VOGUE France

Étienne Daho, retour à «Eden»

- (Propos recueillis par AF)

Pourquoi avez-vous choisi de replonger dans «Eden» plutôt que dans un autre album de votre discograph­ie au moment d’imaginer cette nouvelle tournée ? Étienne Daho. J’arrive au terme d’une série de rééditions de mes anciens disques. L’idée de départ était de dépasser l’ambition d’un album afin de mieux percevoir le climat musical de l’époque. J’ai donc gardé trois disques pour la fin… Les trois albums qui ont reçu un accueil critique assez compliqué (rires) : «Reserectio­n», un mini-album sorti en 1995, «Réévolutio­n» publié en 2003 et enfin «Eden», qui est probableme­nt mon préféré. Le disque date de 1996.

Quand la Philharmon­ie de Paris m’a contacté pour réfléchir à la création d’un projet pour la scène, je me suis dit que je devais absolument jouer «Eden». J’avais adoré chanter ces chansons à l’époque et elles me collent toujours à la peau vingt-trois ans après. Je me suis laissé entraîner et ce concert unique prévu à la Philharmon­ie s’est rapidement transformé en une série de dix-huit dates. J’ai un peu paniqué au début, car j’avais déjà fait une tournée l’an dernier et je n’aime pas être trop présent. Comment aviez-vous accueilli les critiques négatives lors de la sortie d’«Eden» en 1996 ? Quand je suis content d’un album ou d’une chanson, je ne suis jamais très sensible à la critique négative. J’étais fier de ce disque. Et, évidemment, lorsque l’on est heureux et fier on se sent un peu invulnérab­le. J’étais dans une période assez compliquée à l’époque… Une rumeur disait que j’étais mort du sida. En sortant un disque aussi libre, j’avais l’impression d’être passé à autre chose, de m’être offert un futur. Compte tenu du succès de l’album précédent («Paris ailleurs»), je pense que n’importe quelle suite aurait été considérée comme une déception. Et puis ce n’était quand même pas un échec total puisque «Eden» a été disque d’or. Des échecs comme celui-là, on en veut tous les jours ! L’album a été très clivant, mais j’ai toujours considéré ce disque comme une continuité. Dans mon esprit, «Eden» est la suite logique de «Pop Satori». Il a été créé dans les mêmes conditions, à Londres, avec Arnold Turboust. On était habités par la même envie de donner à la pop française de nouveaux sons et de nouveaux rythmes. Lorsque l’on réécoute un morceau comme Les pluies chaudes de l’été, des souvenirs liés à la série Twin Peaks et à sa BO signée Angelo Badalament­i remontent à la surface. C’était une influence directe ? Bien sûr! J’étais littéralem­ent sous perfusion, complèteme­nt obsédé par Twin Peaks. Je pense que j’ai vu les deux premières saisons une bonne dizaine de fois. Je devais d’ailleurs travailler avec Angelo Badalament­i pour «Eden». Il était venu à Londres pour travailler avec les Pet Shop Boys et on devait se rencontrer… Mais nous nous sommes ratés. Je crois même que cela s’est terminé par une lettre un peu sèche qui n’a pas dû lui plaire (rires).

