VOGUE France

Comment devient-on, au début du siècle dernier, une redoutable femme d’affaires

qui veille seule sur son domaine qu’elle ne cesse d’agrandir, n’ayant permis à aucun homme – ni mari, ni fils, ni collaborat­eur – de prendre une place d’ importance dans l’entreprise ?

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L'Australie fut une expérience aride où Helena Rubinstein, maltraitée par ses oncles, ne cesse de fuir de Melbourne à Sydney et où elle est, tour à tour, vendeuse dans une pharmacie, bonne d’enfants, serveuse, et toujours seule. Avec une obsession : retrouver la crème de son enfance qui est sa petite madeleine à elle. Et qui, lui semble-t-il, pourrait être fort utile aux fermières australien­nes à la peau durcie par le soleil. Elle obtient de sa mère qu’elle lui envoie quelques rares petits pots, dont elle scrute la compositio­n pour tenter de reproduire l’onguent, jamais correcteme­nt, il manque un liant. Qu’elle finit par trouver par hasard, en comptant les moutons australien­s la nuit. Leur graisse, qui sent mauvais, est la clé qui permet d’obtenir une texture onctueuse. Valaze, don du ciel en hongrois, est née. C’est la crème de son enfance et cela n’a pas de prix, tout comme la beauté. La future femme d’affaires a l’intelligen­ce de la vendre très cher. La rumeur fait le reste. Il se murmure que la crème fait des miracles et, au moins sur le plan économique, le fait est indéniable.

L’atout d’Helena Rubinstein dans cet immense pays est d’être vierge de tout poids familial dès lors qu’elle a rompu avec ses oncles, ce qui la rend d’autant plus libre de broder des histoires au sujet de ses crèmes, forcément rares, puisqu’elle les fabrique toute seule. L’autre chance, plus importante encore et qui se répétera à chacun de ses déplacemen­ts, est son insolent sens du timing. Quoi qu’elle fasse, elle est toujours au bon endroit au bon moment. Les Néo-Zélandaise­s ont obtenu le droit de vote dès 1889, les Australien­nes en 1902? C’est à Melbourne qu’elle crée son premier salon de beauté, et elle s’imprègne du féminisme ambiant. Quelques années plus tard, elle part vivre à Londres au moment où les suffragett­es prennent la rue.

 ??  ?? Helena Rubinstein en 1942, en conversati­on avec son jardinier Jack Hofflander, concepteur des jardins de son triplex de Park Avenue, à New York.
À gauche, publicités de 1976 et 1953. page de droite, Helena Rubinstein en 1937, en train de trier ses bijoux.
Helena Rubinstein en 1942, en conversati­on avec son jardinier Jack Hofflander, concepteur des jardins de son triplex de Park Avenue, à New York. À gauche, publicités de 1976 et 1953. page de droite, Helena Rubinstein en 1937, en train de trier ses bijoux.
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