VOGUE France

Les mélodies du BONHEUR

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Le succès de La La Land au cinéma, de Chicago et Peau d’Âne respective­ment montés sur les scènes de Mogador et Marigny, ainsi que les records de fréquentat­ion d’une récente exposition à la Philharmon­ie l’ont prouvé : les comédies musicales ont toujours le vent en poupe. Tout a commencé en 1866, à New York, avec la création The Black Crook de Charles M. Barras. Acteurs qui dansent et chantent, costumes et décors ébouriffan­ts: d’une durée de cinq heures, la pièce reste près de dix-huit mois à l’affiche! Depuis, sur les planches ou en salles, ce genre artistique éclectique peut réconforte­r (La Mélodie du bonheur) ou émouvoir (Les Parapluies de Cherbourg).

«À l’origine, les comédies musicales étaient créées pour un public familial afin de montrer du ballet, explique David Sztanke, compositeu­r de musiques de films tels Les Malheurs de Sophie ou Au Poste. C’est le cas de West Side Story où l’on en apprend autant sur la danse que sur les gangs de New York! La musique, elle, aide les scènes à s’imprimer sur la rétine des spectateur­s. Les Demoiselle­s de Rochefort sont entrées dans l’inconscien­t collectif français, mais on ne sait pas si c’est pour ses chansons ou pour les soeurs qui dansent!» Un mélange savant des deux, assurément, orchestré à quatre mains par Jacques Demy et Michel Legrand. La réussite d’une comédie musicale tenant surtout à ses mélodies, le travail d’arrangemen­t est crucial: il faut rester accessible au plus grand nombre et trouver un fil rouge sonore qui rend l’instrument­ation plus addictive encore que l’histoire en elle-même. «Si La La Land n’est pas un film jeune public, commente David Sztanke, la musique est composée de gimmicks que s’approprien­t facilement les enfants, sensibles à la notion de répétition.» De plus, ceux-ci sont souvent les protagonis­tes des comédies musicales (Annie, Émilie Jolie, Billy Elliott) qui, lorsqu’elles utilisent des cadres scolaires (le lycée de Grease, l’école de danse de Fame), les touchent d’autant plus. Ils s’avèrent des spectateur­s aussi enthousias­tes – voire davantage – que les adultes.

Walt Disney l’avait bien compris en envisagean­t, dès 1937, ses dessins animés comme des comédies musicales, ce que nous raconte Laurent Valière, journalist­e et producteur de l’émission «42e Rue» (sur France Musique le dimanche à 13 heures) : «Dans Blanche-Neige (1937), il y a du chant et de la danse. Le succès a été tel que la Warner a voulu faire un film musical fantastiqu­e pour les enfants, sorti l’année suivante: Le Magicien d’Oz.» Même les adultes succombent : la chanson phare de Blanche-Neige, Un jour mon prince viendra, devient un standard jazz repris par Chet Baker ou Miles Davis! L’intrigue d’un Chantons sous la pluie s’adresse d’ailleurs avant tout aux adultes. «Le service communicat­ion d’un studio de cinéma qui fait de la publicité mensongère, c’est un thème très contempora­in, analyse Laurent Valière. Le scénario est signé par Betty Comden et Adolph Green, des auteurs chevronnés de Broadway, qui ont insufflé dans toutes leurs histoires beaucoup d’honnêteté.» Ce qui touche petits et grands à différents niveaux de lecture. En revanche, certains films musicaux, comme ceux de Christophe Honoré, sont trop ancrés dans un réel tragique pour être montrés aux enfants. Bien que La La Land ait contourné avec finesse l’injonction du happy end, certains codes narratifs doivent être respectés pour faire de la comédie musicale le spectacle familial par excellence : «Un enfant orphelin ou abandonné, des quiproquos, des retrouvail­les…», résume Laurent Valière.

La popularité de la comédie musicale tient également à ses couleurs chatoyante­s. D’après David Sztanke, c’est à Demy que l’on doit cette farandole chromique qui a inspiré bien des réalisateu­rs, le dernier en date étant Damien Chazelle avec La La Land : «Le pastel et les aplats de couleurs sans motif marquent l’imaginaire. Les comédies musicales sont des cahiers de coloriage.» On peut néanmoins se poser la question: en 2019, pourquoi sont-elles si indispensa­bles aux théâtres (Les Aventures de Tom Sawyer, Jules Verne) et aux salles de cinéma (Wicked, Aladdin)? D’abord pour leur qualité, de plus en plus au rendez-vous. Les promoteurs investisse­nt dans les décors et les effets spéciaux, l’écriture est soignée, le casting à la hauteur. Mais, au-delà des étoiles et des paillettes, il s’agit d’affect. «Peut-être vit-on une époque où l’ambiance est morose, comme dans les années 30, où le public a besoin d’évasion, conclut Laurent Valière. La comédie musicale donne des ailes pour affronter la sombre réalité.»

À lire : 42e Rue, la grande histoire des comédies musicales, de Laurent Valière (Marabout/France Musique).

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avril 2019
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et Mary Poppins (ci-dessous).
Classiques parmi les classiques, Le Magicien d’Oz et Mary Poppins (ci-dessous).
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