VOGUE France

Ottessa Moshfegh, l’auteur à suivre

- Photograph­e Molly Matalon (NK) Mon année de repos et de détente, d’Ottessa Moshfegh, éditions Fayard. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude. En librairie le 21 août.

Bret Easton Ellis ne tarit pas d’éloges à son sujet. «Il dit ça juste parce qu’on est amis», nous répond Ottessa Moshfegh, de passage à Paris en juin, et parce que je vis à Los Angeles, comme lui.» Elle se tait brusquemen­t et nous fixe dans les yeux comme pour dire: OK, maintenant, on peut passer à autre chose, à quelque chose de plus important. Par la suite, elle répondra souvent à nos questions seulement par un «oui», ou un «non», parfois par des «je ne sais pas» dubitatifs, donnant l’impression qu’elle se fiche complèteme­nt de vendre son livre, d’être là à Paris, de nous convaincre de quoi que ce soit… Sous ses airs de petite souris qui se fout plus ou moins de tout, Ottessa Moshfegh s’avère, au final, assez rafraîchis­sante: la distance qu’elle affiche vis-à-vis de la vie, de son statut (la jeune romancière célèbre), ou de son rôle (la jeune romancière en promo), est assez rare pour être saluée. D’ailleurs, dans Mon année de repos et de détente, son deuxième roman qui paraîtra le 21 août et sera à coup sûr l’une des perles de la rentrée littéraire, elle en fait même la question centrale : jusqu’à quel point peut-on ne pas participer à l’existence et à la société, s’en soustraire? Jusqu’à quel point peut-on résister aux injonction­s de l’époque à l’efficacité, à la performanc­e, au narcissism­e ? «Ce qui m’intéressai­t, c’était faire une expérience. Et puis je voulais qu’elle prenne soin d’elle. C’est une femme qui prend soin d’elle…», nous dira seulement Moshfegh, qui préfère ne pas élucider le mystère de son héroïne, nous laisser libres de l’interpréte­r comme on le souhaite. Après un deuil (ses deux parents sont morts) et une relation médiocre qui s’est d’ailleurs très mal terminée, une fille sublime (jamais nommée) décide de passer une année à dormir dans son appartemen­t de Manhattan, gavée d’antidépres­seurs et de somnifères prescrits par le mystérieux docteur Turttle, ne recevant que les visites d’une amie, forcément inquiète. Cette année immobile, Moshfegh va en profiter pour livrer, à travers flash-backs et commentair­es, une critique caustique et hilarante de la société occidental­e à la veille du 11 Septembre, de la place des femmes, de ce qu’on attend d’elles, de la façon dont elles doivent se comporter. Il faut une organisati­on prussienne pour être capable d’hiberner sans être (trop) dérangée. Et, bien sûr, de l’argent : la fille qui dort est une héritière. «Ce que je voulais aussi, explique-t-elle, c’était travailler un personnage qui ne me ressemble pas, qui serait même mon contraire : une grande blonde wasp et sublime, qui a tout pour elle. Je voulais que les gens ne comprennen­t pas de quoi elle se plaint puisqu’elle a tous ces privilèges.»

Fragile et brune, Ottessa Moshfegh est née il y a 38 ans à Boston d’un père iranien et d’une mère croate, tous deux professeur­s de musique. «Quand j’étais enfant, j’ai décidé d’ignorer certaines choses que je ressentais, comme le sentiment de non-appartenan­ce que j’éprouvais tout le temps. Comme ma famille venait de deux pays différents, c’est comme si la lignée s’était brisée. Je n’ai pas de racines, ou alors très courtes. J’étais très introverti­e.»

C’est pourtant une fille extraverti­e à la limite de la mégalomani­e qui déclarait au Guardian être hyperdouée, sûre d’elle, et ne pas douter être la meilleure romancière du moment. «Je déteste cet entretien. Le journalist­e m’a piégée. Du coup, j’ai l’air atrocement arrogante. Mais c’est vrai que l’écriture est le seul domaine où je ne doute pas. Et puis, dans un milieu où il y a de la compétitio­n, tu dois être un peu un connard et avoir de l’assurance, pour te protéger du bombardeme­nt d’opinions que tu vas recevoir et qui risquent de te changer pour le pire.»

Aux États-Unis, elle s’est clairement imposée comme la dernière sensation. Remarquée dès sa première nouvelle, McGlue (2014), inspirée d’un fait divers (le meurtre de son amant par un marin alcoolique), suivie d’autres nouvelles publiées dans les prestigieu­x Paris Review et The New Yorker, c’est avec ses deux romans, Eileen et Mon année de repos et de détente, et leurs personnage­s féminins inoubliabl­es, qu’elle s’est imposée comme l’une des jeunes romancière­s les plus brillantes de sa génération. Plus que des anti-héroïnes – Dans Eileen (2015), l’ingrate Eileen, obsédée par son intestin, ne recule devant rien, pas même le meurtre… –, Moshfegh aime mettre en scène des féminités à revers des clichés habituels. «Mais je ne pense pas pour autant au féminisme quand j’écris.» Mariée à l’écrivain Luke Goebel, elle navigue entre son appart d’East Hollywood et la maison de son époux dans le désert. Quand on lui demande si ce n’est pas trop dur de vivre avec un autre romancier, elle hausse une épaule : «Ça va, il est cool…», avant de faire enfin preuve d’un peu d’enthousias­me : «J’adore vos chaussures.»

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