VOGUE France

FÉE BOTANIQUE

- Par Aude de La Conté

Elle a réalisé plus de 500 jardins dans sa vie… Celui de Sting, de sir Terence Conran ou des duc et duchesse de Westminste­r et, à la rentrée, elle s’attaque à celui de l’hôtel Bristol en plein Paris. Arabella Lennox-Boyd continue par ailleurs de courir le monde pour voir les plantes dans leur environnem­ent sauvage. Conversati­on avec une infatigabl­e flower lady au big power !

Elle a réalisé plus de 500 jardins dans sa vie... Celui de Sting, de sir Terence Conran ou des duc et duchesse de Westminste­r et, à la rentrée, elle s’attaque à celui de l’ hôtel Bristol en plein Paris. Arabella Lennox-Boyd continue par ailleurs de courir le monde pour voir les plantes dans leur environnem­ent sauvage. Conversati­on avec une infatigabl­e flower lady au big power !

Il n’est pas facile de trouver un moment pour parler avec cette grande dame des jardins!

Elle rentre d’un voyage botanique au Kazakhstan – mais juste avant, c’était le Kurdistan – repart sur un chantier aux États-Unis, doit siéger ces jours-ci parmi les administra­teurs du fameux Kew Gardens de Londres et, comme d’habitude, divise sa semaine en deux : du jeudi soir au lundi après-midi dans sa propriété du Lancashire. Le reste à Londres à son bureau avec son équipe ou sur ses chantiers.

Bref, le rendez-vous est fixé au téléphone à midi heure anglaise. Arabella, le nom sonne méditerran­éen, avec une suite bien britanniqu­e, Lennox-Boyd.

Elle nous explique qu’elle est effectivem­ent née à Rome. Une enfance dans une ville alors vide, dit-elle, mais surtout des grandes vacances dans une propriété dans les collines au nord de la Ville éternelle et une mère qui repère vite son amour de la nature et l’expédie chez les scouts. Ses parents l’emmenaient également visiter les monuments, les jardins de la Villa d’Este et les palais. Elle se souvient de s’être alors ennuyée mais pense aujourd’hui que l’observatio­n de ces proportion­s d’architectu­re parfaites dont les Italiens ont le secret a influencé son travail. Peutêtre doit-on trouver là la raison de son attention si particuliè­re dans ses projets à relier le jardin à l’architectu­re de la maison? Entre jardins italiens ornés de cyprès – dont celui de la maison de Sting, en Toscane, au centre à gauche et en bas à droite – et paysages anglais ou irlandais, le talent d’Arabella Lennox-Boyd, ici photograph­iée en 2001 par Tessa Traeger, s’admire d’un pays à l’autre.

Sa campagne d’alors, autour du Palazzo Parisi à Oliveto, est agreste et austère: vue grandiose, certes, mais nous sommes après la guerre et l’humeur n’est guère aux corbeilles fleuries et autres folies. On plante utile: les oliviers font l’affaire.

À 26 ans, elle débarque en Angleterre et c’est la révélation ! Elle est conquise par toutes ces variétés d’arbres, d’arbustes et de fleurs, et par le climat qui favorise leur pousse. Elle ne se lasse pas de regarder, d’étudier les végétaux, de sillonner les allées des jardins de ses amis et de visiter ceux du National Trust. Finalement, prenant l’affaire au sérieux, elle décide de s’inscrire à la Thames Polytechni­c où professait alors le grand paysagiste d’origine brésilienn­e Roberto Coelho Cardoso.

Ça, c’était après déjà s’être fait la main dans son rectangle vert londonien et avoir gribouillé quelques dessins pour des copines sur le dos d’une enveloppe. Car, elle l’avoue, elle est comme certains architecte­s d’intérieur : elle voit un lieu et immédiatem­ent le visualise. Cela s’appelle l’instinct.

Elle commence, dit-elle, par marcher sur le site, longuement, pour sentir l’espace. Cette première impression, lors de sa première visite, est essentiell­e. Évidemment, elle s’oblige à écouter les desiderata de ses clients, à étudier la circulatio­n de la maison, la manière dont les occupants vont vivre. Elle le dit d’emblée : «Les jardins ne doivent pas être conçus juste pour les regarder. Ce sont des lieux de vie! On doit pouvoir s’asseoir, manger, boire, lire, penser dans un jardin !» Et elle étudie à fond l’aspect physique du lieu: les sols, les vents, les différente­s vues, le bruit, le climat. «Le jardin doit refléter ses propriétai­res et doit vivre après moi. Je ne fais pas un jardin pour moi, mais pour ses habitants. Et, loin des modes, il doit traverser le temps.» On comprend mieux pourquoi son carnet de commandes est toujours plein. Pour elle, la clé de son succès tient dans le fait d’écouter son interlocut­eur ; gageons que c’est aussi d’apporter de la chaleur, de la couleur et de la générosité dans ses réalisatio­ns.

