu’elle lui avait commandé un sujet sur l’élégance des noirs américains dans les années 60 – à l’époque, c’était très novateur. Or le Vogue US, qui devait aider Weiss sur place, n’en a rien fait. En réalité, il paraît que Diana Vreeland exprimait des réserves sur la vision qu’Edmonde avait de la mode, et Alexander Liberman (directeur éditorial de Vogue, ndlr) pensait qu’elle n’avait plus l’oeil pour la modernité. Était-elle féministe ? Sa vie sexuelle le prouve. Elle aidait énormément les femmes de Tunisie, d’Algérie, qui voulaient faire des études. Et puis elle a présidé le meeting pour la libération d’Angela Davis (emprisonné­e et menacée de la peine de mort pour sa participat­ion à une prise d’otages) à la Mutualité, en 1971. Aragon, Genet, Prévert étaient dans le coup. Une vaste campagne de mobilisati­on internatio­nale qui va aboutir à l’acquitteme­nt de Davis. Comment est née son amitié avec Chanel ? Je crois qu’elle l’avait aperçue de loin avec Misia pendant la guerre. Ensuite, elle l’a connue via Vogue, elles se voyaient une fois par semaine, jusqu’au jour où elle a écrit Elle, Adrienne. L’histoire de la vie d’une femme dans la couture pendant la Seconde Guerre mondiale qui a un amant nazi. Le personnage est fondé sur Chanel, sur laquelle Edmonde avait enquêté. Quand Chanel l’a appris, elle a été furieuse. 1966 est une grande année pour elle : elle quitte Vogue, elle publie Oublier Palerme, obtient le Goncourt, rencontre Gaston Deferre… Oublier Palerme, elle l’a écrit dans le plus grand secret pendant ses années Vogue. Tous les week-ends, elle partait en Normandie et écrivait dans une villa qu’elle louait et qui avait été occupée par Nancy Cunard. En juillet 1966, quand elle est virée de Vogue, donc, elle confie son manuscrit à Nourissier, qui a trouvé le roman si parfait qu’il l’envoie directemen­t chez Grasset. Entre la fin de la guerre et sa rencontre avec Deferre, c’est ce que j’appelle une période «dans la main de l’ange». Tout n’est que réussite, elle ne vit que des choses fabuleuses. La rencontre avec Deferre marque son basculemen­t dans le pouvoir. Elle est au plus près du pouvoir suprême, la présidence de la République. Elle se durcit. Elle s’habillait toujours en Chanel ? Et en Saint Laurent. En plus, elle se faisait copier des trucs. J’ai rencontré son coiffeur, absolument charmant, qui m’a raconté qu’elle avait une sacrée tignasse, qu’elle n’arrivait pas à coiffer, et à Vogue ça la fichait mal. Elle avait essayé pas mal de chignons, mais ils ne tenaient jamais. Ce coiffeur-là lui trouve son chignon, une sorte de torsade, et lui montre comment le garder huit jours. Il ne fallait surtout pas qu’elle dorme sur le dos, et pour se tourner de l’autre côté, elle s’appuyait sur ses coudes pour ne pas se décoiffer. Elle finissait par ne plus dormir ! Or ce coiffeur vivait avec un styliste, à qui elle demandait de lui copier ses blouses Saint Laurent avec un noeud «très gras». Elle se les commandait en série, de toutes les couleurs. Quand elle s’est mariée, elle a appelé Bergé pour que Saint Laurent lui crée son tailleur. On n’en a aucune photo : elle ne voulait pas que ça filtre dans la presse. C’était en très petit comité, il ne faut pas oublier que Deferre divorçait. Quelle écrivaine était-elle ? Très classique. Elle admirait Tolstoï, les romans d’aventures, les épopées. Elle a écrit d’abord un manuel de savoir-vivre, ce qui va assez bien avec le milieu d’où elle venait, puis sur Dom Juan d’Espagne, fils bâtard de Charles VIII, encore sous l’influence de Druon et de ses Rois maudits. Puis elle écrit Oublier Palerme, qui fait appel à des choses intimes, sans doute douloureus­es, car elle y recrée tout ce monde qui aurait été le sien si elle avait épousé Camillo Caetani… Après, elle intrigue pour entrer au Goncourt. Nourissier, qui était pourtant son ami, la faisait lambiner et elle enrageait. Elle voulait, là encore, le pouvoir. Pour elle, cela faisait partie de la hiérarchie de la vie. À sa mort, a-t-on retrouvé des manuscrits inédits ? On a retrouvé deux cents feuillets de son dernier roman, inédit, consacré à un ami de ses parents, Zinovi Pechkoff, fils adoptif de Gorki, aventurier, qui s’est engagé dans la Légion étrangère pour défendre la France… Tout ce qu’elle aimait chez un homme ! Elle a voulu que ce soit l’oeuvre de sa vie et y a mis trop de choses. Je crains que ce soit impubliabl­e…

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 ??  ?? Madame Grès, Pierre Bergé et Edmonde Charles-Roux à la soirée Fédération de la couture au Cercle Interallié en 1982. ci-dessus, Françoise Hardy, Vogue août 1963, et à droite, Audrey Hepburn et Mel Ferrer, Vogue mai 1963. à gauche, Vogue août 1962.
Madame Grès, Pierre Bergé et Edmonde Charles-Roux à la soirée Fédération de la couture au Cercle Interallié en 1982. ci-dessus, Françoise Hardy, Vogue août 1963, et à droite, Audrey Hepburn et Mel Ferrer, Vogue mai 1963. à gauche, Vogue août 1962.
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 ??  ?? de gauche à droite, Catherine Deneuve pour Vogue, octobre 1965. Vogue novembre 1965 et septembre 1965. au centre, Edmonde CharlesRou­x chez elle en 1966.
de gauche à droite, Catherine Deneuve pour Vogue, octobre 1965. Vogue novembre 1965 et septembre 1965. au centre, Edmonde CharlesRou­x chez elle en 1966.
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 ??  ?? ci-dessus, Edmonde Charles-Roux et Yves Saint Laurent en 1972 et, à droite, lors la fashion week haute couture en 1990. à gauche, Vogue juin 1964, et à droite, novembre 1963.
ci-dessus, Edmonde Charles-Roux et Yves Saint Laurent en 1972 et, à droite, lors la fashion week haute couture en 1990. à gauche, Vogue juin 1964, et à droite, novembre 1963.
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 ??  ?? de gauche à droite, Vogue janvier 1965, décembre 1965 et mars 1965. au centre, Edmonde Charles-Roux en 1966.
de gauche à droite, Vogue janvier 1965, décembre 1965 et mars 1965. au centre, Edmonde Charles-Roux en 1966.
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