QUATRE VILLES À LA UNE
Dans ce numéro 1000, Vogue zoome sur les 4 capitales de la mode : Paris, Londres, Milan et New York. 4 villes qui, au fil des décennies, ont inspiré les créateurs, fait émerger les nouveaux visages, dicté les tendances et fait tourner la planète mode…
Dans ce numéro 1000, Vogue zoome sur les 4 capitales de la mode : Paris, Londres, Milan et New York qui, au fil des décennies, ont inspiré les créateurs, fait émerger les nouveaux visages et dicté les tendances…
Vogue Paris a longtemps été «mono-gamme».
Dans ses pages, on avait droit au florilège exclusif des grands couturiers de Paris, magnifié par son interprète idéale: la Parisienne. Si elle ne répond à aucun stéréotype formel, on dit qu’elle est stylée, elle a de l’allure, elle est couture. «Les Parisiennes s’habillent si bien, ou du moins elles en ont tellement la réputation, qu’elles servent en cela, comme en tout, de modèle au reste du monde.» Ces mots de Jean-Jacques Rousseau auraient très bien pu figurer dans Vogue Paris, seulement l’élégante revue n’a pas connu Louis XV, elle est apparue sous la
IIIe République (le numéro 1 est daté du 15 juin 1920). Au début, elle ressemble à ses aînées, les éditions américaine et anglaise, avant que Michel de Brunhoff, son rédacteur en chef à partir de 1929, en fasse LE magazine de mode des années 30 dans lequel on peut contempler la fine fleur de l’élégance à la française: la vicomtesse Marie-Laure de Noailles, la baronne Mary de Rothschild, la comtesse Alexandra de Castéja et la duchesse Mathilde de Montesquiou-Fézensac (name-dropping non exhaustif). Les illustrations et les photographies présentent un archétype de la Parisienne, comme cette fille, photographiée en 1939 par Erwin Blumenfeld dans sa robe de Lucien Lelong, perchée en haut de la tour Eiffel, tel un papillon prêt à l’envol, comme un chant du cygne. C’est la guerre, Vogue Paris préfère se taire. Le silence va durer quatre ans.
L’esprit de Paris
Après la Libération, Vogue Paris sort de sa léthargie en trois hors-séries et se singularise indéniablement. «Maintenant il faut un VVVRRAI magazine parisien. Mais PARISIEN PARISIEN, avait annoncé Lucien Vogel, l’un des parents de Vogue…
Un magazine qui ne pourrait être fait ni à Rome, ni à Londres, ni à New York.» La revue reprend sa parution régulière à partir de janvier 1947. Le 12 février, Christian Dior présente sa première collection, un tourbillon de femmes fleurs bien décidées à faire oublier la grisaille, les grèves, les tickets, la morosité. C’est l’éclatant New Look, un carton ! La renaissance de Vogue Paris et le coup d’éclat de Christian Dior sont les deux signaux d’une résurrection, celle de la haute couture française et de la Parisienne, qui en incarne toujours l’esprit. Elle pose, printanière et légère, au sommet de Notre-Dame pour la couverture de juin 1951, signée Robert Doisneau, offrant une vue imprenable sur un Paris de carte postale avec la tour Eiffel délicatement placée dans le G de Vogue, écrit en lettres capitales – Vogue s’écrit à merveille sur Paris! Avec les photographes américains Henry Clarke et William Klein, elle sillonne la ville, ses belles avenues, ses quais de Seine, ses jardins, ses monuments, ses musées, ses troquets, de jour comme de nuit, toujours habillée dernier cri. Partout, elle semble chez elle, comme le constate un Christian Dior réjoui : «La Française se sent toujours bien en ville, et ce tout particulièrement à Paris qui, mieux que tout autre lieu, sait mettre les femmes en valeur, surtout quand elles sont élégantes.» Apprêtée mais culottée dans le numéro de février 1955, elle surprend avec ses «chapeaux-choc» devant l’étal du boucher orné de têtes de veaux morts tirant la langue, capturée par un Guy Bourdin prêt à en découdre avec les codes empesés de la photographie de mode en vigueur. Et il voit juste.
Vogue Paris a longtemps été «monogamme». Dans ses pages, on avait droit au florilège exclusif des grands couturiers de Paris, magnifié par son interprète idéale : la Parisienne.