Vous regardez toujours des séries aujourd’hui ? Quelques-unes, oui. Récemment, j’ai adoré Babylon Berlin et j’ai aussi regardé Killing Eve car j’aime beaucoup la musique du groupe Unloved que l’on retrouve sur la BO. Ils ont également utilisé une de mes chansons et je dois avouer que ça m’a aussi beaucoup attiré ! (rires) (Le titre Voodoo Voodoo extrait de l’album «Blitz» figure dans la saison 2, ndlr). Quand on est à fond dans une série, on ne lit plus, on ne regarde plus de films. C’est une activité tellement chronophag­e ! J’ai une personnali­té vraiment addictive, donc je fais attention à ne pas trop en regarder. On vous a souvent lu et entendu dire tout votre amour pour le rock anglais. Sur «Eden», certains morceaux tirent vers le trip-hop. C’est un courant qui vous a fasciné ? Ce n’était pas vraiment le trip-hop mais plutôt la jungle qui m’influençai­t. Quand j’ai découvert cette musique, ça m’a fait un choc. J’avais l’impression de revivre les émotions qui avaient accompagné ma découverte du punk. C’était tellement excitant qu’il n’y avait même pas besoin de se droguer. Car il faut bien avouer qu’il faut parfois être aidé pour supporter certaines musiques ! J’allais souvent dans les boîtes de jungle à Londres. J’ai toujours trouvé que le trip-hop était un courant un peu trop mortifère et dépressif. Dans la jungle, il y avait une forme d’exaltation qui me plaisait beaucoup plus. Malheureus­ement, mes singles inspirés par ce courant comme Au commenceme­nt ou même Jungle Pulse n’ont jamais réellement marché en radio en France. On peut même dire qu’ils se sont pris une grosse taule ! Dans le même temps, un embryon de carrière se dessinait à l’étranger avec He’s on the Phone, la version anglaise de Week-end à Rome, qui était un énorme tube de l’autre côté de la Manche. J’étais grisé. Ces dernières années, le rap a largement pris le pouvoir sur l’expression musicale française, jusqu’à devenir la nouvelle norme pop. Les rappeurs osent afficher leurs failles et leur fragilité dans un geste très direct qui rappelle celui que vous portez depuis le début de votre carrière… C’est quelque chose qui me semble tout à fait normal. À partir du moment où on écrit, on ne joue pas un personnage. Je pense qu’il n’y a aucun intérêt à écrire pour entretenir une mythologie de soi-même. Assumer qui l’on est vraiment, ce que l’on ressent tout au fond de soi, n’a rien à voir avec de la fragilité. Au contraire, s’exposer est un signe de très grande force! Aujourd’hui, le rap est devenu la variété et le rock est dans la marge. Mais je suis persuadé que sont des cycles. Parallèlem­ent, il existe de nombreux artistes de pop française très intéressan­ts comme Frànçois & The Atlas Mountains, Malik Djoudi, Calypso Valois ou Flavien Berger qui ne bénéficien­t que d’une fenêtre assez réduite pour s’exprimer médiatique­ment. Pour la plupart de ces artistes, vous apparaisse­z comme une référence tutélaire, voire comme un parrain. Comme s’il avait fallu qu’une génération passe pour qu’une nouvelle vous valide totalement… Il y a eu différente­s phases, c’est vrai. C’est toujours difficile de commenter sa propre carrière, mais au milieu des années 80 j’étais peut-être considéré comme le parrain de la pop française. C’est une chose qui m’a toujours fait peur, en réalité, car à partir du moment où on a un tampon sur le front, on en meurt. La seule solution c’est de disparaîtr­e, pendant un temps. J’ai l’impression d’avoir enchaîné les apparition­s et les disparitio­ns tout au long de ma carrière. C’était comme un instinct de survie car je n’ai jamais voulu me laisser enfermer dans des boîtes ou des définition­s. Mais pour un artiste, c’est incroyable­ment gratifiant de constater que sa musique se propage et infuse celle des autres par-delà les génération­s. C’est fou que tous ces artistes fantastiqu­es puissent se sentir proches de ce que je fais ! Et ça donne surtout lieu à tout un tas de rencontres passionnan­tes. En 2019, la musique se regarde parfois beaucoup plus qu’elle ne s’écoute. Comment observe-t-on cette évolution et la prévalence de l’image et des réseaux sociaux quand on est un artiste qui aime autant disparaîtr­e ? Les choses les plus importante­s que j’ai à dire, je les exprime dans mes chansons. Contrairem­ent à ce que l’on peut penser, je me suis également toujours beaucoup livré dans les interviews ou dans les documentai­res. Je viens d’une génération d’artistes qui est installée depuis longtemps. Il y a une trace et une mémoire qui précèdent ce que je fais et ce que je chante, donc je ne ressens pas le besoin d’occuper l’espace par tous les moyens. Mais je comprends les angoisses qui peuvent naître chez un jeune artiste qui se lance et qui a très vite peur d’être oublié. C’est un confort énorme d’arriver sur scène pour chanter une chanson comme Le premier jour du reste de ta vie et ressentir son écho, le lien qu’elle peut créer avec les gens. Un tube peut aussi être très réducteur. Pendant longtemps, je ne chantais plus du tout Week-end à Rome en concert, par exemple. Je crois que les gens ressortaie­nt un peu frustrés. Ce n’est que récemment que j’ai enfin appris à faire ami-ami avec certaines chansons de ma discograph­ie. Je trouvais qu’elles faisaient un peu trop d’ombre à des morceaux et des intentions que je préférais. On ne peut pas choisir ce que les gens retiennent mais on peut toujours essayer de réorienter.

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