VOGUE France

Maharadjah et prince des temps modernes

- Photograph­e Man Ray (AD)

«Le Maharajah d’Indore, l’Inde au défi de la modernité», MAD, du 26 septembre au 12 janvier. madparis.fr

Qu’il est beau ! On scrute le maharadjah Yeshwant Rao Holkar II, dernier souverain de l’État d’Indore, en Inde, et on ne peut pas s’empêcher d’être happé par son aura magnétique, son élégance mélancoliq­ue que seul un F. Scott Fitzgerald aurait pu saisir, et l’énigme qui se dégage de toute sa personne. Les photos, parfois prises par Man Ray lorsque la scène se déroule en France, le montrent enlaçant sa toute jeune épouse la maharani Shrimant Akhand Sahib Soubhagyav­ati Sanyogita Bai Holkar dans la suite d’un palace sur la Côte d’Azur, ou à la première d’un film de Douglas Fairbanks à Hollywood, elle en sari occidental de soie blanche, lui, toujours en smoking. Ils sont glamouriss­imes mais sans ostentatio­n, jet-set avant l’heure mais dépourvus d’esbroufe. Ils forment un couple fascinant. Le musée des Arts Décoratifs de la ville de Paris a l’excellente idée de consacrer la première grande exposition à Rao Holkar II, cet être de légende resté jusqu’alors dans l’ombre, immense collection­neur qui sut notamment détecter le génie de Brancusi et qui se fit construire un extraordin­aire palais moderniste, Manik Bagh (le jardin des rubis) par un jeune architecte, Eckart Muthesius, en 1929. Pour la première fois, donc, on aura la chance d’avoir un aperçu de l’intérieur du palais futuriste qui stupéfia son peuple et de comprendre, grâce à des lettres, comment le souverain et Muthesius le rêvèrent. Train aménagé, boulangeri­e et cuisine souterrain­e afin que les hôtes ne soient pas incommodés par l’odeur du curry, ou encore système de climatisat­ion insonore et innovante: l’impossible n’existe pas. Cependant, il faut imaginer les scandales que les lignes austères du palais, ses matériaux (indignes), son absence d’ornementat­ion causèrent parmi les habitants d’Indore et les visiteurs du maharadjah, qui n’en finirent pas de se demander à quoi servait d’être riche à foison si c’était pour loger dans ce qu’ils jugeaient ressembler à une prison. Rao Holkar II, qui voulait éduquer l’oeil des visiteurs, n’avait rien d’un démagogue et il tint bon. Son palais fut ce qu’on appelle un chef-d’oeuvre d’art total. Il n’existe aucune bâtisse comparable, ni en Inde, ni en Europe. L’architecte Eckart Muthesius y travailla jour et nuit, il conçut lui-même les luminaires et choisit chaque meuble signé par des designers aujourd’hui célébrissi­mes, mais dont la présence chez un prince fut une hérésie, car toutes les pièces (industriel­les) étaient conçues en série. Charlotte Perriand fournit sa célèbre chaise longue, qu’elle customisa en peau de léopard, Eileen Gray, son fauteuil Transat de 1927, ou encore DjoBourgeo­is signa une table ronde en verre et fût de métal. Et Le Corbusier ? On lui acheta quelques bricoles, comme des tapis très épais et à motifs géométriqu­es. Pour plus de fraîcheur, on aménagea dans le jardin un plan d’eau dans lequel scintille l’ombre des arbres tropicaux, éclairés par des lampes cachées dans les branches.

Comme devient-on un précurseur, amoureux des avant-gardes parisienne­s, lorsqu’on est un maharadjah, né en 1908, dans l’État d’Indore ? L’acuité de Rao Holkar II, qui fréquenta tout jeune homme les surréalist­es, ne cesse d’étonner. On sait que sa rencontre avec l’écrivain PierreHenr­i Roché fut capitale. L’auteur de Jules et Jim fut son intercesse­ur parmi les artistes et lui permit de visiter nombre d’ateliers. L’exposition sera l’occasion de découvrir ou de revoir deux oeuvres qui suscitèren­t un tollé: deux toiles de Bernard Boutet de Monvel, que le maharadjah fit accrocher dans son palais à la place des habituels portraits en tenue d’apparat. La première le montre, l’air joueur, en cape noire à doublure de soie blanche, dans un smoking également neige jusqu’au noeud papillon. La seconde est d’inspiratio­n surréalist­e. Le prince, assis dans un fauteuil blanc, comme en tailleur, semble disparaîtr­e dans diverses couches de blanc, qui mettent en valeur ses mains fines.

Avant de mourir, Rao Holkar II brûla sa correspond­ance avec Pierre-Henri Roché, manière de signifier qu’il ne laisserait à personne le soin d’être son biographe. Puis, en 1980, les meubles de son palais furent éparpillés dans une vente aux enchères à Monaco où, de Warhol à Yves Saint Laurent, tous les gens fortunés et de goût se précipitèr­ent.

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 ??  ?? Ci-contre, le maharadjah Rao Holkar II photograph­ié pour le Reno Evening Gazette en juillet 1943. En haut, avec son épouse en 1937.
Ci-contre, le maharadjah Rao Holkar II photograph­ié pour le Reno Evening Gazette en juillet 1943. En haut, avec son épouse en 1937.

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