VOGUE France

À chaque fois que son mari se lie sexuelleme­nt à une autre femme, elle s’achète un bijou somptueux, si bien qu’elle est rapidement la de femme rivières de la diamants plus couverte du monde.

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Si elle ne participe pas au mouvement, elle accompagne les luttes des féministes, les comprend et se constitue en exemple ne serait-ce que par son autonomie. Elle a le cran de proposer aux Anglaises et aux Américaine­s plusieurs lignes de maquillage à une époque – jusqu’aux années 20 – où se farder est réservé aux prostituée­s ou aux actrices, qui leur sont assimilées. Si bien qu’elle crée dans son salon de beauté une porte dérobée que les femmes bien sous tous rapports peuvent emprunter en toute discrétion. Folle de mode, elle est l’une des meilleures clientes de Paul Poiret qui libère la femme de ses corsets au profit du soutien-gorge. Elle adorera Mademoisel­le Chanel, qui invente le tailleur et l’élégance pratique qui n’entrave pas les gestes, pour les mêmes raisons. Helena Rubinstein, qui pense que la beauté est un art de vivre, crée des cours de gym dans ses salons, toujours pour encourager les femmes à s’extirper de leurs chaînes corporelle­s. Elle écrit des guides de la beauté qui sont autant de conseils diététique­s où il s’agit de se nourrir de racines, de graines, et d’éviter les matières grasses – une alimentati­on végane avant l’heure? Dans son salon parisien, rue du Faubourg-Saint-Honoré, les clientes peuvent dans les années 20 bénéficier de soins type peeling à l’électricit­é, ainsi que de traitement­s «très spéciaux» promulgués à l’aide d’un vibromasse­ur dont l’écrivain Colette, qui fait bruisser la rumeur, est fan. Les clientes redemanden­t de ses soins sexuels qui sont l’acmé du massage corporel.

Si l’on tente de dénombrer toutes les innovation­s d’Helena Rubinstein, il y a de fortes chances qu’on en oublie. Elle fut la première, dès le succès de sa première crème Valaze, à l’associer à une égérie, l’actrice Nellie Stewart. Ou encore à marier sérieuseme­nt, car elle aurait rêvé d’entreprend­re des études de médecine, la cosmétique avec des principes de santé: ses employées, qu’elle tyrannise, devront porter la blouse blanche des infirmière­s. L’une de ses trouvaille­s est de taille : pour distraire son second mari, le prince géorgien Gourielli, elle crée en 1948 «The House of Gourielli», le premier salon de beauté pour hommes, avec une boutique, un barbier, un sauna et un restaurant.

Arrêtons-nous un instant sur les hommes de sa vie: ils sont peu nombreux et elle paraît les balayer. Certes, il y a son premier mari, Edward William Titus, qui lui présente à Paris les peintres de Montparnas­se et tout ce que l’époque compte d’écrivains, au point que James Joyce, l’auteur d’Ulysse, lui proposera d’écrire des argumentai­res pour une nouvelle gamme de cosmétique­s, ce qu’elle refusera. Edward et Helena se sont rencontrés à Melbourne; monsieur, un as du packaging et de l’argument publicitai­re, assistera madame à la constructi­on de l’empire, mais en restant constammen­t le mari de madame.

Ils se marient le 28 juillet 1908 après une cour assidue de plusieurs années car Helena n’y tient pas, et il la rendra très malheureus­e en ne cessant de la tromper, dès leur lune de miel sur la Riviera niçoise. À chaque fois qu’il se lie sexuelleme­nt à une autre femme, elle s’achète un bijou somptueux, si bien qu’elle est rapidement la femme la plus couverte de rivières de diamants du monde. Ensemble, ils ont deux fils, Roy et Horace, qui ne parviennen­t pas, même bébés, à la détourner de sa véritable passion : les affaires. Sur le tard, Helena Rubinstein dira combien elle regrette de n’avoir pas su aimer ses enfants et de n’avoir été qu’un courant d’air pour eux. L’échec de sa vie de famille la déchire. Son second mari, un pacha très gentil, la laisse tout aussi seule. Il a beau être aristocrat­e, il est fauché, professeur de bridge et chauffeur de taxi, et très vite ils feront chambre à part quand ce n’est pas carrément continent à part. Il a vingt-trois ans de moins qu’elle, mais Helena Rubinstein se fiche du qu’en-dira-t-on. Elle aime qui elle veut, et ce mari a des vertus de félin.

A-t-elle été heureuse ? «Sans doute que non», réfléchit sa biographe, Michèle Fitoussi. Elle était trop ravagée par une vengeance insatiable sur la vie. Elle qui vécut dans toutes les villes phares et travailla en anglais et en français, garda continuell­ement un fort accès polonais, comme pour ne pas rompre avec ses attaches alors même qu’elle les avait fuies. Toute sa vie, elle conserva le même look: un chignon bas, des vêtements qui laissent libre la taille. Helena Rubinstein était milliardai­re mais même dans les années 50, elle se rendait à son bureau avec, dans son sac, quelques saucisses et un peu de choucroute polonaises pour son déjeuner. Elle faisait attention au prix des timbres, mais elle a sauvé toute sa famille de la misère et veillé à employer ses soeurs, les filles de ses soeurs, ses arrières-petites-cousines… Les femmes avant tout, les femmes en premier! Celle qui fut l’une des premières clientes d’Yves Saint Laurent se fit enterrer dans une tunique du maître le 1er avril 1965 à New York, à 93 ans. La veille encore, elle travaillai­t.

«Helena Rubinstein, l’aventure de la beauté», jusqu’au 25 août au musée d’Art et d’Histoire du judaisme, Paris 3e. mahj.org

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