En 1957, la haute couture perd le symbole de son âge d’or : Dior. Le couturier meurt à l’âge de 52 ans, il est remplacé par son assistant émérite, Yves Mathieu-Saint-Laurent, 21 ans. La nouvelle coqueluche de la mode annonce un changement aussi inédit qu’inouï dans sa sixième (mais dernière) collection pour l’automne-hiver 1960, en empruntant les fondements de son inspiration à la Beat Generation. Ainsi infiltre-t-il dans la haute couture un style venu de la rue, renversant à jamais la structure pyramidale de la mode. Un prophète ce Saint Laurent! Tandis que la croissance économique libère tous les optimismes, émerge une nouvelle catégorie d’individus : les jeunes. Les gosses du baby-boom ont grandi et ils entendent bien le faire savoir. Les premières convulsions ont été senties à Londres, mais on n’en parle pas dans «Paris en parle».
Ça swingue à Londres
«Qui habille les Anglaises?», s’interroge Vogue Paris en mars 1962, juste avant de nous présenter Hardy Amies, John Cavanagh, Michael, Ronald Paterson et Norman Hartnell, des couturiers qui ont fait leurs premières armes à Paris et dont le style ressemble vaguement à la mode française. Il faudra attendre février 1965 pour découvrir les «modélistes» (on ne parle pas encore de stylistes, encore moins de créateurs) qui font swinguer Londres dans un numéro allégrement dédié à la «mode junior». «Une junior déteste la mode serrée, guindée, tubulaire. (…) Une junior est fière de porter tous les attributs de la jeunesse. Elle n’en a plus les complexes.» Ce que démontrent Mary Russell, la jeune correspondante du Glamour américain à Paris, et son mari le photographe Russell Knight, dépêchés par Vogue dans la capitale britannique. Coiffée par l’inévitable Vidal Sassoon, Mary présente des nouveaux modèles de Foale and Tuffin, Jane & Jane et Roger Nelson (disponibles à Paris chez Dorothée Bis), Gerald McCann (chez Victoire) et évidemment Mary Quant (chez Erès et chez Tinnie). Si Bazaar, la boutique de Quant, est devenu l’un des centres névralgiques de ce Londres Op, pop et polisson, en ébullition, elle n’a pas d’équivalent à Paris et ce qui se fait outreManche se révèle assez inaccessible pour la lectrice de Vogue Paris, surtout en régions. Voilà pourquoi le magazine s’attache à mettre en avant les têtes de file d’un prêt-à-porter français et relaie peu ce London Look qui sied aux petites Anglaises. «Anglaises: toutes moches, mais quand elles se mettent à être belles, ah !» Déposons cette citation du Jacassin de Pierre Daninos aux pieds de Jean Shrimpton, qui fera huit fois la couverture de Vogue Paris, entre 1963 et 1968 (le record pour un mannequin). À la une du numéro de janvier 1967 : «Jean Shrimpton lance la mode nouvelle.» C’est dire sa popularité ! Mannequin connue et reconnue, elle sera bookée sans retenue, le plus souvent par son ex, David Bailey. Il est le photographe de mode emblématique de la décennie, qui inspirera à Michelangelo Antonioni le héros de son film Blow-Up (1966). Ce gars issu de l’East End qui shoote la chic Shrimp pour Vogue, tout un symbole du Swinging London. On se familiarise avec Twiggy, Sue Murray, Maudie James et Penelope Tree, les yeux écarquillés. Les actrices Jane Birkin et Charlotte Rampling comptent aussi parmi les chéries de Vogue Paris. Si la Londonienne décoiffe dans ces années-là, la Parisienne n’est pas en reste, dûment représentée par Catherine Deneuve, la femme française aux yeux du monde, qui avait décroché sa première couverture à 18 ans – elle venait d’embrasser le cinéma avec Les Parisiennes (1962).
