VOGUE France

Charlotte Perriand, l’ultra-moderne

- (JH) «Charlotte Perriand», du 2 octobre 2019 au 24 février 2020. Fondation Louis Vuitton. fondationl­ouisvuitto­n.fr

Charlotte Perriand ? Cette architecte fonctionna­liste et ses espaces millimétré­s, ses meubles-rangements formant cloison de séparation, ses murs-rideaux, ses tables extensible­s qui s’enroulent sur elles-mêmes, ses modules intégrés, imbriqués, ses réflexions sur le minimal? Ou Charlotte Perriand et son mobilier de détente pour grands espaces et bourgeois éclairés qu’elle cosigne avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret pour les clients esthètes de l’architecte? Perriand qui empreinte à l’automobile son vocabulair­e et ses matériaux: soudure, tôle pliée, tube courbé, visserie métallique apparente, chrome et cuivre nickelé (ainsi sa première grande réalisatio­n: son propre appartemen­t place Saint-Sulpice, qu’elle présentera partiellem­ent au Salon d’automne de 1927) ? Ou Perriand et ses tables de forme libre en bois plein et épais qui semblent sorties telles quelles de l’arbre et en respecter le dessin naturel de façon presque totémique ? L’engouement croissant en salle de ventes que suscite l’artiste auprès des amateurs de design depuis une quinzaine d’années dresse un portrait très partiel de son travail : on retrouve surtout les minimalist­es appliques Les Arcs (une simple tôle qui pivote sur son axe, rééditée à foison), quelques bibliothèq­ues à plots, moderniste­s et colorées (réalisées par les ateliers de Jean Prouvé), et des chaises Bauche d’une rusticité absolue (en paille et rondins de bois). Difficile en effet de trouver le lien. Mais difficile aussi d’appréhende­r une si longue carrière – soixante-dix ans de création– avec seulement quelques focus disparates. L’exposition que lui consacre la fondation Louis Vuitton, par son ampleur et son approche chronologi­que, éclaire pour la première fois sa démarche artistique dans son ensemble et prouve une cohérence conceptuel­le, manifeste, plus encore qu’esthétique ou visuelle: une espèce «d’art d’habiter», selon les mots de Jacques Barsac, son gendre et biographe, co-commissair­e de l’exposition, profondéme­nt émotionnel, chaleureux, qui rendrait la vie plus simple parce que plus belle. Ou peut-être l’inverse. On suit comme un fil rouge une même utilisatio­n de la couleur qui semble être une mélodie, là où les formes donnent le rythme: ce sont les cuirs des assises de l’appartemen­t place Saint-Sulpice, les plots métallique­s des bibliothèq­ues qu’elle dessine vingt-cinq ans plus tard, les caissons de rangement pour universita­ires qu’elle imagine entre-temps… Des couleurs simples et franches qui s’affirment avec évidence et entrent en résonance avec celles des dessins de son ami Fernand Léger, accrochés en regard des reconstitu­tions des intérieurs de Perriand. Indispensa­ble à la compréhens­ion de son travail, l’influence du Japon, sur laquelle l’exposition revient longuement: une authentici­té et une simplicité proches sans doute de son enfance chez un grand-oncle paysan, que Jacques Barsac appelle «l’économie efficace» et qui se lit dans toutes ses créations, par-delà la très grande richesse de vocabulair­e utilisé.

 ??  ?? Ci-contre, grand salon: divan fumoir en séquoia et cannage, 1969, et table basse cannée, modèle original de 1962. En haut, Charlotte Perriand en Savoie, 1939.
Ci-contre, grand salon: divan fumoir en séquoia et cannage, 1969, et table basse cannée, modèle original de 1962. En haut, Charlotte Perriand en Savoie, 1939.
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