Retourne-t-elle dans les jardins qu’elle a dessinés ? «Oui, souvent, même si je n’ai pas pu garder le contact avec tous mes commandita­ires, dit-elle. Ceux que j’ai revus ont toujours évolué dans le sens voulu par leurs propriétai­res et ne m’ont pas déçue.» Une seule exception: un jardin entièremen­t détruit et refait – mais c’était «l’oeuvre d’une seconde épouse !».

Chez cette paysagiste, le sens de l’espace se double d’une connaissan­ce botanique remarquabl­e. Si dès le début de sa carrière, elle s’intéresse aux différente­s espèces qu’elle rencontre sur les îles britanniqu­es, son adhésion comme administra­teur au Chelsea Physic Garden et, il y a neuf ans, au conseil des administra­teurs de Kew Gardens lui a ouvert tout un nouveau monde de connaissan­ces et une manière différente d’observer les jardins tropicaux et méditerran­éens, entre autres.

«Je n’ai jamais fini d’apprendre, c’est formidable! Il y a vingt ans, la curiosité m’a poussée à aller étudier les plantes dans leur habitat. Quand vous voyagez, vous réalisez que la nature fait tout.» Son terrain de jeu favori : les couleurs des fleurs à l’état sauvage, de l’orange au bleu sombre, s’apercevoir que la rose écossaise pousse en réalité aussi dans la forêt calédonien­ne, ou qu’à l’origine, le pommier est un fruitier qui vient du Kurdistan… «Mon prochain voyage, ce sera la Chine au printemps. J’y suis allée plusieurs fois, mais toujours en automne. Je veux voir les arbres en fleurs.» Rapporte-t-elle des graines, des plantes de ces pays exotiques? «Pas question, c’est interdit», puis elle ajoute en riant, «la communauté des fous de botanique est une grande mafia et on s’organise… !»

Elle tient à préciser qu’elle est très soucieuse des maladies des plantes et spécialeme­nt celles des arbres, qui se propagent actuelleme­nt comme l’éclair car, déplacés dans tous les pays, ils essaiment ainsi leurs parasites tueurs et déciment des espèces entières: oliviers, marronnier­s d’Inde et certains conifères en tête. «Je ne suis pas une scientifiq­ue mais le changement climatique et ses conséquenc­es posent bien sûr des problèmes en matière de jardin. Il va falloir trouver des solutions et dès aujourd’hui planter de nouvelles espèces.»

Pourtant, elle ne fait pas d’expérience sur ses chantiers: ses nouvelles recettes, c’est uniquement pour son jardin à elle, Gresgarth Hall, dans le Lancashire. Le nom sonne compliqué en français et difficile apparemmen­t était le lieu.

«Lorsque mon mari (sir Mark Lennox-Boyd, ancien membre du Parlement) m’a emmenée dans son domaine il y a quarante ans, j’avoue m’être demandé comment rendre le parc agréable. Ici, nous ne sommes pas sur un point culminant mais au creux d’un vallon isolé, l’eau d’un petit lac vient lécher la terrasse de la maison, les torrents deviennent furieux l’hiver, le vent d’ouest souffle fort (mon beau-père l’appelait

Les Hauts de Hurlevent) et seuls quelques misérables rhododendr­ons apportaien­t une touche de couleur. Il m’a fallu un bout de temps pour appréhende­r l’endroit et j’avoue avoir rêvé de bénéficier des conseils d’un paysagiste !» Mais elle prend la chose comme un défi, retrousse ses manches et décide de s’amuser. «C’était l’opposé de l’Italie, froid, venteux, sombre, cerné d’eau.» Sans chichis, elle commence à réfléchir à l’ossature du parc – «c’est ce qu’il y a de plus important !» –, à planter des haies et des buissons pour couper le vent, à élaguer largement les bois, à élargir le lac pour lui donner une taille romantique. Ensuite, elle crée de larges «mixed borders» qui débordent de phlox, de népétas, d’alliums et de graminées – «les fleurs, c’est de la déco, cela vient après l’architectu­re». Un peu plus loin, elle a imaginé un arboretum et un potager entre ses murs. Et puis, bien sûr, il y a la serre. Tout au long de l’année, elle bine, sème, bouture, essaye. «Mon jardin, c’est ma folie. Mon refuge, mon laboratoir­e», ditelle encore. À cette lady, on demande sa tenue pour y descendre : «Oh, un vieux pantalon, des sabots américains L.L. Bean l’été ou des bottes fourrées l’hiver, mais surtout des gants Showa si fins qu’ils me font penser à une paire de gants en cuir Dior divins que j’ai eue autrefois.»

Coquetteri­e d’une grande dame italienne qui n’hésite pas à mettre les mains dans la terre comme une Anglaise.

Gresgarth Hall, dans le Lancashire, en haut et en bas, photos à gauche et à droite, est la demeure d’Arabella Lennox-Boyd, son point d’ancrage. Le jardin en est sa folie, son refuge, son laboratoir­e…, dit-elle.

«Les jardins ne doivent pas être conçus juste pour les regarder. CE SONT DES LIEUX DE VIE ! On doit pouvoir s’asseoir, manger, boire, lire, penser dans un jardin !» Arabella Lennox-Boyd

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