L’Italienne et la Milanaise
Dans les années 60, l’Italienne s’éveille dans Vogue Paris à qui elle ouvre ses palazzi. D’abord à Rome, berceau de l’Alta Moda, qui «préfère les fantaisies de l’imagination aux exigences de la vie moderne» (sic), puis à Florence, fief d’un savoir-faire resté intact malgré la guerre et le fascisme, et enfin Milan. «Milan, c’est comme une femme qui ne serait pas très jolie mais qui aurait un charme attirant», nous avait dit une «beauté italienne», Liliana Innocenti. La ville industrielle se fait belle à partir des années 70, stimulée par les nouveaux caïds de l’Italian Look. Le numéro de février 1977 nous présente les douze leaders du prêt-à-porter italien, créatifs et forts en business. On tient là trois héros : Gianni Versace, Giorgio Armani et Gianfranco Ferré. Vogue les installe en plein coeur de ses reports sur le grand branle-bas de la mode italienne, qui se dessine maintenant à Milan. La Milanaise, c’est la sciura. Opulente et frivole, elle défie le sexy – adjectif invariable, pourtant bon à toutes les sauces – et vénère, médusée, Versace en particulier. On trouve ses reflets dans les campagnes de maîtres du couturier by Richard Avedon ou Irving Penn, immanquablement placées à la gauche du «Point de vue de Vogue» – le Graal dans Vogue Paris. Un génie ce Gianni ! Quand on revoit les rutilantes Jerry Hall, Rosie Vela ou Kathy Ireland se cambrer pour Arthur Elgort dans les séries de l’époque, on constate que la Milanaise n’a pas les traits d’une Italienne. Elle se fait shooter à Paris tandis que l’ancienne rédactrice en chef de L’Espresso, Anna Piaggi, correspondante choc pour Vogue Paris, livre les analyses: «Milan, la grande technique», «Style naturel ou artificiel?», «Milan joue et gagne». What else?
La Milanaise, c’est la “sciura”. Opulente et frivole, elle défie le sexy.
L’eldorado new-yorkais
Si ça rayonne à Milan, à Londres, c’est badant, comme l’écrit Meredith Etherington-Smith, la correspondante: «Mais où sont les cuisses d’antan ? La minijupe n’est plus qu’un souvenir. Et les Londoniens se retrouvent devant un choix très simple : ou ils restent et c’est la déprime, ou ils quittent la ville, direction New York (“l’électricité dans l’air, l’efficacité, l’argent!”).» Un coup de Concorde et nous voilà à New York. La mode made in USA, si longtemps méprisée par Paris, devient ready-towear au coeur des années 70. Dix ans plus tôt, en août 1966, Guy Bourdin avait rapporté des images toniques d’une Nicole de Lamargé – la plus Parisienne des Auvergnates – alpaguée par Batman ou Roy Lichtenstein, mais c’était la Française à New York. En mai 1978 : «It’s up to you, New York, New York.» Big Apple devient le nouvel eldorado. Nan Kempner, figure de la high society, pige pour Vogue Paris (pour pas cher) et rapporte : «Manger est devenu le sport numéro 1. Le vin remplace l’alcool.» Elle nous présente aussi le gotha de la mode: Calvin Klein, Halston, Bill Blass, Ralph Lauren, Oscar de la Renta, Stephen Burrows, shootés par Horst P. Horst, Jacques-Henri Lartigue, lord Snowdon. La rédactrice en chef légendaire, Francine Crescent, peut être fière, son Vogue Paris «rayonne», et la New-Yorkaise est happy. On la voit très «social climber», en daylight au musée ou à la Factory d’Andy Warhol, un contributor régulier du magazine, et pour la night life au Studio 54, «la boîte la plus swing», nous dit Nan Kempner, influenceuse avant l’heure. La New-Yorkaise va vite, si vite qu’elle doit raccrocher son tailleur aux paddings insensés sitôt le film Working Girl terminé (1988). La mode n’a de cesse de se globaliser avec à sa tête des créateurs sans frontière. John Galliano est un cas d’école : né à Gibraltar, il a grandi à Londres et s’est installé à Paris en 1990. Paris calling : sa Londonienne rencontre la Parisienne. Galliano entrecroise influences et références, entre passé et présent. Ça plaît, Dior le recrute fin 1996 ; le créateur anglais devient couturier à Paris et Vogue Paris titre en couverture: «Big Bang». C’était le numéro 775 paru en mars 1997, début d’une nouvelle ère. À présent, la mode se crée, se vend et se porte partout. Fin des crises identitaires: la Londonienne ne craint plus la New-Yorkaise, la Milanaise n’envie plus la Parisienne.