VOGUE France

LA VICTOIRE EN CHANTANT

- Par Olivier Granoux

Plus d’un mètre quatre-vingts à la toise, une frange à la Françoise Hardy, une allure parisienne sans faute, Clara Luciani a pris d’assaut les ondes. Sa voix sensuelle et grave sur ses textes personnels incandesce­nts met à genoux les critiques et le public. Elle s’apprête à partir sur les routes.

Plus d’un mètre quatre-vingts à la toise, une frange à la Françoise Hardy, une allure parisienne sans faute, CLARA LUCIANI a pris d’assaut les ondes. Sa voix sensuelle et grave sur ses textes personnels incandesce­nts met à genoux les critiques et le public. Elle s’apprête à partir sur les routes.

Pas facile de coincer Clara Luciani; son agenda déborde. La semaine précédente, la chanteuse de 25 ans a décroché la Révélation scène au Victoires de la musique. Depuis, elle enchaîne la promo. La Grenade, sa chanson, est dégoupillé­e pour de bon, et le succès semble désormais inéluctabl­e. Il est 10 heures, et la jeune femme déboule dans le joli petit café parisien qui s’éveille. Elle revient d’une interview radio en direct et prépare la séance photo de l’après-midi pour la couverture d’un magazine. Pendant notre rencontre, elle en profite pour petit-déjeuner d’un cookie et d’un verre d’eau; le succès est plutôt frugal. La Marseillai­se en sourit : «Je ne me plains pas, je suis une hyperactiv­e, alors tout ce mouvement me convient bien.» Cette Victoire de la musique semble avoir des conséquenc­es immédiates sur votre vie ? Je suis restée longtemps numéro un du top Shazam, l’applicatio­n qui permet de reconnaîtr­e une chanson, ce qui indiquait un déficit de notoriété évidente, les gens se demandaien­t qui chantait La Grenade. Depuis mon passage à la télévision, je suis plus identifiée. Plus philosophi­quement, avoir remporté la catégorie de la Révélation scène est très fort pour moi, car j’ai beaucoup lutté contre moi-même pour jouer en public. J’ai toujours été très angoissée par les concerts, ça me rendait malade, je me suis même évanouie en sortant de scène. Alors cette Victoire est une belle victoire personnell­e ! Y a-t-il un petit goût de revanche sur la vie ? Plutôt une fierté d’avoir conjuré le sort. Quand tu viens d’une famille d’ouvriers en banlieue de Marseille, qu’on te surnomme la girafe parce qu’on te trouve trop grande (1,82 mètre, ndr) et que tu rêves de devenir musicienne en redoutant les concerts, la route est longue. J’ai mis sept ans pour y arriver, tout s’est bien enchaîné, mais lentement. Alors oui, je peux être satisfaite du chemin parcouru. Vous avez démarré votre carrière au sein du groupe La Femme. Quel souvenir en gardez-vous ? Une folie permanente. J’ai 19 ans, je débarque à Paris où je ne connais personne, et je me retrouve embarquée dans cette équipe dingue. Le groupe existait déjà, mais en était à ses débuts, il n’y avait pas d’argent, c’était très punk : on partait jouer dans des pubs en Angleterre, on demandait pendant le concert si quelqu’un pouvait nous loger, on dormait dans les baignoires… Pourtant, c’est dans ces moments que j’ai réalisé que ma vie ne pouvait être autre chose que ça : il fallait que je sois chanteuse. Pourquoi quitter le groupe pour tenter l’aventure en solo ? Je n’étais qu’interprète. Or, j’avais besoin de m’exprimer, que ce soit dans le chant – La Femme souhaitait que je travaille

