VOGUE France

LA REINE VICTORIA

- Par Mathieu Palain. Photograph­e David Sims. Réalisatio­n Emmanuelle Alt.

1,78 mètre à la toise, le corps parfait, une cascade de cheveux châtaigne et le sourire coup de soleil, Victoria Vergara est l’incarnatio­n de la Petite Sirène. À 25 ans, la championne de longboard grandie en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion intrigue désormais le monde de la mode qui lui fait les yeux doux. Par Mathieu Palain, photograph­e David Sims, réalisatio­n Emmanuelle Alt

1,78 mètre à la toise, le corps parfait, une cascade de cheveux châtaigne et le sourire coup de soleil, Victoria Vergara est l’ incarnatio­n de la petite sirène. À 25 ans, la championne de longboard grandie en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion intrigue désormais le monde de la mode qui lui fait les yeux doux.

Bien sûr il y a ceux qui «fracassent», qui surfent en puissance, envoyant des gerbes d’écume à chaque virage. Mais il y a aussi les chats, qui s’amusent avec la vague comme avec une souris, faisant mine de la laisser filer avant de la reprendre, et de recommence­r. «Toute ma vie tient là, dans cette échappée formidable, lorsque je sens la vague sous ma planche, et pfiou, tu y vas. Je peux te dire, toute la merde, je la laisse derrière moi: les parents qui gueulent, les profs, les curés, les politiques, les planchiste­s… Puis, je rame et j’en prends une autre. Voilà ma vie.» Cette confession a été soufflée en 1990 par le plus élégant des surfeurs, l’Américain Miki Dora, dit «le chat», pour son agilité dans les vagues. Victoria Vergara rougit en entendant le nom de Dora et s’excuse en disant que non, quand même, elle n’a ni sa carrière ni son aura. Bien. Mais qu’elle le veuille ou non, Vergara est une puriste qui surfe à l’ancienne, sans leash et avec une seule dérive sous sa planche, comme on le faisait à Malibu il y a cinquante ans. La regarder évoluer sur l’eau vous ramène à des images de petits rats en tutu qui enchaînent les mouvements à la barre avant de s’élancer sur le parquet. On parle de grâce. De style. D’élégance. Mannequin et surfeuse profession­nelle de 25 ans, Victoria Vergara l’avoue sans ciller : son métier, c’est de danser. Danseuse sur mer, ça vous convient comme descriptio­n ? J’ai commencé par la danse. Un peu de classique, puis du modernjazz, pendant trois ou quatre ans. On était très sportifs dans ma famille, alors j’ai touché à pas mal de trucs. De la danse, du basket, de la guitare… À ma naissance, mes parents habitaient l’île d’Oléron, ils m’ont tout de suite amenée à la plage et c’est là que j’ai découvert le surf. Ça a été comme une révélation. D’un coup, j’avais trouvé le moyen de m’exprimer.

Vos parents surfent? Ma mère est mon surfeur préféré, mon héros, tout ce que vous voulez, je lui dois tout ! À la base, elle était joueuse profession­nelle de volley-ball – c’est d’ailleurs sur un terrain qu’elle a rencontré mon père, entraîneur et joueur lui aussi – mais elle a beaucoup voyagé et, au fil de ses aventures, elle a vécu un moment en Australie. Là-bas, elle a eu un coup de foudre pour l’océan, elle s’est mise au surf, a entraîné mon père dans les vagues, et j’ai suivi. Au début, je me levais sur un bodyboard, puis je suis passée sur de vraies planches, et j’ai pu les accompagne­r au large.

Pourquoi utiliser un longboard, ces planches interminab­les qui étaient celles des premiers surfeurs ? Quand j’ai eu 10 ans, mon père a eu l’opportunit­é de travailler en Nouvelle-Calédonie, alors mes parents m’ont prise sous le bras et on est partis comme ça, du jour au lendemain. C’est vraiment là-bas que j’ai choisi le longboard. J’y ai remporté ma première compétitio­n, et j’ai su que ce serait mon truc. J’aime cette glisse tout en douceur, qui permet de jouer avec la frontière de l’équilibre tout en marchant sur sa planche. J’ai l’impression de marcher sur l’eau.

Puis vous êtes partie à La Réunion… Oui, on a fait un petit saut en Australie et on a refait les valises pour La Réunion quand ma petite soeur est née. J’avais 15 ans, c’est là que j’ai vraiment décidé que le surf serait mon métier. Je me suis entraînée comme une dingue avec un coach, trois fois par semaine, pour endurcir mon physique, façonner ma technique, et mon niveau a explosé. J’ai remporté le titre de championne de La Réunion, et tout a démarré.

C’était avant que l’île ne soit endeuillée par les attaques de requins ? J’y étais quand elles ont commencé. C’est horrible. Je ne sais pas si les gens ont conscience de ce qui s’est passé mais c’est bien réel, ces attaques. J’ai perdu énormément d’amis à cause des requins. C’est ce qui m’a fait partir. J’ai quitté La Réunion deux jours avant l’attaque d’Alexandre (Alexandre Rassiga, jeune surfeur de 22 ans tué par un requin en 2012). Je surfais là-bas moi aussi, à Trois-Bassins, c’était le spot qui marchait le mieux à l’époque. Mon meilleur ami l’a sorti de l’eau… C’est terrible, ça me choque encore aujourd’hui et parfois, dans l’eau, je me remets à penser au requin. J’ai cette appréhensi­on.

