Kornelia Ender, la sirène de la guerre froide
’ devenir l’héroïne d’un roman écrit par un Français qui l’aimait passionnément quand il était enfant. Jamais elle n’aurait imaginé être l’objet d’une attention excentrique, et peut-être ne s’en émeut-elle toujours pas, Kornelia Ender, maintenant qu’elle mène une existence rangée au n fond de la Bavière. Après tout, elle existe peu pour elle-même. Pour ceux qui sont en âge de se souvenir de son visage trempé d’une eau cristalline, au début des années 70, championne du monde à 14 ans, quadruple médaillée d’or à Montréal en 1976, juste avant ses 18 ans, elle est la gure furtive d’un régime mystérieux. Une belle jeune femme d’Allemagne de l’Est, une belle plante dirait-on, «la tête de la Vénus de Milo sur la Victoire de Samothrace», écrit alors Albert Blondin. Les images sont passées, fanées, troublées. Pour l’Occident, Kornelia Ender est renvoyée au régime des machines, une nageuse parmi d’autres, dopée par le système, programmée pour être sublime dans l’univers concentrationnaire des piscines. «Kornelia et ses amies nageaient contre le courant avec un écouteur dans l’oreille où leur entraîneur leur parlait, écrit Vincent Duluc dans son Kornelia. Au bout de l’effort et de l’épuisement, ils testaient leur concentration en état de fatigue, leur demandaient parfois d’assembler un puzzle le plus vite possible, pendant qu’ils mesuraient le taux de lactate en piquant le lobe de l’oreille (…). Le moindre signe de claustrophobie était l’aveu d’une faiblesse qui valait exclusion du programme.» Kornelia Ender s’est fait voler sa jeunesse, mais le sport lui rend une poussière d’éternité. Il suf t de regarder aujourd’hui ses photos d’hier. Elles ne retiennent que l’éclat de l’innocence.