«Être éco-responsable, c’est cela, le vrai luxe !
Ce sont les griffes prestigieuses qui polluent le plus. Les magazines devraient faire passer le message que le cool est dans l’ écologie.»
AnjaRubik est une femme qui va au front. Ses engagements ne sont pas de façade. On doit remonter jusqu’à Jane Fonda pendant la guerre du Vietnam pour retrouver une implication sur le terrain aussi totale. En effet, la top creuse ses sujets, enquête, écoute et les connaît sur le bout des doigts, précise et intarissable. C’est en voyageant dans les endroits les plus reculés de la Pologne qu’elle découvre, via des associations, que les avortements illégaux sont bien plus fréquents à l’est du pays où le mot sexualité est tabou qu’à Varsovie, par exemple. Elle constate également que plus les adolescents bénéficient d’une éducation sexuelle, moins il y a de grossesses précoces dans un pays où le sida touche par ailleurs une population de plus en plus jeune. «Ce n’est pas parce qu’on a une vie sexuelle qu’on a une connaissance de la sexualité. On vit actuellement ce paradoxe d’être bombardé de sexe en permanence et, en même temps, de ne pas réussir à penser simplement la sexualité. Pour nombre de couples, ce n’est pas un sujet. De même, les adolescents n’ont jamais de conversation à ce propos avec leurs parents. Il ne s’agit pas d’être frontal. Mais tout ne s’improvise pas.» Si la question est si importante pour Anja, c’est qu’elle sait que recevoir une éducation sexuelle permet une meilleure acceptation de soi-même et des autres, une meilleure santé, une tolérance par rapport aux différences. Mais qu’elle permet aussi de savoir ce que consentir veut dire et qu’on a le droit de refuser une relation. Que le sujet est vaste et qu’il ne s’agit pas, contrairement à ce que nombre de Polonais pensent, d’infliger aux enfants un manuel de kamasutra. Anja explique: «Aujourd’hui, les écoliers polonais ont des cours sur la famille prodigués par des prêtres et des bonnes soeurs. Dans ces manuels qui expliquent comment être une bonne mère ou un bon père, le mot sexe n’est cité que deux fois, dans des contextes négatifs. Quant à la contraception, seule la méthode dite “naturelle” est mentionnée.» On peut lire aussi que «les règles des femmes sont les larmes du vagin parce qu’elles n’ont pas d’enfant dans le coeur», s’insurge-t-elle. Prenant conscience des conséquences de cette mainmise sur la vie privée par l’Église, la top organise des workshops dans les écoles et a tourné elle-même quatorze vidéos d’une minute, sur des thèmes précis que les ados et les parents visionnent sur leur téléphone pour les aider à entamer une conversation. Très vite, il y a des attaques et les puissances catholiques incriminent la jeune femme, lui reprochant d’attaquer les valeurs de l’Église et de vouloir «sexualiser la jeunesse polonaise».
Anja non plus n’a pas eu d’éducation sexuelle quand elle était enfant : elle dit que ça lui a manqué, y compris à ses débuts, dans son métier. Elle est née dans la Pologne communiste, que ses parents parviennent à fuir. Leur voyage les mène en Grèce, au Canada, à Paris, jusqu’à ce qu’ils atteignent leur rêve : être vétérinaires en Afrique du Sud, dans une réserve. «C’était une période merveilleuse de ma vie. Après l’école, j’allais marcher dans le bush.» Est-ce cette expérience qui lui donne un sens aigu de la fragilité de la nature et de la nécessité des combats écologiques ? L’éducation sexuelle des jeunes Polonais et le droit des femmes ne sont pas les seuls chevaux de bataille d’Anja Rubik, qui est tout aussi déterminée lorsqu’elle évoque la nécessité d’agir contre le réchauffement climatique et pour la préservation des océans. «Huit millions de tonnes de déchets plastiques se déversent dans les océans chaque année. Si rien ne change, il y aura plus de plastique que de poissons dans la mer.» Depuis 2016, elle est consultante pour l’organisation Parley. Elle ne mâche pas ses mots: «Ce qui me choque, c’est que les marques de luxe, qui sont florissantes et devraient donner l’exemple, ne le font absolument pas. Elles ont les moyens de produire autrement aujourd’hui et devraient engendrer un mouvement auprès des marques qui copient constamment leurs modèles.» Et insiste : «Être écoresponsable, c’est cela, le vrai luxe ! Ce sont les griffes prestigieuses qui polluent le plus. Les magazines devraient faire passer le message que le cool est dans l’écologie.» Elle note : «Au Rwanda, par exemple, le sac plastique est interdit. Alors qu’en France et aux États-Unis, on utilise toujours autant de sacs en plastique non recyclable.» Dans sa vie personnelle, elle fait de son mieux pour être éco-responsable, scrute la composition des produits, les choisit en fonction de leur emballage… «Je m’exprime à ce sujet dans les maisons qui m’emploient. Ma démarche est de les convaincre plutôt que de les boycotter.» Anja, qui n’a pas d’enfant, remarque : «Ce vendredi 15 mars est un jour fondamental car la jeunesse du monde entier est dans la rue pour le climat!» Elle se souvient que petite, elle se sentait déjà privilégiée et soucieuse du monde qui l’entourait. «Je préparais des paquets à Noël pour des orphelins. Je faisais la quête pour les pauvres.» Aujourd’hui, elle estime que sa notoriété lui confère une responsabilité. Celle de faire entendre sa voix pour des causes fondamentales.