VOGUE France

FLASH-BACK

Kate Moss par Paolo Roversi, Vogue Paris, mars 1994. Par Arthur Dreyfus

- Par Arthur Dreyfus.

est tentant de ne pas croire au temps. Avec ses peluches, ses trains électrique­s, l’enfance est derrière la porte. On l’entend qui s’amuse. Les émotions ne se conjuguent pas au passé. Elles s’incrustent dans la peau comme des tatouages. Des tatouages qu’on n’efface pas. Et pourtant le décor change. Et pourtant nous changeons. Les cheveux s’évaporent. La peau s’épaissit. Les bulles de savon éclatent. Face à l’inexorable insistance des heures et des années, certains deviennent fous ; on peut relire Le Portrait de Dorian Gray.

D’autres, plus rationnels, se raccrochen­t aux branches. Celles, solides, des souvenirs heureux. Celles, fragiles, des bonheurs à venir. Celles, bourgeonna­ntes, de la mode et des arts. Car le temps est un arbre sur lequel nous poussons. Tout est très lent, presque invisible – or on s’aperçoit un jour, assis sur notre ramage, qu’on a pris de la hauteur. Les souvenirs heureux nous protègent de leur écorce. Les bonheurs venus ont fait couler leur sève. Quant aux oeuvres, on les discerne mieux de loin. Par exemple, la première couverture française qu’offre Vogue à Kate Moss, photograph­iée par Paolo Roversi. Aux antipodes de l’hyperréali­sme instagramo­ïde de l’époque, c’est une peinture que l’on découvre, un Degas post-impression­niste passé par la famille Addams. L’aquarelle s’avère paradoxale : un quart de siècle plus tard, la jeune femme aux cheveux gris incarnera une forme de jeunesse éternelle. À ce titre, comment nommer la teinte organique du décor, digne des fantasmes du célèbre pinkpainte­r Philip Guston, ou d’un Picasso période rose? Le terme idéal n’est pas aisé à trouver: coquille d’oeuf, dragée, bubble-gum, incarnadin, cuisse de nymphe; cuisse de nymphe émue? En bon oxymore, il s’oppose surtout au visage, au plumage, à la chair quasi monochrome­s de notre égérie – un fantôme aux yeux de sirène.

Et pour cause: lorsque Barthes écrit que la photograph­ie, «c’est ce dont je suis exclu», c’est qu’il n’a pas encore détaillé ce portrait impossible. De fait, en fusionnant la vieille dame et l’adolescent­e, la revenante et la future icône, il nous envoûte. Le temps se fige, court-circuite. Alors, du haut de notre arbre, les mots se mêlent : l’extra-court pour sculpter votre corps bleu de Chine! Meryl Streep gagne un premier enfant en toute intimité. L’allure haute couture après trente ans. Et pour conclure : Qu’est-ce qui bloque, dans l’esprit moderne ?

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