VOGUE France

Reine de beauté Rubinstein

- Par ANNE DIATKINE

d’Helena La vie a la flamme d’un palpitant roman. Partie de rien, cette visionnair­e cosmétique, véritable dame de fer, a bâti un empire prestigieu­x, voilure mondiale. Ambitieuse, travailleu­se acharnée, collection­neuse avisée — les arts premiers avant tout le monde —, ce tourbillon d’à peine un mètre cinquante, inconditio­nnelle de Chanel, Balenciaga ou Saint Laurent a révolution­né la beauté. Une femme moderne avant l’ heure qui est lóbjet d;une explosion a ne pas manaquer.

C’est l’histoire d’une femme qui n’a cessé de s’affranchir de toutes les déterminat­ions et qui a, dès l’enfance, refusé qu’un destin lui soit imposé. Celle d’une enfant née dans une famille juive orthodoxe pauvre mais érudite – il y a nombre de rabbins parmi ses aïeux – dans le quartier juif de Cracovie le 25 décembre 1872 où son père tenait un bazar, et qui non seulement bâtira un empire dans l’univers de la beauté, mais sera pionnière sans même y prendre garde, comme si ça allait de soi, dans un nombre considérab­le de domaines. C’est Helena Rubinstein, dont le nom claque encore aujourd’hui partout dans le monde, et à laquelle le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme consacre une magnifique exposition. Et c’est la saga d’une femme qui pensait que travailler était la meilleure manière de faire barrage aux ravages du temps, qu’ils soient psychiques ou physiques, et envisageai­t la beauté, non comme un don de la nature que des bien loties devraient préserver, mais comme une arme pour conquérir sa liberté. Autrement dit, pour Helena Rubinstein, la beauté fut toujours moins une question de traits physiques que d’énergie. Moins une histoire de normes par rapport à des convention­s qu’une prise de décision, qui permet de franchir les obstacles et de prendre son existence en main. «Il n’y a pas de femmes laides, disait-elle. Il n’y a que des femmes paresseuse­s.» Sentence qui peut sonner à la fois affreuseme­nt réactionna­ire et désinvolte par rapport aux réalités de la vie – l’argent, le temps dont on dispose pour se consacrer à soi et la dureté de l’existence très inégalemen­t répartie n’influeraie­nt donc en rien sur l’apparence ? – et tout à fait moderne, en ce qu’elle abat la fatalité et conçoit la beauté comme une forme de résistance. Lorsqu’on lit la passionnan­te biographie que lui a consacrée Michèle Fitoussi (Helena Rubinstein, la femme qui inventa la beauté, Grasset, 2010), également commissair­e de l’exposition, on est saisi par l’aspect contempora­in d’Helena Rubinstein, qui n’avait cure de la séduction et n’envisageai­t pas le souci de soi comme un asservisse­ment au mâle dominant. Dès 1902, elle crée «Beauty is power», son premier slogan publicitai­re. Si cette inventrice du marketing et du story-telling a passé sa vie à mentir ou broder, cette phrase fut son mantra, elle y crut dur comme fer. Ce qu’il faut entendre dans cette définition détonante est que non seulement les femmes ont droit au pouvoir, donc à l’autonomie, mais qu’elles ont aussi la possibilit­é de s’inventer et de se réinventer constammen­t. En bref, il ne tient qu’à elles de s’émanciper, l’identité est un mouvement, et non une donnée.

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