L’autre chance, plus importante encore et qui se répétera à chacun de ses déplacements, est son insolent sens du timing. Quoi qu’elle fasse, elle est toujours au au bon moment. endroit bon
Raja a 24 ans, elle est seule, elle est libre. Et son premier acte, au moment de monter sur le paquebot, est de modifier à la main sur son passeport sa date de naissance – elle se rajeunit de quelques années – et surtout son prénom. Helena Rubinstein est née.
Le changement est d’importance, car il témoigne à la fois de son sens de l’onomastique – elle ne sait pas ce qu’elle fera de sa vie, mais elle s’appelle Helena Rubinstein et il ne faut pas oublier qu’elle baptisera elle-même tous ses produits de beauté – et de sa fierté d’être juive, à une époque où l’antisémitisme virulent va crescendo. De plus, Helena Rubinstein, qui se mariera deux fois, refusera toujours d’adopter le nom de son époux et proposera même à sa bien-aimée petite-cousine Mala, qu’elle nomme à la tête de ses affaires, d’en hériter. L’une des modernités d’Helena Rubinstein, c’est une incroyable faculté de faire fi des genres et des contraintes du féminin, sans rien théoriser.
Comment devient-on, au début du siècle dernier, une redoutable femme d’affaires qui veille seule sur son domaine qu’elle ne cesse d’agrandir, n’ayant permis à aucun homme – ni mari, ni fils, ni collaborateur – de prendre une place d’importance dans l’entreprise ? D’où vient sa poigne, sa rage de réussite qui ne la lâchera jamais ? Comment en vient-elle très jeune, et alors qu’elle n’a pas fait d’études, à défendre ce qui reste les fondamentaux du soin de peau, encore aujourd’hui : la protection contre le soleil et l’hydratation ? D’où provient son plaisir de magicienne à inventer sans cesse de nouvelles crèmes, femme qui soigne inlassablement les autres femmes ?