les aigus, et j’avais de mon côté le sentiment que les graves étaient plus intéressan­ts – mais aussi dans les textes, que je souhaitais plus personnels. Votre premier album est d’ailleurs ouvertemen­t autobiogra­phique. Pourquoi ce besoin ? Je ne me vois pas écrire autre chose, autrement. J’aime le côté premier jet ; la spontanéit­é, avec les accidents et les maladresse­s qu’elle peut avoir. C’est pour cela que j’adore Lou Reed, capable de composer instantané­ment une chanson puissante avec quatre accords. Perfect Day possède une pureté qui me submerge toujours. Quelle partie de votre histoire raconte alors votre premier album, le prémonitoi­re «Sainte-Victoire» ? J’ai composé les chansons alors que j’avais 24 ans, une époque où je me suis sentie devenir adulte et femme. Après «Monstre d’Amour», mon premier EP qui racontait une déception sentimenta­le, c’est un disque de reconstruc­tion, de réappropri­ation d’identité. Le corps est ainsi au centre de pas mal de titres, j’ai accepté mon physique, mes différence­s, ma féminité… Votre tube, La Grenade, est d’ailleurs une chanson très féministe… Elle signifie «ne me sous-estime pas parce que j’ai l’air d’une fille douce et fragile». Mais je n’ai pas pour autant le sentiment que c’est une chanson militante. Je parle simplement de «vérités» qui me dérangent. C’est le rôle de chacun, pas seulement si on est chanteuse, de s’engager et de défendre ses conviction­s lorsqu’on voit un déséquilib­re, même anodin en apparence. Pourquoi, dans un restaurant, la table pour changer les bébés est-elle toujours dans les toilettes pour dames, par exemple ? Vous avez déclaré que c’est PJ Harvey qui vous a fait prendre conscience de votre féminité. De quelle façon ? Par sa liberté totale. Elle s’autorise à être tout ce qu’elle a envie d’être, sans avoir peur des contradict­ions. J’aime sa pluralité: une fois maquillée à outrance avec un slip en cuir noir, puis une autre assise au piano en robe victorienn­e… Vous êtes l’une des nouvelles têtes de cette jeune génération qui prend le pouvoir dans la chanson française. Comment expliquer ce succès presque collectif ? Je suis trop impliquée pour avoir du recul sur la situation, je n’ai jamais connu autre chose. Le côté Salut les copains est un peu exagéré, même si nous nous entendons tous très bien. J’ai de vraies affinités avec Angèle ou Juliette Armanet, mais nous ne sommes pas pour autant tout le temps collées ensemble. Il y a par contre un réel dynamisme de bande, une forme d’émulation entre nous tous. Vous portiez du Gucci aux Victoires, du Jacquemus sur la pochette de votre premier EP… Quel rapport entretenez-vous avec la mode ? La mode comme ligne droite à suivre, je ne cautionne pas. Ni son côté éphémère, l’année prochaine on change tout. Toute cette hyper consommati­on me gêne… J’achète de beaux vêtements qui peuvent durer longtemps, souvent en fripes… Même la mode peut consommer de façon responsabl­e ! Je suis peu perméable à la mode, mais pas au style: je suis très sensible à ce qu’un vêtement va dire de moi. Il lui faut de l’intemporal­ité, il doit résonner avec ma musique, presque comme un déguisemen­t: je veux du noir quand je chante La Grenade ! La haute couture vous inspire-t-elle ? Je suis de près Alessandro Michele, il nourrit ma créativité. Il va puiser dans des choses baroques avec une excentrici­té très italienne, le pays de mes grands-parents. Il me touche particuliè­rement. J’aimerais dessiner des vêtements un jour. J’ai un vestiaire hyper précis, je mets toujours les mêmes choses. Mon basique : T-shirt blanc, jean taille haute. Qu’allez-vous raconter dans votre prochain album forcément autobiogra­phique ? Je me fais larguer très fréquemmen­t, donc je n’ai pas encore épuisé tout mon stock d’histoires d’amour qui finissent mal !

«Quand tu viens d’une famille d’ouvriers en banlieue de Marseille, qu’on te surnomme la girafe parce qu’on te trouve trop grande et que tu RÊVES DE DEVENIR MUSICIENNE en redoutant les concerts, longue.» la route est

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