Caster Semenya, un corps à part
Nul ne sait dans quel monde des milliers d’heures d’entraînement en solitaire peuvent vous propulser. La prodigieuse vitesse de Caster Semenya, qui a appris à courir dans une campagne perdue au nord de l’Afrique du Sud, aurait pu lui ouvrir la porte des banquets de la gloire, mais elle l’a menée droit aux coulisses du scandale et aux bancs des tribunaux. En quelques heures, après une course euphorique sur 800 mètres lors des championnats du monde d’athlétisme de 2009, la jeune femme du Limpopo devient une bête curieuse que la presse traque et que ses adversaires dénigrent. Est-elle une femme justement ? La question court les travées, les sourcils se froncent, les mâchoires se crispent. Son corps ne répond à aucune norme connue. Et ses performances sont phénoménales. Avant même la course, les autorités sportives lancent leur enquête. Toute la médecine est convoquée: endocrinologues, psychologues, gynécologues... Pour décider si l’imposante, la puissante Casper qui a grandi comme une fille, loin des yeux du monde, en est réellement une. Des tests génétiques sont exigés mais les résultats tenus secrets, ce qui aiguise la curiosité du monde entier. La traque s’intensifie, l’Afrique du Sud crie au racisme et la rumeur filtre que Caster Semanya est effectivement hors norme, un corps à part, un corps intermédiaire, «intersexué», avec un taux de testostérone exceptionnel et un génotype XY5. Son histoire devient une suite de procédures et de victoires qui se négocient dans les salles d’audience. Caster Semenya est une championne unique en son genre. Elle est seule aussi. «Tout le monde me regarde de travers, tout le monde veut me toucher», se plaint-elle. Elle court toujours.