C’est devenu trop dangereux de surfer à La Réunion? Un système de vigie a été mis en place. Il y a des gens qui sont payés pour surveiller les requins sous l’eau, afin de permettre aux licenciés de continuer à s’entraîner quand les vagues sont petites, que l’eau est claire et que la visibilité est bonne pour les plongeurs. Sinon, c’est compliqué. J’ai des amis qui me disent, oui, on retourne à l’eau malgré le danger. D’autres qui me disent, c’est bon, c’est redevenu comme avant. Les gens surfent à leurs risques et périls, mais il faut comprendre que priver les habitants d’une île de leur accès à la mer, c’est les priver de vivre.

Vous auriez pu partir pour Tahiti, Hawaï… Pourquoi avoir choisi la métropole ? J’avais 18 ans quand j’y suis revenue. Je vis à Hossegor, c’est le paradis du surfeur, il y a de belles vagues toute l’année, de bons clubs, c’est un super endroit! Je me suis acheté un petit appartemen­t face à la mer, comme ça, je la vois toute la journée, j’ai juste à traverser le jardin pour mettre la planche à l’eau. C’est génial. Et quand les touristes débarquent en juillet, je remonte un peu plus haut, dans la forêt des Landes. Je connais quelques spots secrets…

Comment êtes-vous devenue mannequin ? Le surf m’a conduite au mannequina­t. J’ai commencé à 14 ans. Au début je n’étais pas trop pour, j’étais encore très garçon manqué, les cheveux décolorés, tout ça. Et puis je n’étais pas à l’aise avec l’objectif. À force, j’ai découvert que c’était quand même plaisant qu’on s’occupe de vous comme ça, qu’on vous coiffe, qu’on vous maquille… J’ai été approchée par de plus en plus de marques et l’an dernier, j’ai eu la chance de défiler pour la première fois lors de la fashion week.

Il y a une complément­arité avec le surf? Le surf n’est pas un sport qui me demande de prendre du poids, ou de me muscler à outrance, donc oui, c’est parfait pour le mannequina­t. J’arrive même à alterner dans mon calendrier : une compète, un défilé! Je suis dans la jungle du Mexique pour une vidéo ou une compète et hop, je prends des talons et un sac pour un show à Paris ou Milan. C’est parfait.

Comment préparez-vous votre corps ? Je passe des heures et des heures dans l’eau, déjà, à surfer tous types de vagues. Pour l’équilibre, j’utilise une «indo board» et la slack line. Sinon je fais du yoga, du Pilates pour les muscles profonds, et pour le reste j’avoue que je dois remercier la génétique, j’ai la chance d’avoir un corps élancé, je suis assez naturelle sur ma planche.

Plusieurs surfeuses profession­nelles ont dénoncé la misogynie des marques, qui soutiennen­t des athlètes aux corps parfaits, comme le vôtre, et boudent des championne­s aux silhouette­s moins élancées, plus musculeuse­s. C’est vrai, c’est un problème. Et ce n’est pas une chose qu’on demande à un garçon. Les sponsors soutiennen­t les mecs, peu importe leur corps. S’ils ont des résultats, s’ils sont sur le circuit du très haut niveau mondial, on les encourage, on leur signe des contrats. Ce n’est pas le cas chez les femmes et c’est injuste. J’ai la chance de ne pas en avoir souffert mais le monde du surf, il faut le dire, reste très macho.

Ce statut de surfeuse-mannequin vous attire des critiques? De la jalousie oui, bien sûr. «Elle fait des photos, elle est pas vraiment surfeuse pro», c’est une phrase que j’ai beaucoup entendue et qui m’a beaucoup blessée, mais bon, je crois aussi que ça m’a renforcée, au final. Si je n’étais pas l’une des meilleures longboarde­uses internatio­nales, je ne serais pas dans les compétitio­ns, donc la critique fait mal, c’est sûr, mais quand je me pose deux minutes, je me rappelle que mon quotidien, c’est d’être envoyée dans des endroits paradisiaq­ues pour prendre des photos et surfer les plus belles vagues du monde. Je n’ai pas le droit de me plaindre. Je vis mon rêve.

«Je vis à Hossegor, c’est le paradis du surfeur, il y a de belles vagues toute l’année, de bons clubs, c’est un super endroit ! face à Je me suis acheté un petit appartemen­t la mer, toute la journée.» comme ça, je la vois Pull Isabel Marant Homme. Veste zippée coupe-vent, Isabel Marant Étoile. Mise en beauté Diane Kendal. Coiffure Paul Hanlon. Manucure Ama Quashie. Set design Poppy Bartlett. Assistante­s réalisatio­n Jade Günthardt et Georgia Bedel.

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