FLASH-BACK
Franco Rubartelli, Vogue Paris, juin-juillet 1968.
est-ce la faute à ce bleu fumé et ce vert olive qui, une fois mélangés, font tellement heroic fantasy, il nous a semblé tenir là une image du début des années 80, synchrone avec une époque qui cherchait, entre Conan le Barbare et aérobic, à reprendre du poil de la bête. Les couleurs sont trompeuses: la mémoire doit faire un petit effort supplémentaire, revenir à l’année 1968, en l’occurrence au numéro des mois de juin-juillet, sans doute paru parmi les ruines encore fumantes du Quartier latin et du joli mai : Veruschka, spectaculaire comme jamais, sortant d’un paysage de savane, d’une jungle inquiétante, sauvagement sanglée dans une chemise de nuit de crêpe georgette Trevira, longue, fendue de côté et coulissée à la taille, création du jeune styliste Karl Lagerfeld pour Fürstenberg. Veruschka n’a pas encore joué Salomé pour le baroque Carmelo Bene (il lui faudra attendre 1972), mais déjà elle renoue avec une mythologie d’en dehors les âges, cherchant une voie de sortie à une époque tout en tensions en se tournant vers l’Afrique, la Centrafrique plus exactement : Franco Rubartelli avait décidé d’emmener sa muse, son idéal, sous les cascades célestes de Baoli, à 50 kilomètres de Bangui, pour la photographier au coeur du monde.
On peut y voir le premier signe d’une mode safari, non pas la promotion d’un, hum, «sport» qui aujourd’hui nous scandalise, mais l’élan qui, en mode, a permis aux créateurs de pousser l’inspiration en dehors de l’axe Paris-Milan-Londres-New York. Et effectivement, tous les regards n’allaient pas tarder à se fixer pour presque dix ans en direction de «l’outer-world» – de l’Inde à l’Afghanistan, en passant par Zanzibar, la planète devient soudain plus large, à traverser, à lire, selon les idéaux hippies.
On peut y voir surtout une volonté de sortir une fois pour toutes de l’Histoire, la nécessité d’inventer des mythologies nouvelles, de rêver à des déesses venues du ventre volcanique de la Terre, fille des eaux et de la lave : Veruschka, toujours un peu plus loin…