VOGUE France

FLASH-BACK

- Par Nelly Kaprièlian

Helmut Newton, Vogue Paris, mai 1981.

Cette photo a quelque chose de mystérieux: un noir et blanc de film noir, une brune au regard de défi, une bodybuilde­use qui se déhanche sur un trapèze. Mais que peut bien faire une bodybuilde­use sur un trapèze ? C’est Helmut Newton qui photograph­ie Lisa Lyon comme dans un cirque. Femme fatale ou freak ? Ou un peu les deux: c’est la façon dont certains hommes perçoivent encore les femmes qui prennent le pouvoir, comme des choses contre nature. Lisa Lyon est une pionnière du bodybuildi­ng (féminin), cette gym gonflée aux haltères, aux protéines et aux hormones, qui exacerbe les muscles et fait fureur en Californie, où est d’ailleurs née la jeune femme en 1953. C’est comme un message : les femmes doivent se réappropri­er leurs corps (quitte à porter du Lycra !). Qu’on soit culturiste, qu’on fasse de l’aérobic ou du jogging, c’est la nouvelle mode à la fin de seventies – comme le Lycra. Dans les magazines, les photos pullulent qui montrent hommes ou femmes aux corps Bibendum. Ça paraît sain, mais c’est une manière aussi sophistiqu­ée que les régimes et chirurgies des stars hollywoodi­ennes des années 40 pour transforme­r son apparence. Les formes féminines s’effacent, un autre corps apparaît, intersexué comme on dirait aujourd’hui. Lisa Lyon devient top model et sera photograph­iée par Newton et Mapplethor­pe, sans doute fascinés par le pouvoir du mental exercé sur un corps pour le ployer à son goût. La Belle ou la Bête, peu importe, Lisa Lyon se sculpte, se réinvente, aussi diablement sexy, glamour et androgyne que le fut une Marlene Dietrich. En plus animale. En 1981, pour Vogue, elle porte un maillot d’un designer japonais oublié depuis. Est-ce la même année qu’elle rencontre Bernard Lavilliers, alors sex-symbol du rock français? Il raconte leur coup foudre à Los Angeles dans son album «Nuit d’amour». J’ai le souffle coupé quand je les croise à ce moment-là, en 1981 ou 1982, dans les rues de Paris à la fin d’un samedi d’été, main dans la main, leurs regards soulignés de khôl, leurs corps moulés de cuir noir, exsudant un sex-appeal félin. Je me souviens encore, des décennies après, du contraste entre leurs corps éclatants de force et de santé et leurs looks de morts-vivants. Deux vampires bodybuildé­s que cette photo fait resurgir de ma mémoire.

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