L’IRRÉVÉRENTE
C’est la Londonienne la plus cool du moment: Phoebe WallerBridge, 34 ans, a renouvelé l’image de la femme dans les séries avec Fleabag. Le portrait d’une anti-héroïne accro au sexe, impertinente et hilarante, qui en fait la show-runneuse que tout le monde s’arrache.
C’est la Londonienne la plus cool du moment : Phoebe WallerBridge, 34 ans, a renouvelé l’ image de la femme dans les séries avec “Fleabag”. Le portrait d’une anti-héroïne accro au sexe, impertinente et hilarante, qui en fait la show-runneuse que tout le monde s’arrache.
L’incarnation de l’Anglaise génération Y, grande gueule et cruellement drôle, c’est elle, Phoebe Waller-Bridge. Ou plutôt Fleabag, le personnage badass qu’elle a créé dans la série éponyme, et qu’elle interprète, immense succès en Angleterre, aux États-Unis et maintenant en France. Fleabag, c’est la Carrie Bradshaw des millennials : une célibataire qui cherche quelque chose mais pas forcément l’amour, qui se cherche peut-être avant tout elle-même à travers les coups d’un soir transformés et autres déboires amoureux, plus crue et pas du tout sentimentale – la seule scène affectueuse est jouée avec un cochon d’Inde –, mais surtout plus dark et beaucoup, beaucoup plus comique. En un mot : féministe. Même si Waller-Bridge trouve cliché d’être assimilée à ce terme devenu label, elle a souvent avoué que la rage était son moteur d’écriture : rage de voir les femmes encore trop réduites au rang d’objets dans les séries ou au cinéma, ou encore trop maltraitées par les hommes. Les deux saisons de Fleabag mettent ainsi sa protagoniste dans les situations où nous nous sommes toutes retrouvées, il faut l’avouer, un jour : face à un père qui préfère nous laisser tomber plutôt que de contrarier sa deuxième femme, face au mari d’une proche (ici, sa soeur) qui nous drague, face à un type égoïste pendant l’amour, face à notre ex que l’on croyait éploré et que l’on découvre recasé, trois jours après, avec une ravissante Asiatique. Mais la force de Fleabag, c’est que tout le monde, jeunes ou vieux, femmes ou hommes, peut se reconnaître dans les échecs et questionnements existentiels de cette héroïne dont l’imperfection nous rassure tous. Est-ce que les fautes que l’on a commises peuvent se gommer, comme on le fait avec la petite gomme au bout d’un crayon à papier ? (celles qui ont vu la série comprendront); est-ce que trop de sexe signifie être libérée, ou manquer d’estime de soi ? (c’est le thème de la saison 2) ; jusqu’où faut-il accepter d’être «gentille» sans se trahir soi ? Jusqu’où peut-on vivre sa liberté sans trahir les autres ? Qu’est-ce qui est normal ou devient humiliant ? Et après tout, si on était une mauvaise féministe ?
Pas moralisatrice, Phoebe Waller-Bridge lève aussi le voile sur les faiblesses féminines : quand Fleabag regarde la caméra pour s’adresser au public en aparté, même pendant le sexe, montrant qu’elle n’est dupe de rien, mais continuant de jouer le rôle de la fille sexy avec les hommes, se pensant obligée de leur donner ce qu’ils attendent. Assez vite, et c’est la force de l’écriture de Waller-Bridge, Fleabag, plus grave qu’il n’y paraît, nous bouleverse : sa mère est morte, son père vit avec une peintre prétentieuse (Olivia Colman, brillantissime en passive-agressive cruelle), sa soeur est mariée à un crétin, mais surtout, sa meilleure amie, Boo, s’est suicidée, et elle ne se relève pas d’une culpabilité qui la ronge, rend tout deuil impossible, et hante toute la série. Terriblement seule, la jeune femme utilise le sexe pour se valider, se rassurer.
Si «Flea» était bien le surnom de Phoebe Waller-Bridge pendant l’enfance, le reste de sa vie ressemble à l’envers absolu de celle de son personnage. Bombe atomique de 1,77 m de minceur, Phoebe a été mariée au journaliste Conor Woodman
et est aujourd’hui en couple avec le réalisateur oscarisé de Three Billboards, Martin McDonagh. Elle a non seulement raflé pas mal de Baftas pour Fleabag, mais aussi pour son deuxième show qui cartonne, Killing Eve, l’histoire (adaptée du roman de Luke Jennings) d’une agente du MI5 qui traque une tueuse professionnelle à travers le monde.
Souvent, pour Waller-Bridge, une femme ne va pas sans l’autre: l’idée de sororité est questionnée, sous tension, mais toujours centrale dans Fleabag. L’amitié entre femmes serait plus solide que l’affection des parents ou l’amour d’un boyfriend. Phoebe a d’ailleurs souvent déclaré que c’est sa rencontre avec son amie Vicky Jones qui a enfin donné du sens à sa vie. Il paraît même que Jones aurait emménagé non loin de chez elle, voire carrément chez elle, dans sa maison de Kensal Rise, au nord-ouest de Londres. C’est ensemble qu’elles ont fondé la compagnie DryWrite, et c’est elle qui a poussé Phoebe à écrire sa première «pièce» : ce sera Fleabag, un one-woman show où le public peut s’exprimer en direct. La BBC la découvre au festival d’Édimbourg, Amazon les rejoint dans la production, et le succès arrive. À tel point que la production du prochain James Bond (n° 25) a engagé Phoebe Waller-Bridge pour réécrire les dialogues d’un point de vue féministe. Celle qui déclarait au Guardian aimer les femmes transgressives sera parvenue à débarrasser la féminité de ses derniers clichés rose bonbon. Fleabag cause franchement sodomie et Villanelle, la tueuse de Killing Eve, flingue sans état d’âme. Prochaine étape pour cette surdouée : un long-métrage.